Guerre en Ukraine : ce que vous ne saviez pas sur le régiment Azov
Le régime russe a déclaré la guerre à l’Ukraine pour « démilitariser et dénazifier » le pays, a-t-il justifié. En fait il y a les combattants néonazis en Ukraine sous la forme du régiment Azov qui a été intégré à la garde nationale du pays.
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En voulant « dénazifier » l'Ukraine, Vladimir Poutine évoque dans le sous-texte les combattants néo-nazis ukrainiens à l'œuvre dans le pays. Mais depuis le début du conflit qui oppose Kiev aux séparatistes russophones en 2014, les affrontements ont engagé des extrémistes des deux camps. Des néo-nazis ukrainiens et ultranationalistes russes sont rejoints par des combattants venus de l'étranger, bénéficiant même du soutien de leurs gouvernements.
Avec l'aval du Conseil de sécurité, j'ai décidé de mener une opération militaire spéciale. Son objectif est de protéger les personnes victimes d'intimidation et de génocide par le régime de Kiev depuis huit ans. Et pour cela, nous lutterons pour la démilitarisation et la dénazification de l'Ukraine.
C’est par ces mots prononcés à la télévision russe le 24 février 2022 à 5h30, heure de Moscou, que Vladimir Poutine a annoncé l’invasion de l’Ukraine.
Dans son discours, le président russe enchaîne les parallèles entre l'opération militaire actuelle et la guerre contre l’Allemagne nazie : « Au début de 1941, l'Union soviétique tenta de retarder le début de la guerre. Il a essayé de ne pas provoquer un agresseur potentiel, il a reporté les démarches pour une éventuelle contre-action. Le pays n'était pas prêt pour l'invasion de l'Allemagne nazie. L'ennemi a été arrêté et écrasé, mais à un coût colossal. »
Poutine justifie l’invasion de l'Ukraine par la volonté de ne pas répéter l’« erreur » du pacte germano-soviétique de 1940 qui scella la non-agression mutuelle de l'Allemagne nazie et de l'Union soviétique : « Essayer d'apaiser l'agresseur s'est avéré être une erreur. Au cours des premiers mois, des territoires clés et des millions de personnes ont été perdus. La deuxième fois, les erreurs ne sont pas autorisées. »
La comparaison entre l’Ukraine de Volodymyr Zelensky et l’Allemagne d’Adolf Hitler, hasardeuse, sert surtout à consolider le discours de Vladimir Poutine, lui permettant de justifier son attaque tout en nourrissant le grand mythe populaire russe du combat héroïque contre le fascisme, source de fierté nationale depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le régiment Azov, unité néo-nazie au sein de l’armée ukrainienne
En 2014, le conflit entre les séparatistes des régions à majorité russophones du Donetsk et de Lougansk et l’armée Ukrainienne fait rage. Cette dernière fait face à un grand nombre de déserteurs, à une baisse du moral et à une désorganisation massive, et à la crainte que ses hommes passent à l’ennemi.
En réaction à ces problèmes, le ministre de l'Intérieur de l’époque, Arsen Avakov, décide de former des milices armées afin de lutter contre les deux régions russophones de l’Est. Ces dernières viennent de déclarer leur indépendance suite à un référendum, déclaré illégal par Kiev. Le député national-conservateur Oleh Liachko initie en ce sens la création d’un bataillon de volontaires, le 5 mai de la même année.
Il reçoit le soutien et attire des membres des milieux ultranationalistes et d’extrême-droite. Le bataillon Azov est né. Andri Biletsky, chef de l’Assemblée sociale-nationale, organisation néo-nazie Ukrainienne, et leader du groupe paramilitaire ultranationaliste Patriotes d’Ukraine d’où proviennent de nombreux membres du bataillon Azov, en prend la tête.
Au départ financée par le député Oleh Liachko et l’oligarque proche des nationalistes et souvent accusé de russophobie Ihor Kolomoïsky, Azov est pleinement intégré dans l'armée régulière dès septembre 2014 et est financé par elle.
Entre mai 2014 et 2015, le bataillon effectue de nombreuses missions contre les séparatistes de l’Est de l’Ukraine : prise de bâtiments, de villes et de points stratégiques, captures et assassinats d’opposants. Plusieurs rapports d’Amnesty International et de l’ONU établissent des listes inquiétantes d’exactions commises en marge des affrontements considérées comme des crimes de guerre : enlèvements et maltraitances, détention arbitraire, torture, viols, exécution par décapitation d’otages et de prisonniers pro-russes.
Depuis 2014, le bataillon de 800 hommes a attiré de nombreux volontaires. Des dizaines de néo-nazis viennent de l’étranger (Italie, France, Suède, Croatie, Suisse, Slovaquie, Russie) pour combattre autour d'une cause commune. Il est aujourd’hui difficile de connaître le nombre d’hommes engagés. Les estimations varient, et le bataillon devenu un régiment pourrait contenir entre 2000 et 4000 combattants.
Parmi eux, nombreux sont ceux qui s’affichent portant des symboles nazis, comme des insignes SS, des croix gammées ou encore le soleil noir et la Wolfsangel, ressemblant à un assemblage des lettres N et I, présents tous deux sur le blason du régiment.
S’il est impossible de savoir combien de membres de ce régiment sont véritablement néo-nazis, ils sont nombreux à s’en revendiquer ouvertement et à tenir un discours antisémite, suprémaciste blanc, de nationaliste et de fascination pour le Troisième Reich qui ne laisse aucun doute sur leur idéologie.
