Guerre en Ukraine : les ambiguïtés des candidats français d'extrême droite
L'invasion de l'Ukraine par la Russie a fait coincé trois des cinq principaux candidats – Marine Le Pen, Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon – à l'élection présidentielle française qui étaient fervents détracteurs de l'Otan, l'alliance transatlantique dirigée par les États-Unis.
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Le 9 février, alors qu’Emmanuel Macron revenait d'un entretien marathon avec son homologue russe Vladimir Poutine à Moscou, sa plus proche adversaire dans la course à l'Élysée a donné son avis sur ce qu'elle a décrit comme un accueil "glacial" au Kremlin.
"Macron s'est présenté à Moscou non pas comme le président français, mais plutôt comme le petit télégraphiste de l'Otan et de l’Union européenne" et a été dûment traité comme tel, a déclaré Marine Le Pen sur RTL.
Quelques jours plus tôt, lors de son premier meeting de campagne, la cheffe du Rassemblement national avait renouvelé sa promesse de retirer la France du commandement intégré de l'Otan, "pour ne plus être entraînés dans des conflits qui ne sont pas les nôtres".
Ce jour-là, tandis qu'elle parle, une brochure de huit pages vantant les mérites de la candidate d’extrême droite est distribuée au public. Y figurent des photos d'elle posant avec une foule de dignitaires étrangers, dont le président russe Vladimir Poutine – à qui elle a rendu visite au Kremlin lors de sa précédente candidature à la présidentielle, en 2017.
Quelques semaines après le meeting, alors que l’Ukraine est en proie à la plus grande invasion militaire en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, la photo a mal vieilli. L’invasion russe, décrétée par le chef du Kremlin, vient entacher la campagne de Marine Le Pen, incitant certains responsables du RN à envoyer les brochures – dont plus de 1,2 million d'exemplaires ont été imprimés – à la broyeuse.
Les "souverainistes" sous le feu des critiques
L'invasion de l'Ukraine a fait bien plus que des confettis de flyers de Marine Le Pen : elle a réécrit l'ensemble du scénario de la course à la présidence française, propulsant les affaires internationales – généralement secondaires pendant les campagnes – sous les feux de la rampe à un peu plus d'un mois du premier tour, prévu le 10 avril.
La guerre a offert aux partis traditionnels français – dont beaucoup de candidats, Anne Hidalgo, Valérie Pécresse ou encore Yannick Jadot, sont en difficulté dans les sondages – une nouvelle occasion de s'en prendre à certains de leurs rivaux les plus radicaux et de les accuser de s'allier à Vladimir Poutine tout en vilipendant à tort l'Otan.
Les critiques se sont concentrées sur un trio de candidats à l'élection présidentielle : Marine Le Pen, son rival d'extrême droite Éric Zemmour et le candidat de gauche Jean-Luc Mélenchon, qui occupent respectivement la deuxième, la troisième et la cinquième place dans les sondages et qui sont souvent associés pour leur rhétorique "souverainiste".
Les deux leaders d'extrême droite ont parlé avec admiration de l'approche nationaliste sans concession du leader russe, Éric Zemmour ayant même dit, il y a quelques années, "rêver d’un Poutine français". Marine Le Pen, de son côté, s'était moquée des affirmations selon lesquelles Vladimir Poutine représentait une menace pour l'Europe, affirmant que l'Otan n'avait plus d'utilité.
Quant à Jean-Luc Mélenchon, s’il n'a pas d'affinités avec l'homme fort du Kremlin, il s'est joint par le passé à ses rivaux pour minimiser la menace que représente Moscou, tout en accusant l'Otan de semer le trouble.
Mardi, lors d'échanges animés au Parlement, le président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, Damien Abad, a accusé le trio de nourrir une "fascination malsaine" pour Vladimir Poutine, ce qui, selon lui, les "disqualifie" pour la plus haute fonction de la France.
