Cinquièmes élections israéliennes en seulement trois ans et demi : Netanyahou, la cause de l’impasse politique
Israël connaîtra la semaine prochaine les cinquièmes élections en seulement trois ans et demi. Mais pourquoi ?
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Les élections israéliennes sont basées sur un système de représentation proportionnelle sans représentation géographique. Pour entrer au Parlement israélien (la Knesset, composée de 120 sièges), les partis doivent obtenir plus de 3,25 % du total des votes. À l’issue des élections nationales, le président confie un mandat au chef du parti qui a le plus de chances de former une coalition d’au moins 61 sièges. Étant donné qu’aucun parti n’a historiquement été en mesure d’obtenir suffisamment de sièges pour gouverner seul, les gouvernements sont formés par des coalitions.
Ces derniers reflètent une variété de positions idéologiques et religieuses différentes dans l’électorat israélien. Ils vont des partis ultra-orthodoxes (Shas et Judaïsme unifié de la Torah) à ceux représentant la population russophone laïque (Israel Beytenou), en passant par la gauche sioniste (Parti travailliste israélien) et les partis représentant la population arabe (comme Balad et la Liste arabe unie). Ces dernières années, la formation de coalitions s’est complexifiée, entraînant des cycles électoraux récurrents.
Pourquoi les Israéliens se rendent-ils de nouveau aux urnes ?
Depuis quatre ans, Israël est en proie à une crise électorale qui tourne autour d’un seul homme : Benjamin Netanyahou, leader du parti de droite Likoud et actuellement en procès pour corruption. La crise a commencé en 2019 lorsque Netanyahou — le Premier ministre d’Israël resté le plus longtemps en poste (12 ans sans interruption et 15 années en tout) — a perdu sa majorité au Parlement, ce qui a poussé Israël vers une série d’élections. L’opinion publique étant divisée sur Netanyahou, ni lui ni ses opposants n’ont pu former de gouvernement stable. La situation a changé en juin 2021 lorsque ses opposants se sont réunis et ont réussi à former une coalition. Cette coalition inhabituelle comprenait des partis de droite anti-Netanyahou, des centristes, un parti de gauche qui n’était plus au pouvoir depuis deux décennies et un parti islamiste.
Ce qui liait ces partis idéologiques très différents était le désir partagé de voir Netanyahou partir. Cependant, en raison de profondes divergences entre les partis sur des questions centrales en Israël telles que la religion, l’État et les colonies, la coalition était extrêmement fragile dès le départ, ce qui a conduit à la défection de plusieurs personnalités politiques de la coalition, tant de droite que de gauche. Le gouvernement n’a survécu qu’un an avant de s’effondrer, renvoyant les Israéliens aux urnes.
Netanyahou reviendra-t-il ?
Les titres des principaux journaux internationaux ont salué la « fin de l’ère Netanyahou » lorsque ce dernier a été évincé du poste de Premier ministre en juin 2021. Cependant, celui-ci joue toujours un rôle dominant dans la politique israélienne — bien qu’en tant que chef de l’opposition. Il est très actif dans la campagne électorale et veille à ce qu’aucun vote en faveur de son bloc ne soit gaspillé. Certains sondages suggèrent qu’il pourrait être capable de rassembler une coalition cette fois-ci1. Toutefois, cela ne sera pas chose aisée.
Comme lors des élections précédentes, le bloc de Netanyahou et le bloc adverse sont presque à égalité. Il semble ainsi que cette élection sera déterminée par la participation des électeurs. Bien que le taux de participation en Israël soit relativement élevé (lors de la dernière élection, il était de 67,4 %, le taux le plus bas du pays depuis 2009), l’électorat israélien est fatigué des élections récurrentes dont ils ne voient pas la fin2. Il est important de noter qu’il n’y a pas eu de changement significatif dans l’opinion publique concernant Netanyahou depuis la dernière élection. Par conséquent, ceux qui le soutiennent vont probablement continuer à le faire, de la même manière pour ceux qui s’y opposent.
Quel rôle joue le procès pour corruption de Netanyahou ?
