Haroun Tazieff (1914 - 1998), au plus près des volcans
En 1966, l'équipe de "Cinq colonnes à la une" accompagne le volcanologue Haroun Tazieff sur l'Etna. Celui-ci explique ce qu'est une coulée de lave et présente les risques auxquels s'expose le vulcanologue.
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Avant d’être surnommé le "père de la volcanologie française", Haroun Tazieff a été résistant, formé à l’agronomie, puis géologue et volcanologue, spéléologue, alpiniste, membre d’un gouvernement, vulgarisateur des sciences de la terre, militant-défenseur de l’environnement, écrivain et cinéaste.
Son fils Frédéric Lachavery s’est attaché à décrire les facettes de ce père dans une biographie passionnante écrite en 2014, Un volcan nommé Haroun Tazieff. Il résume ainsi ses multiples origines : "Le jeune immigré Tazieff a baigné dans un univers culturel brassant les influences juive russe, chrétienne d’Orient et musulmane tatar, héritier d’une génétique partagée entre l’Europe de l’Est et l’Asie centrale."
Il était russe à la naissance puis a été naturalisé belge, ensuite français. Cosmopolite, "crapahuteur", explorateur et premier scientifique à comprendre le mécanisme des éruptions sous-marines, les plus communes sur notre planète…
Comme il est difficile de résumer une existence si dense ! Que retenir de ses nombreuses visites faites aux volcans de la planète ? Avec comme guide le travail de mémoire de Frédéric Lachavery, ne retenons qu’un ou deux épisodes de sa vie de scientifique.
La dépression de l’Afar et l’hypothèse par Haroun Tazieff de la formation d’un océan
Le premier contact d'Haroun Tazieff avec la vaste dépression de l’Afar en Ethiopie — située au nord du Grand Rift Est africain, elle taillade l’est du continent africain — se fait en 1952. Il a observé dans la foulée, à bord de la Calypso toute neuve du commandant Cousteau, une dorsale active dans le fond de la mer Rouge voisine.
Cette mer étroite en train de s’élargir en raison de son activité volcanique sous-marine est en passe de devenir un océan. Haroun Tazieff et son collègue italien Giorgio Marinelli survolent peu après la dépression du Danakil situé au nord de l’Afar en 1967.
Ils reconnaissent dans ces formations la forme de volcans sous-marins et comprennent être en présence d’un rift émergé avec des failles ouvertes sur plusieurs mètres et des émissions de fumerolles.
Haroun Tazieff et son équipe franco-italienne font le lien entre les dorsales océaniques qui balafrent les fonds marins de la mer d’Aden et de la mer Rouge et ce rift est-africain.
Pour THaroun azieff, la dépression de l'Afar est expansion et formera un jour un océan. Ce laboratoire à ciel ouvert (ailleurs, il faut plonger en mer pour les observer) vient conforter une théorie encore contestée par les géologues contemporains : la dérive des continents par le biais de la tectonique des plaques.
Un compagnon d’expédition d'Haroun Tazieff, Jacques Varet, confirme : "Au moment où était énoncée la théorie des plaques, nous avons apporté la preuve de la réalité des phénomènes de création de croûte océanique nouvelle dans cette région du globe où on pouvait l’observer à l’œil nu." Cet épisode, marque selon Frédéric Lachavery, l’émergence de la volcanologie au cœur des sciences de la Terre.
La Soufrière, crise volcanique...
La Soufrière, est selon son fils Frédéric Lavachery un point de bascule dans la carrière d’Haroun Tazieff. Le volcan, surnommée "vyé madanm la" en créole guadeloupéen, "la vieille dame", situé dans le sud de Basse-Terre, dans l’archipel de la Guadeloupe, donne des signes d’activité inquiétantes depuis l’année 1975.
Les secousses sismiques se suivent. En juillet 1976, les volcanologues et géologues de l’Institut de physique du globe (IPG) de Paris sont appelés à la rescousse. Haroun Tazieff est alors chef du service de volcanologie de IPG, créé en 1973.
Les éruptions de vapeur, le nuage de poussières de roches, la pluie de cendres ainsi que les secousses sismiques enregistrées n’annoncent pas un risque majeur d’éruption selon les analyses de l’équipe. Haroun Tazieff rassure : "Ce qui se passe actuellement à la Soufrière, ce sont des éruptions phréatiques, très impressionnantes d'accord mais on ne doit pas s'en alarmer."
Les éruptions phréatiques sont le résultat de la vidange par vaporisation d’une poche souterraine d’eau surchauffée. Cette pression exercée sur les matières provoque des phénomènes spectaculaires, des explosions et de la sismicité volcanique, de quoi affoler les populations.
Face à Haroun Tazieff et son équipe, d’autres scientifiques avancent une autre hypothèse, celle d’une éruption magmatique, plus dangereuse. Les mesures quotidiennes puis les évènements ultérieurs donneront raison à Haroun Tazieff. Pourtant, les autorités administratives et scientifiques cèdent à l’affolement et choisissent d’évacuer 73 000 personnes à la mi-août.
et crise de la politique scientifique
Haroun Tazieff estimera cette évacuation excessive, et critiquera l’inexpérience de scientifiques dépêchés depuis la métropole pendant son absence à l’origine de cette décision, "des professeurs d’université (…) mais qui n’avaient aucune expérience en matière d’éruptions volcaniques". Parmi ceux qui ont convaincu les autorités d’évacuer la population, il y a le directeur de l’Institut fraîchement nommé, Claude Allègre.
Dans les semaines qui suivent, Claude Allègre décide la suppression du service de volcanologie de l'IPG. Haroun Tazieff tirera un bilan sans complaisance de la crise de gestion du risque naturel autour de la Soufrière : "Au mépris des données scientifiques, cet état d’urgence a été maintenu durant trois mois et demi, des milliers de familles et l’économie du département ont été ruinés (…) et l’on a ridiculisé pour finir la science française." (revue de Géographie et Recherche, décembre 1977, cité par Frédéric Lachavery)
L’évacuation a provoqué une crise économique et sociale durable pour toute une région qui en ressent plus de 40 ans après des séquelles. Pour Haroun Tazieff, au centre d’un "procès en incompétence", c’est une mise à l’index scientifique, bien que les méthodes innovantes apportées par lui et son équipe d’ingénieurs ont durablement transformé les procédures françaises de surveillance et de prévention du risque volcanique.
Le volcanologue sera réhabilité plus tard par voie de justice. Mais il n'est pas le seul à avoir souffert, c'est tout le milieu de la volcanologie française qui a été malmené.
Frédéric Lavachery observe avec ironie cette blessure "profonde et [qui] cicatrise mal. La patiente, elle, cette Vieille Dame (la Soufrière), se porte bien. C’est le corps médical qui ne s’en est toujours pas remis".
Le fils constate avec indignation que le vulcanologue apprécié par le grand public est boudé par beaucoup de ses pairs. "Nombre de scientifiques lui dénient encore la qualité de chercheur rigoureux."