Élisabeth II : la joie du peuple après la mort de l'architecte du colonialisme
Alors que les hommages affluent à la suite de la mort de la reine Élisabeth II, des mouvements sur les réseaux sociaux offrent une autre facette de l’Histoire : loin des larmes et du recueillement, certains expriment une indifférence voulue ou de dures critiques envers la Couronne, d’autres y voyant même une occasion de célébrer. Sur la scène internationale, des Irlandais, des Autochtones d’Océanie, des Indiens et des Africains qui ont vécu sous la férule britannique en profitent pour rappeler au monde la violence du colonialisme.
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Le coins irlandais, africians et indiens de Twitter se déchaînent d’ailleurs depuis jeudi. De nombreux internautes ont mis en ligne des vidéos de gens dansant devant le palais de Buckingham ou ailleurs, d’autres exprimant leur allégresse et des images de feux d’artifice.
Sentiments complexes en Irlande
Les Irlandais avaient une relation complexe avec la défunte souveraine, aussi « inégale qu’inéquitable », selon le professeur Gavin Foster.
Les Irlandais ont des sentiments mitigés envers l’Angleterre, commente Gavin Foster, professeur d’histoire moderne de l’Irlande à l’Université Concordia. Il rappelle d’entrée de jeu que les protestants de l’Irlande du Nord sont en deuil de leur reine, alors que les catholiques qui y habitent n’ont pas de réelle affection pour elle, et que beaucoup lui sont même hostiles. « Ils ont subi les politiques britanniques et la répression lors des “Troubles” », rappelle-t-il.
À Derry, le Bloody Sunday a laissé des plaies toujours à vif. Depuis le décès d’Élisabeth II, « des vidéos ont montré des gens [de la ville] faisant retentir leurs klaxons dans une ambiance festive », rapporte M. Foster.
Quant à la République d’Irlande, elle est indépendante depuis plus d’un siècle, note le professeur, et n’a plus d’association avec la Couronne depuis 70-80 ans. La réaction de ses habitants est ainsi différente, car elle affiche la confiance d’une nation forte et indépendante, explique-t-il. Mais le pays a néanmoins été colonisé et traité à l’époque comme un royaume subordonné à celui d’Angleterre, avec des chapitres très laids qui ont ponctué son histoire.
les Irlandais ont vécu sous la domination britannique, dont une terrible famine au 19e siècle exacerbée par des lois exigeant l’envoi des récoltes en Angleterre même si le peuple de l’Irlande mourait de faim. Des conflits politiques et sanglants ont aussi opposé les Irlandais en quête de leur indépendance à l’Angleterre.
On peut penser au massacre du Bloody Sunday, en 1972, lorsque les soldats britanniques ont ouvert le feu sur des manifestants irlandais catholiques, faisant 14 morts et une dizaine de blessés.
Les blessures de la colonisation
C’est également le cas de l’Inde et de nombreuses nations africaines qui ont vécu les abus du pouvoir colonial britannique.
C’est aussi l’avis du professeur de science politique de l’Université de Montréal, Mamoudou Gazibo, qui analyse l’Afrique sous toutes ses coutures.
Pour les Africains, il est dur d’oublier l’époque de la colonisation : le tracé des frontières des pays du continent en témoigne toujours, comme leurs économies encore subordonnées à celles des puissances européennes, explique-t-il. La violence de la colonisation, le vol de territoires et l’asservissement sous toutes ses formes sont encore présents - et à l’origine de ce ressentiment.
Bien des gens transposent d’ailleurs la colonisation et ses effets qui perdurent sur elle, dit-il.
L'Australie
En Australie, Sandy O’Sullivan, professeure d’études autochtones à l’Université Macquarie de Sydney, est moins tendre envers la défunte souveraine. « Elle n’était pas une spectatrice des effets de la colonisation et du colonialisme, elle en était une architecte », écrit-elle sur son compte Twitter, notant qu’elle a eu maintes occasions d’intervenir en faveur des peuples autochtones d’Australie, mais qu’« elle n’a rien fait ».
L'Éosses
Ce n’est pas à Londres, au Palais de Buckingham, que la Reine s’est éteinte jeudi 8 septembre, mais dans sa résidence écossaise située à plus de 800 kilomètres de là, au château de Balmoral. En Écosse justement, sa mort n’a pas été accueillie par tous avec émotion et respect. De même qu’en Irlande, où des images postées en ligne renvoient à des scènes de joie après l’annonce faite par la famille royale.
Scènes de liesse dans les stades
À Édimbourg, une minute de silence, observée lors d’une rencontre de football entre un club écossais et un club truc, a même dégénéré. Comme le raconte le Daily Mail, la nouvelle de la disparition d’Elizabeth II est tombée au cours d'un match de foot, dans le cadre de la Ligue Europa Conférence, à Édimbourg. Une minute de silence, organisée avant la deuxième mi-temps, a rapidement été sifflée par des supporters écossais, d’après un fan présent sur place : "Certaines personnes ont hué, d'autres ont juré et lancé des obscénités, d'autres ont tenté de respecter la minute de silence. D'autres ont chanté God Save The Queen".
À Dublin au même moment, des fans de football ont chanté après l'annonce. D’après cette séquence, d’une durée de seulement 9 secondes mais vue plus de 4 millions de fois, le Tallagh Stadium de la ville a été le théâtre jeudi soir de scènes de joie et de chants célébrant la nouvelle. Les Irlandais jouant à domicile contre un club suédois, les fans étaient très nombreux à être présents dans les gradins. Et parmi eux, certains n’ont pas hésité à scander "Lizzys in a box", à savoir "Elizabeth est dans une boite".
Les Écossais, eux, pourraient de nouveau être appelés à se prononcer sur l’indépendance en 2023, si un référendum est organisé par le gouvernement local de Nicola Surgeon. En 2014, ils avaient été 55,3% à vouloir rester dans le Royaume-Uni. Sur les réseaux sociaux, certains ont d'ailleurs fait allusion à ce vœu pieu après la disparition de la Reine. "Écoutez-moi… nous gardons le corps et l'utilisons comme rançon pour l'indépendance", a par exemple réagi un comédien écossais. Le gouvernement britannique, lui, s’oppose aujourd'hui à la tenue d'un nouveau vote.
Scène nationale
Sur la scène nationale, face aux turbulences politiques et aux grèves ouvrières des années 1970 et 1980, elle rendra un fier service aux gouvernements Heath, Wilson, Callaghan et Thatcher, s’attachant à préserver, avec une conviction remarquable, le rôle de la monarchie comme force stabilisatrice et anti-ouvrière.
Jusque dans la mort enfin, elle coûtera cher aux classes populaires. Dans les prochains jours, un protocole strict sera mis en place, vestige d’une époque médiévale, qui coûtera dans un contexte inflationniste inédit au Royaume-Uni, des millions de livres au peuple britannique. Sur le terrain de la lutte des classes aussi, après un été particulièrement chaud, nul doute que les soupirs larmoyants de la bourgeoisie seront l’occasion de reconduire des appels à l’union nationale et à la « paix sociale ».
La reine est morte, son successeur est désigné. A 73 ans, Charles, son fils aîné, se préparait depuis des années à imposer sa dîme à toute la société. Au Royaume-Uni, décidément, il y a des choses qui ne changent pas : les aristocrates d’hier et d’aujourd’hui sont unis pour faire payer la classe ouvrière.