Netanyahou est actuellement en procès pour fraude, corruption et abus de confiance. Le procès, qui a débuté en 2020, est en session plusieurs fois par semaine mais pourrait prendre plusieurs années pour aboutir à un verdict. La loi israélienne n’oblige pas officiellement Netanyahou à démissionner malgré ces accusations, bien que son prédécesseur, Ehud Olmert, ait quitté la vie politique lorsqu’il a été accusé de corruption en 2008.
Netanyahou est la cause de l’impasse politique du pays. Depuis son inculpation, son comportement semble être devenu plus intéressé et erratique, poussant plusieurs de ses alliés politiques conservateurs de longue date à se séparer de lui, comme Avigdor Liberman et Gideon Sa’ar. Et pourtant, l’opinion publique israélienne est profondément divisée à son sujet. Comme d’autres leaders populistes, notamment Donald Trump, Netanyahou dispose d’une base de partisans dévoués qui ne semblent pas prêts à l’abandonner. En effet, plusieurs membres du parti et alliés politiques de Netanyahou ont ouvertement déclaré qu’ils prévoyaient de révoquer les accusations portées contre lui s’ils étaient élus3.
Netanyahou est la cause de l’impasse politique du pays. Depuis son inculpation, son comportement semble être devenu plus intéressé et erratique, poussant plusieurs de ses alliés politiques conservateurs de longue date à se séparer de lui, comme Avigdor Liberman et Gideon Sa’ar.
Quelle est l’alternative à Netanyahou ?
L’alternative à Netanyahou est très probablement un gouvernement dirigé par Yaïr Lapid, l’actuel Premier ministre intérimaire et chef du parti centriste Yesh Atid. Lapid, un journaliste devenu homme politique, a fait preuve d’une habileté impressionnante lorsqu’il a négocié la coalition gouvernementale précédente. Malgré les difficultés rencontrées par le gouvernement sortant, celui-ci a réussi à obtenir plusieurs résultats sur le plan national et international.
Sur le plan intérieur, il a pu rétablir un certain sens de la normalité dans le pays en adoptant le premier budget depuis trois ans4. Il a également pu renforcer les relations du pays avec l’Union européenne et les États-Unis, et conclu récemment un accord sur le gaz avec le Liban5. Dans le domaine des colonies, le gouvernement ne s’est pas distingué particulièrement des précédents, bien que Lapid ait affirmé son soutien à la solution à deux États. Si un gouvernement non dirigé par Netanyahou pourrait revêtir plusieurs configurations différentes, il devrait inclure des partis aux positions idéologiques variées afin d’obtenir une majorité parlementaire. Plus important encore, ce gouvernement devrait s’appuyer sur les partis arabes, ce qui ne suscite pas un grand enthousiasme de la part de tous les partis anti-Netanyahou6.
Les implications internationales des élections
Lorsque Netanyahou s’est présenté aux élections de 2019, sa campagne a mis l’accent sur ses réussites sur la scène internationale. Dans le cadre de sa campagne, d’énormes bannières ont été placées à l’extérieur du siège du parti Likoud, montrant Netanyahou serrant la main de 3 dirigeants internationaux : Donald Trump, Vladimir Poutine et Narendra Modi. Au cours de son mandat, Netanyahou a noué des alliances avec des « hommes forts » conservateurs et illibéraux du monde entier, de Trump à Viktor Orbán7. S’il y a une chose que ces leaders illibéraux partagent c’est le désir d’affaiblir les institutions démocratiques telles que la presse libre et le système judiciaire.
S’il y a une chose que ces leaders illibéraux partagent c’est le désir d’affaiblir les institutions démocratiques telles que la presse libre et le système judiciaire.
Un nouveau gouvernement Netanyahou maintiendrait presque certainement cette ligne et irait probablement encore plus loin. Une coalition dirigée par Netanyahou devrait également s’appuyer sur des partis religieux et d’extrême-droite, tels que le Parti sioniste religieux, dirigé par le kahaniste Ben Gvir (voir ci-dessous), ce qui pousserait son gouvernement à prendre des mesures beaucoup plus illibérales dans la sphère intérieure et internationale.
En revanche, un gouvernement dirigé par Lapid adopterait une approche plus libérale des relations internationales. Par exemple, à la différence de Netanyahou, Lapid a vivement critiqué la guerre de la Russie contre l’Ukraine et son massacre à Boutcha. Il a également confirmé récemment son engagement en faveur de la solution à deux États dans un discours à l’ONU.
