Face cachée des Émirats arabes unis : le rapport de HRW
En 2021, les autorités émiraties ont poursuivi leur stratégie de « soft power » visant à présenter les Émirats arabes unis comme un État progressif, tolérant et respectueux des droits. Pourtant, leur intolérance à l’égard de toute critique s’est traduite dans le maintien en prison injuste de l’éminent défenseur des droits humains Ahmed Mansour et d’autres militants.
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Les Émirats arabes unis ont continué de développer leurs capacités de surveillance, en ligne, mais aussi dans l’espace public, où ils ont eu recours à des technologies de reconnaissance faciale pour assurer une surveillance de masse. Selon des articles récents, les autorités émiraties auraient détourné un logiciel espion israélien pour accéder aux communications privées et cryptées de journalistes, de militants et de dirigeants du monde entier.
En 2021, un responsable du ministère de l’Intérieur des Émirats arabes unis s’est présenté à la présidence d’Interpol et a été élu. Cette nomination vient mettre en danger les engagements de l’organisation internationale de police en matière de droits humains, compte tenu du nombre important de violations commises par l’appareil sécuritaire émirati dans le passé.
Les Émirats arabes unis ont empêché des représentants d’organisations internationales de défense des droits humains et des experts de l’ONU d’effectuer des recherches sur leur territoire et de se rendre dans les prisons et les centres de détention du pays.
Liberté d’expression
On ne compte plus les activistes, les universitaires et les avocats purgeant des peines à rallonge dans les prisons émiraties à la suite de procès inéquitables, au cours desquels ils ont dû répondre de chefs d’inculpation à la formulation vague et large, violant leurs droits à la liberté d’expression et d’association.
Ahmed Mansour, éminent défenseur des droits humains émirati, a passé une quatrième année en cellule d’isolement. Les derniers éléments obtenus en 2021 sur la persécution de Ahmed Mansour par les autorités émiraties révèlent de graves violations de ses droits et l’usage de pouvoirs incontrôlés pour se livrer à des abus par l’agence de sécurité nationale. En juillet, une lettre privée qu’il a écrite détaillant les mauvais traitements qu’il a subis en prison a fuité dans des médias régionaux, ravivant ainsi les craintes concernant son bien-être et les représailles éventuelles.
Nasser bin Ghaith, illustre universitaire, purge une peine de 10 ans prononcée contre lui après qu’il ait exprimé des propos critiques à l’encontre des autorités émiraties et égyptiennes. Mohammed al Roken, professeur d’université et avocat spécialisé en droits humains, purge une peine de 10 ans depuis sa condamnation au terme du procès collectif largement inéquitable des « UAE 94 », qui a mené à l’incarcération de 68 autres personnes.
En septembre 2021, les autorités détenaient toujours Khalifa al-Rabea, un Émirati qui a fini de purger sa peine pour atteinte à la sécurité de l’État en juillet 2018. En 2014, al-Rabea a été condamné pour ses liens avec Al-Islah, ex-parti politique islamiste reconnu légalement, mais décrété par la suite « organisation terroriste » par les Émirats arabes unis. Selon des activistes émiratis, les autorités l’ont arbitrairement maintenu en prison pour « soutien psychologique ». Six autres personnes ont été maintenues en détention au terme de leur peine : quatre dissidents émiratis condamnés lors du procès des « UAE-94 » qui ont fini de purger leur peine en 2019 et 2020, ainsi que deux femmes dont les peines se sont terminées en 2020.
En octobre 2020, un tribunal des Émirats arabes unis a condamné un résident jordanien à 10 ans de prison uniquement parce qu’il avait publié sur Facebook des propos critiques, mais pacifiques, contre le gouvernement jordanien.
Arrestations arbitraires, violences contre les détenus et expulsions forcées
Les autorités émiraties ont ciblé arbitrairement des résidents pakistanais chiites, les soumettant à des disparitions forcées, à la détention au secret et, à terme, à des expulsions infondées. Les autorités émiraties semblent souvent s’attaquer arbitrairement aux résidents chiites ̶ qu’ils soient libanais, irakiens, afghans, pakistanais ou de toute autre nationalité ̶ lorsque les tensions régionales montent.