Le centriste Jean-Christophe Lagarde s'en est quant à lui pris à Éric Zemmour, dénonçant son appel "indécent" aux réfugiés ukrainiens à rester en Pologne plutôt qu'à se rendre en France. Il a ajouté : "Je lui suggère de se rendre à Kiev et de demander aux habitants ce qu'ils pensent de la liberté et de la sécurité offertes par la protection de l'Otan."
Alors que les législateurs s'affrontaient au Parlement, le journal Le Monde a publié une chronique inhabituellement cinglante fustigeant les "champions de l'autonomie française (...) qui sont tombés droit dans le piège de Poutine".
"Rarement un événement extérieur aura autant dévoilé les impostures", écrit l'éditorialiste du quotidien, Françoise Fressoz, ridiculisant ceux qui ont tenté de se réclamer du général de Gaulle, héros de la guerre et leader de l'après-guerre, alors même qu'ils prêchaient l'adoption par la France du statut de "non-aligné".
"Ils se sont présentés comme des gaullistes", déclare-t-elle. "Au lieu de cela, ils n'ont fait que prouver leur faiblesse devant un leader armé d'armes nucléaires et qui ne connaît aucune limite."
Le crime de Poutine, la faute de l'Otan
Selon Martin Quencez, analyste de la sécurité et directeur adjoint du bureau parisien du German Marshall Fund, interrogé par France 24, la guerre en Ukraine a servi de rappel tragique de la raison d'être de l'Alliance atlantique : protéger les États membres d'une menace "très réelle".
"À cet égard, la guerre est particulièrement accablante pour les candidats qui prétendaient que la menace était inexistante", ajoute-t-il.
"Leurs affirmations reposaient sur deux arguments principaux : l'un, que la menace russe était exagérée, voire inventée par les services de renseignement américains ; l'autre, que l'hostilité de la Russie n'était qu'une conséquence de l'agression de l'Otan et des États-Unis", développe Martin Quencez. "La guerre de Poutine a effectivement tué les deux."
Depuis le début de la guerre, les candidats souverainistes français se sont empressés de prendre leurs distances avec le Kremlin – Marine Le Pen affirmant que le dirigeant russe n'est "plus le Poutine" dont elle a sollicité le soutien en 2017. Tous trois ont catégoriquement condamné l'invasion de la Russie. Cependant, ils se sont largement tenus au même récit concernant les causes sous-jacentes du conflit.
S'adressant au Journal du Dimanche, Éric Zemmour a déclaré que la guerre était une conséquence du "refus obstiné de l'Occident de prendre en compte les préoccupations de sécurité de la Russie". Vladimir Poutine est le "coupable", a-t-il déclaré sur RTL le lendemain, mais "les responsables, c'est l'Otan".
Le candidat d'extrême droite – qui souhaite également retirer la France du commandement militaire intégré de l'Otan, comme l'avait fait De Gaulle en 1966 – a suggéré de nommer Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, comme médiateur français pour négocier la paix entre Moscou et Kiev. Cette suggestion a été rapidement rejetée par Hubert Védrine lui-même, qui a qualifié la plate-forme anti-Otan d'Éric Zemmour d'"insensée, stupide, et arrivant au pire moment possible".
"Même De Gaulle n'a jamais eu l'intention de quitter l'Alliance", a déclaré l'ancien ministre au Monde. "La France ne peut pas s'isoler des États-Unis et de ses partenaires européens."
Mauvaise interprétation de la décision prise par De Gaulle en 1966
Selon Martin Quencez, les appels fréquents des politiciens français à quitter l'Otan reposent en grande partie sur une mauvaise interprétation de la décision capitale prise par le général de Gaulle en 1966, lorsqu'il a retiré la France du commandement intégré de l'Alliance, mais n'a pas quitté l'Alliance elle-même.
"L'une des interprétations de la décision de De Gaulle a été de présenter l'Otan comme un symbole de l'alignement de la France sur les intérêts et les politiques américains", analyse-t-il. "Selon cette interprétation, la sortie de De Gaulle en est venue à incarner la détermination de la France à définir ses propres intérêts indépendamment de Washington."