La montée de l’extrême-droite
L’évolution la plus inquiétante et la plus importante de cette élection est peut-être la montée de l’extrême-droite israélienne. Bien que le parti Likoud de Netanyahou soit également de droite, la nouvelle force qui monte dans le pays est plus fondamentaliste, plus dure et plus religieuse. Elle est représentée par le Parti sioniste religieux, qui comprend des figures homophobes et suprématistes juives. Ce parti est actuellement pressenti pour devenir le troisième parti de cette élection en termes de voix. Selon les sondages, il doublera le nombre de ses sièges à la Knesset depuis les précédentes élections de 2021.
La figure dominante de ce parti est Itamar Ben-Gvir, un homme politique autrefois considéré comme un paria mais qui est aujourd’hui en pleine ascension, y compris parmi les Israéliens français. Disciple du rabbin Kahane, dont le parti a été interdit en Israël en 1994 pour son soutien aux attaques terroristes juives, Ben-Gvir estime que les Israéliens déloyaux devraient être « déportés »8. Netanyahou a soutenu et intégré Ben Gvir afin de renforcer son bloc politique.
Il est possible que, dans un gouvernement Netanyahou, Ben Gvir devienne un ministre de premier plan. Cette perspective a alarmé les partisans d’Israël au Sénat américain : le sénateur Bob Menendez (D-N.J.) a averti Netanyahou en septembre que la formation d’un gouvernement avec Ben Gvir pourrait nuire aux relations bilatérales entre les deux pays9. Plusieurs organisations juives américaines ont également tiré la sonnette d’alarme10.
Quel est l’état de la gauche ?
La gauche israélienne a connu un déclin progressif, l’électorat se déplaçant de plus en plus vers la droite. L’État israélien a été fondé à l’origine par la gauche, et le Parti travailliste a été au pouvoir sans interruption de 1948 à 1977. Cependant, divers facteurs internes ont changé la donne, notamment la colère refoulée des Mizrahim (Juifs des pays arabes et musulmans) qui se sentaient discriminés par le Parti travailliste dominé par les Ashkénazes (Juifs européens).
Israël a connu son premier gouvernement de droite en 1977. Celui-ci s’inscrivait alors dans une tendance néolibérale plus large de la fin des années 70 et des années 80, avec l’ascension de figures comme Margaret Thatcher ou bien Ronald Reagan. Depuis lors, la majorité des gouvernements israéliens ont été dirigés par la droite. Aujourd’hui, 62 % des électeurs s’identifient comme étant de droite — une hausse par rapport aux 46 % de 201911. Israël compte deux partis sionistes de gauche qui incarnent les vestiges de la gauche israélienne historique : le Parti travailliste et le Meretz. Ces derniers sont très affaiblis et devraient obtenir à deux environ 10 sièges. La liste non-sioniste Hadash-Ta’al (qui ne soutient pas un État juif), devrait tout juste dépasser le seuil requis de 3,25 % des voix, tandis que le parti nationaliste palestinien Balad ne le dépassera probablement pas.
Il est important de noter que le centre est plus dominant que la gauche en Israël. Le deuxième plus grand parti du pays, Yesh Atid, dirigé par Lapid, est un parti centriste souvent comparé au parti d’Emmanuel Macron, Renaissance (ex-LREM). Lors des précédents scrutins, les centristes étaient également à la tête de l’opposition à Netanyahou.
Le vote arabe
L’un des facteurs les plus décisifs de ces élections sera le taux de participation des citoyens arabes palestiniens d’Israël, qui représentent 20 % de la population du pays. Comme la plupart des autres groupes de la société israélienne, les électeurs arabes ont tendance à voter pour les partis arabes qui visent à les représenter. En 2015, les 4 différents partis arabes ont fusionné en un seul parti appelé la Liste unifiée afin de surmonter l’augmentation du niveau du seuil d’électeurs, conduisant à une augmentation du pouvoir des partis arabes.