À la fin du mois de juin, les autorités auraient arrêté des centaines de travailleuses et travailleurs migrants africains originaires du Cameroun, du Nigéria et de l’Ouganda, les auraient détenus arbitrairement pendant des semaines, avant de les expulser illégalement en masse, sans leur donner la possibilité de contester ces déportations. En septembre, la Thomson Reuters Foundation a signalé que les autorités émiraties avaient expulsé des Camerounais·e·s, malgré les craintes que ces derniers avaient exprimé face aux violences faisant rage dans leur pays.
Par ailleurs, dans les affaires prétendument liées à la sécurité de l’État, les personnes détenues ont été gravement exposées à des risques de détention arbitraire et de mise au secret, de torture et de mauvais traitements, de maintien prolongé à l’isolement et de refus d’accès à un avocat. Des aveux forcés ont été utilisés comme preuve dans le cadre de poursuites judiciaires et des prisonniers se sont plaints de la surpopulation, des conditions insalubres et du manque de soins médicaux adéquats dans les prisons.
Tout au long de l’année 2020[LP1] , les autorités pénitentiaires des Émirats arabes unis ont refusé à des détenus atteints du VIH un accès continu aux médicaments antirétroviraux nécessaires à leur survie, ce qui constitue une violation flagrante de leur droit à la santé et aux médicaments essentiels. Au moins deux prisons émiraties ont séparé les détenus vivant avec le VIH du reste des prisonniers et les ont exposés à une stigmatisation et à une discrimination systématique. Les prisonniers vivant avec le VIH ayant été privés de soins médicaux adaptés risquent de subir des complications graves en cas de contamination au Covid-19.
Les Émirats arabes unis ont interdit à des observateurs internationaux indépendants de pénétrer sur le territoire et de visiter les prisons et les centres de détention, malgré les appels de la communauté internationale à autoriser leur entrée et leur travail d’observation.
Attaques illégales et violations à l’encontre des personnes détenues à l’étranger
En dépit de l’annonce du retrait de la majorité de leurs forces terrestres au Yémen en 2019, les Émirats arabes unis ont continué de jouer un rôle majeur dans une coalition à la tête d’opérations militaires et d’apporter leur soutien à des forces yéménites ayant commis de graves violations ces dernières années. En février, Human Rights Watch a relaté la détention d’un journaliste yéménite, d’abord menacé par un officier émirati, puis détenu et maltraité par des forces soutenues par les Émirats arabes unis.
En Libye, les Émirats arabes unis ont mené des frappes aériennes et des attaques de drones, dont certaines ont tué et blessé des personnes civiles. Ces attaques étaient en soutien aux Forces armées arabes libyennes (FAAL), groupe armé sous le commandement du général Khalifa Haftar, basé dans l’est du pays, et l’une des deux principales parties libyennes au conflit armé qui fait rage depuis avril 2019.
Travailleurs migrants
D’après les statistiques 2015 de l’Organisation internationale du travail, les ressortissants étrangers constituent plus de 80 % de la population des Émirats arabes unis.
Le système de kafala (tutelle), qui permet d’obtenir un visa par parrainage, lie les visas des travailleurs migrants à leurs employeurs, les empêchant ainsi de changer d’employeur sans autorisation. Celles et ceux qui quittent leur employeur sans autorisation sont passibles de sanctions pour « abandon de poste », notamment d’amendes, d’arrestation, de détention et d’expulsion, le tout sans aucune garantie de respect de la légalité. De nombreux travailleurs migrants à faibles revenus sont susceptibles d’être soumis au travail forcé.
Le droit du travail des Émirats arabes unis n’a prévu aucune protection pour les travailleuses et travailleurs domestiques, qui ont été confrontés à une multitude d’abus : salaires impayés, séquestration, jusqu’à 21 heures de travail par jour, abus physiques et sexuels de la part des employeurs. Les travailleuses et travailleurs domestiques ont rencontré des obstacles dans la pratique et sur le plan juridique pour obtenir réparation. Bien qu’une loi de 2017 sur les travailleurs domestiques leur garantisse certains droits, ces protections sont plus faibles que celles prévues dans le droit du travail et restent en deçà des normes internationales.