Cependant, ajoute l’analyste du German Marshall Fund, "De Gaulle n'a jamais remis en cause le fait que la France était fermement dans un camp pendant la Guerre froide. Lors des grandes impasses de sa présidence, comme la crise des missiles de Cuba ou la construction du mur de Berlin, il s'est résolument rangé du côté de l'Occident et a condamné les Soviétiques. Penser qu'une politique gaulliste signifierait être non-aligné, au sens de la Guerre froide, est une erreur historique."
Alors que les candidats français sceptiques à l'égard de l'Otan sont sous pression pour se distancer de la Russie, Martin Quencez estime que leurs critiques à l'égard de l'alliance dirigée par les États-Unis sont appelées à perdurer car elles font "partie d'une tradition politique en France".
"L'hostilité à l'égard de l'Otan n'est que le symptôme d'une vision du monde plus large selon laquelle les États-Unis constituent une menace pour la souveraineté française", explique-t-il. "La pensée géostratégique française s'inspire, en partie, des crises passées au cours desquelles Paris et Washington se sont opposés", ajoute-t-il, citant la crise de Suez de 1956, au cours de laquelle les États-Unis ont contraint les puissances impériales européennes en déclin – le Royaume-Uni et la France – à une humiliante capitulation.
"Les Britanniques et les Français ont tiré des leçons opposées de Suez", poursuit Martin Quencez. "Les premiers ont décidé qu'ils ne devaient plus jamais être en désaccord avec les États-Unis, tandis que les Français ont décidé qu'ils devaient développer une capacité autonome afin d'échapper aux diktats américains."
L'Occident coincé dans la Guerre froide ?
La capacité nucléaire autonome de la France explique en partie pourquoi les Français sont traditionnellement plus critiques envers l'Otan que leurs pairs européens. Contrairement à leurs voisins continentaux, les Français disposent de leur propre force de dissuasion. Ils sont également plus éloignés des frontières russes que la plupart des autres nations européennes.
Selon Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise, la décision de l'Otan de se rapprocher toujours plus des frontières russes depuis la fin de la Guerre froide est la cause profonde des multiples crises qui se déroulent dans le monde post-soviétique. Sa critique de l'Otan repose sur ce qu'il considère comme l'incapacité de l'Occident à dépasser la pensée de l'époque de la Guerre froide.
Comme l'écrivait Libération la semaine dernière, "cette aversion pour l’Otan s’ancre dans [sa] méfiance envers la politique des États-Unis, à ses yeux la principale menace pour la paix en tant que puissance sur le déclin".
Dans un chapitre consacré au thème de la "paix", sa plateforme politique décrit l'alliance transatlantique comme "un outil d’inféodation aux États-Unis d’Amérique", qualifiant l'Otan d'institution "archaïque" qui "aurait dû être dissoute à la fin de la Guerre froide". "Au contraire, elle n’a fait depuis qu’étendre son action avec des résultats néfastes pour la paix et notre sécurité."
Une semaine seulement avant le lancement de l'invasion à grande échelle de la Russie, Jean-Luc Mélenchon avait plaidé pour le "non-alignement" de la France dans l'impasse ukrainienne, écrivant sur Twitter : "La Russie n'a pas à passer la frontière de l'Ukraine, et les États-Unis n'ont pas à annexer l'Ukraine dans l'Otan."
Le candidat de gauche, qui a demandé que l'Ukraine soit déclarée "État neutre", ne semble pas ébranlé par le fait que les nations européennes ont été impatientes de rejoindre l'Otan, cherchant sa protection contre la menace plus saillante de l'agression russe. Il s'en tient à cette ligne de pensée alors même que les troupes russes s'enfoncent plus profondément en Ukraine, rejetant toute idée de volte-face.
"Notre condamnation de l'intervention militaire de la Russie ne signifie pas que nous avons changé de position, au contraire", a-t-il déclaré aux journalistes le week-end dernier lors d'un voyage sur l'île de La Réunion. "J'ai toujours dit que nous ne pouvons pas continuer à humilier la Russie en poussant l'Otan toujours plus près de ses frontières. C'est un danger qu'ils n'accepteront jamais."
France24