Lors des élections de 2019, l’alliance a obtenu un nombre sans précédent de 15 sièges. Cependant, depuis lors, en raison de luttes politiques intestines, la Liste unifiée s’est scindée en 3 partis incarnant 3 projets politiques différents. Le premier est le Raam, un parti islamiste qui se concentre sur les questions concernant le quotidien des citoyens palestiniens d’Israël plutôt que sur la question de la construction d’un État. La liste Ra’am est entrée dans l’histoire lorsqu’elle a rejoint la précédente coalition gouvernementale, devenant ainsi le premier parti arabe à occuper cette place dans l’histoire du pays. Le deuxième parti est Taal-Hadash, qui joue le jeu politique israélien mais reste concentré sur la cause palestinienne. Le troisième est Balad, un parti nationaliste palestinien qui s’abstient de participer à la politique électorale israélienne.
Qu’est-ce qui divise l’électorat israélien ?
Le système politique israélien est actuellement dominé par Netanyahou. Cependant, il s’agit d’un phénomène relativement nouveau qui éclipse d’autres questions qui comptent pour l’électorat israélien, comme la religion et l’État. Étant donné qu’Israël est un État juif, il n’y a pas de séparation complète de la religion dans la sphère publique. Par exemple, il n’y a pas de transports publics le samedi (le jour du Shabbat) et il y a souvent une ségrégation des hommes et des femmes dans les rassemblements religieux publics, constituant un point de discorde majeur entre les Israéliens laïcs et ultra-orthodoxes.
Cette question a été reléguée au second plan lors de ces élections, bien que l’actuel ministre des Finances, Avigdor Liberman, ait déclaré qu’il ne financerait pas les écoles ultra-orthodoxes qui refusent d’enseigner des matières fondamentales comme l’anglais et les mathématiques. Un autre sujet de préoccupation est l’économie et le coût de la vie qui est monté en flèche ces dernières années, les prix israéliens étant 40 % plus élevés que ceux de la zone euroLiving costs top worry for Israeli voters stuck in election treadmill », Reuters, 13 octobre 2022."
Comme en Europe, Israël est également confronté à l’inflation, bien qu’elle ait moins d’influence sur le prix de l’essence et plus sur la flambée des prix des loyers. La mise de côté de ces sujets centraux entraîne une frustration croissante de la population, tandis que la crise électorale perdure.
SOURCES
- Barak Ravid, « Netanyahu’s bloc makes gains a month out from Israeli elections», Axios, 28 septembre 2022.
- Israel : Country view, Institute for Democracy and Electoral Assistance.
- Jeremy Sharon, « Smotrich launches bid to neuter judiciary, potentially halt ally Netanyahu’s trial», The Times of Israel, 18 octobre 2022.
- Noa Shpigel, « Knesset Passes State Budget, Stabilizing the Bennett-Lapid Coalition», Haaretz, 4 novembre 2021.
- Dmitri Shufutinsky, « A new beginning for Israel and the European Union ?», Jewish News Syndicate, 11 octobre 2022.
- Joshua Leifer, « An Uneasy Alliance in Jerusalem», The New York Review of Books, 22 août 2022.
- « Binyamin Netanyahu : a parable of modern populism», The Economist, 30 mars 2019.
- Philissa Cramer, « The rise and rise of Itamar Ben-Gvir, the far-right politician holding the key to Israel’s next coalition», Jewish Telegraphic Agency, 14 septembre 2022.
- Barak Ravid et Alayna Treene, « Scoop : Menendez warns Netanyahu against working with Jewish supremacists», Axios, 1er octobre 2022.
- Allison Kaplan Sommer et Ben Samuels, « S. Jewish Groups Face Major Dilemma as Israeli Far Right Gains in Election Polls», Haaretz, 11 octobre 2022.
- Carrie Keller-Lynn, « Jewish Israeli voters have moved significantly rightward in recent years, data shows», The Times of Israel, 29 août 2022.
- Bethan McKernan, « Israeli forces use live fire in clashes with Palestinian protesters in Jerusalem», The Guardian, 13 octobre 2022.
- Dahlia Scheindlin, « For Israeli Voters, Do Palestinians Really Matter ?», Haaretz, 8 août 2022.
- Steven Scheer et Maayan Lubell, « Living costs top worry for Israeli voters stuck in election treadmill», Reuters, 13 octobre 2022.