La pandémie de Covid-19 a rendu encore plus visible et amplifié les violations des droits des travailleuses et travailleurs migrants. Des dizaines de milliers d’entre eux ont perdu leur emploi et se sont retrouvés piégés dans le pays dans des conditions critiques. Beaucoup d’entre eux ont passé les périodes de confinement strict dans des logements bondés et insalubres. Si quelques milliers ont pu quitter les Émirats arabes unis à la suite de leur licenciement sommaire, beaucoup ont eu du mal à rentrer dans leur pays d’origine en raison des restrictions de voyage et du coût élevé des billets d’avion. Par ailleurs, un grand nombre de ces travailleuses et travailleurs n’ont plus été en mesure de payer un loyer ou d’acheter de quoi manger. Beaucoup de migrants n’ont pas été payés pour le travail effectué avant leur renvoi.
Les autorités ont imposé des conditions de confinement encore plus strictes pour les travailleuses et travailleurs domestiques, conseillant aux employeurs de ne pas laisser leurs domestiques rencontrer qui que ce soit à l’extérieur. Sachant que de nombreux employeurs séquestraient déjà les travailleuses et travailleurs domestiques et les surchargeaient de travail, ces conditions les ont encore plus exposés à des risques d’abus, notamment à un surcroît d’heures de travail, à la privation de jours de repos et à des violences physiques et verbales.
Au mois de septembre, l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme et ImpACT International ont démontré que le 24 et le 25 juin, les autorités avaient arrêté, détenu et torturé plus de 800 travailleuses et travailleurs migrants africains avant d’en expulser une grande partie en masse. Les deux organisations ont indiqué que la majorité avait été expulsée malgré la possession de titres de séjour ou de permis de travail valides, et qu’un nombre inconnu était toujours en détention.
Les politiques de lutte contre le changement climatique et leurs répercussions
En tant que l’un des dix premiers producteurs mondiaux de pétrole et l’un des cinq premiers émetteurs de gaz à effet de serre (par habitant), les Émirats arabes unis contribuent à la crise climatique, dont le bilan en matière de droits humains ne cesse de s’alourdir dans le monde. Les Émirats arabes unis ont pris quelques mesures positives pour réduire leurs émissions, notamment accroître leur capacité de production d’énergies renouvelables et supprimer certaines subventions aux énergies fossiles. Néanmoins, ils restent fidèles à leur intention d’utiliser et de produire en grande quantité des énergies fossiles, tant pour l’exportation que pour la consommation intérieure. Selon le groupe Climate Action Tracker, la promesse de réduire les émissions de 23,5 % d’ici 2030, formulée en 2020 dans la version actualisée du plan national des Émirats arabes unis sur le changement climatique, ne permet pas d’atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, qui est de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C au-dessus du niveau préindustriel.
Les Émirats arabes unis sont particulièrement menacés par les conséquences du changement climatique, notamment par les chaleurs extrêmes, les sécheresses aggravées et l’élévation du niveau de la mer. Il est donc crucial qu’ils prennent des mesures pour protéger les populations les plus vulnérables à ces ravages prévisibles. Quatre-vingt-cinq pour cent de la population vit le long des côtes, soit à peine quelques mètres au-dessus du niveau de la mer.
Droits des femmes
Le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a entamé son processus d’examen du bilan des Émirats arabes unis en matière de droits des femmes qui a lieu une fois tous les cinq ans. Malgré quelques réformes mises en place par les Émirats arabes unis, le pays continue de discriminer les femmes dans le droit et en pratique.
Certaines dispositions de la loi réglementant les questions de statut personnel sont discriminatoires à l’égard des femmes. Pour qu’une femme émiratie puisse se marier, son tuteur doit signer son contrat de mariage. Si une femme décide de divorcer, elle doit demander une ordonnance du tribunal tandis que les hommes peuvent divorcer unilatéralement de leur femme. Une femme peut perdre son droit à un soutien financier si elle refuse, par exemple, d’avoir des relations sexuelles avec son mari sans excuse légitime.
Bien que des changements apportés à la loi en 2020 aient révoqué les dispositions rendant les relations sexuelles extraconjugales criminelles, les autorités continuent à faire obstacle aux femmes enceintes non mariées pour ce qui est de l’accès aux soins de santé prénataux et de l’enregistrement de leur enfant à l’état civil. Les sites officiels du gouvernement continuent d’exiger un certificat de mariage pour qu’une mère puisse obtenir le certificat de naissance de son enfant, et les directives de santé stipulent que les femmes non mariées ne devraient pas être couvertes par l’assurance maternité. Enfin, les hôpitaux demandent encore des certificats de mariage aux femmes qui souhaitent accéder à certains soins de santé sexuelle et reproductive.
En novembre 2020, les Émirats arabes unis ont abrogé un article du Code pénal, qui réduisait la peine infligée à un homme qui tuait son épouse ou une autre femme de sa famille parce qu’elle aurait eu des rapports sexuels en dehors des liens du mariage. Cependant, la loi autorise encore la famille de la victime à renoncer à son droit de voir l’auteur du meurtre sanctionné en échange d’une compensation financière (« prix du sang ») ou à opter librement pour le pardon. Dans ces cas-là, l’accusé écopera à minima d’une peine de sept ans de prison au lieu de la réclusion à perpétuité. Lorsque les membres de sa famille tuent une femme, notamment dans les crimes d’« honneur », la famille de la victime est également celle du meurtrier et risque de faire en sorte que les hommes reçoivent des peines allégées.
Selon la loi émiratie sur la nationalité, seuls les hommes émiratis transmettent leur nationalité aux enfants, alors que les enfants de mère émiratie et de père étranger ne reçoivent pas la nationalité émiratie.
Le gouvernement n’a pris aucune mesure visant à respecter l’engagement pris à l’issue de l’examen périodique universel des Nations Unies en 2018, qui consistait à interdire les châtiments corporels infligés aux enfants en toutes circonstances.
En février, la BBC a diffusé des vidéos secrètes de la princesse Latifa, fille du souverain de Dubaï, dans lesquelles l’héritière décrit en détail comment elle serait séquestrée dans une villa de Dubaï depuis son enlèvement et son retour forcé en 2018. Depuis mai, Latifa est apparue sur des photos postées sur Instagram prises dans un centre commercial de Dubaï, puis à l’étranger avec des amies. On ne sait pas vraiment sous quelles conditions elle a pu retrouver ces libertés, ni dans quelle situation se trouve sa sœur Shamsa, qui avait également été enlevée et obligée de revenir du Royaume-Uni en 2000.
Orientation sexuelle et identité de genre
Tout « attentat à la pudeur », ainsi que tout propos ou acte susceptible de porter atteinte aux mœurs publiques sont qualifiés de criminel par l’article 358 du Code pénal. Selon un décret de 2020 portant modification au Code pénal, la peine pour ces délits est passée de six mois de prison minimum à une amende de 1 000 à 50 000 dirhams (240 à 12 000 euros). En cas de récidive, la peine peut aller jusqu’à trois mois d’emprisonnement ou 100 000 dirhams (24 000 euros). En 2020, les Émirats arabes unis ont également amendé l’article 356 du Code pénal afin de supprimer un texte qui pénalisait auparavant une notion assez vague d’attentat à la pudeur consensuel ou d’avilissement, et qui était utilisé pour punir les individus pratiquant des relations sexuelles consenties hors mariage, ou zina, d’une peine d’un an d’emprisonnement minimum.
Selon le Code pénal fédéral émirati, « tout homme portant des vêtements féminins qui se trouve dans un endroit dont l’accès est réservé aux femmes ou dont l'accès est interdit, à ce moment-là, à d'autres personnes que les femmes» est passible d’un an de prison, d’une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 dirhams (environ 2 500 euros), voire des deux. En réalité, des femmes transgenres ont été arrêtées en application de cette loi même si elles se trouvaient dans des lieux mixtes.
Principaux acteurs internationaux
En tant que partie au conflit armé au Yémen, les États-Unis ont fourni un soutien en logistique et en renseignement aux forces de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. En décembre, Human Rights Watch a appelé l’administration Biden à mettre fin à la vente d’armes aux Émirats arabes unis tant que ceux-ci n’agiront pas réellement pour cesser les abus au Yémen et pour punir les personnes responsables de crimes de guerre. En février, l’administration Biden a annoncé qu’elle mettait fin à tout soutien américain aux « opérations offensives » au Yémen, mais en avril, elle a donné le feu vert à une vente d’armes — conclue durant le mandat de Donald Trump — aux Émirats arabes unis d’une valeur de 23 milliards USD.
En septembre, le Parlement européen a adopté une résolution dans laquelle il exhorte les États membres de l’UE à ne pas participer à la prochaine exposition universelle, Expo 2020, qui doit avoir lieu à Dubaï d’octobre 2021 à mars 2022, et il demande aux entreprises internationales de retirer leur parrainage, compte tenu du nombre de violations de droits humains commises aux Émirats arabes unis.