À l’heure de l’invasion russe en Ukraine, les commentaires faisant l’éloge du régiment Azov ont été ré-autorisés sur Facebook et les autres réseaux sociaux du groupe Meta, alors qu’ils avaient été interdits depuis 2019 à cause de l’idéologie nationale-socialiste de l’unité. Cette dernière était considérée jusqu’alors par l’entreprise de Mark Zuckerberg de la même manière que le Ku Klux Klan et l’État Islamique.
Centuria, le club néo-nazi de l’Académie Militaire Nationale d’Ukraine
Le recrutement du régiment Azov est favorisé par la présence de proches de la force au sein de l’Académie Militaire Nationale Hetman Petro Sahaidachny. Premier centre de formation militaire ukrainien et endroit important du soutien occidental au pays (le Canada a par exemple financé une salle de classe hautement technologique en 2018), l’académie compte en ses murs le groupe d’officiers et de cadets néo-nazis Centuria. Comme les membres du régiment, les membres de ce club affichent ouvertement leur idéologie et arborent des signes dérivés de l’iconographie nationale-socialiste.
Les membres de Centuria, comme le reste des cadets et officiers de l’académie, bénéficient d’un entraînement supervisé par des militaires américains et participent à des exercices conjoints avec la France, le Royaume Uni, le Canada, l’Allemagne, la Pologne et les États-Unis. Un membre du club a également pu participer à un échange pour étudier à la Royal Military Academy de Sandhurst, au Royaume-Uni.
Si Centuria promeut le régiment Azov au sein de l’académie, certains cadets membres du groupe sont amenés à exercer comme officiers au sein d’autres unités de l’armée ukrainienne, notamment dans l’armée de l’air. Il est difficile de savoir combien le club compte de membres et de sympathisants au sein des forces ukrainiennes, mais le groupe privé qu’ils utilisent sur la messagerie Telegram comptait plus de 1200 membres en 2021.
Contacté par Oleksiy Kuzmenko, journaliste d’investigation et auteur d’une enquête édifiante de 70 pages sur le groupe Centuria pour l’Institut de recherche sur l’Europe, la Russie et l’Eurasie de la George Washington University, l’Académie Militaire Nationale Hetman Petro Sahaidachny a indiqué n’avoir trouvé aucune trace des activités du club en son sein.
Néanmoins, la capacité évidente de Centuria à opérer au sein de l’académie, sa présence dans différents corps des forces armées ukrainiennes et son accès à des formations occidentales sont les signes d’une absence apparente de contrôle, à la fois par les autorités ukrainiennes et les gouvernements étrangers. Il en va de même pour le régiment Azov, dont l’existence n’est mise en danger par aucun des rapports émis par Amnesty International ou l’ONU, suggérant une tolérance de la part du gouvernement ukrainien à propos de la prolifération d'idéologies néo-nazies au sein de ses forces armées.
L’expansion depuis l’armée vers la scène politique
À l’heure où l’Europe envoie des armes aux troupes ukrainiennes et où le président Volodymyr Zelensky présente une demande d’adhésion accélérée à l’Union européenne, la présence de ces combattants d’extrême-droite hors de contrôle au sein des forces officielles du pays pose de nombreuses questions, notamment de sécurité lorsque certains combattants étrangers, notamment français, retourneront dans leurs pays, entraînés et potentiellement armés. Cette inquiétude est d’autant plus forte que les actions et idéologies de ces groupes sortent du cadre militaire pour se diriger sans obstacles vers celui de la politique.
Le 14 octobre 2014, le régiment Azov, accompagné du bataillon Aidar (également accusé de crimes de guerre) et de 4000 personnes est descendu dans les rues de Kiev pour célébrer le 72e anniversaire de la création de l’UPA, une milice ukrainienne d’extrême droite qui collabora aux massacres de juifs et de Russes avec les nazis. Azov a alors tenté de prendre le contrôle du Parlement, sans succès. Un membre du régiment avait alors déclaré à Euronews : « L‘État ukrainien doit être indépendant et probablement non-démocratique, ou du moins, ce n’est pas la démocratie existante qui doit perdurer : elle est synonyme d’irresponsabilité et de totale injustice. » Deux semaines plus tard, le ministre de l'Intérieur d’alors, Arsen Avakov, déjà à l’origine de la création des milices anti-séparatistes russophones, avait nommé le second du régiment Azov, Vadim Troyan, chef de la police de l’Oblast de Kiev.
Depuis 2015, les enfants des membres du régiment ainsi que les volontaires venus d’ailleurs, appelés « Azovets », sont admis dès l’âge de 6 ans dans des « camps d’été », où ils sont soumis à une discipline militaire, apprennent le maniement et l’entretien d’armes de guerre, des techniques de combats, des compétences d'auto-défense et de survie ainsi que des histoires sur le glorieux passé de l’Ukraine. Véritables enfants-soldats nationalistes en uniformes, ils répètent en cœur lors du levé de drapeau : « Ukraine, sainte mère de tous les héros, emplis mon cœur. Que mon âme renaisse grâce à toi et soit éclairée par ta gloire. Tu es ma vie et mon bonheur, toi, la sainte des saintes. »
Le régiment Azov a ensuite créé son propre parti politique en 2016, dirigé par son commandant, le néo-nazi Andri Biletsky, qui déclarait en 2014 : « La mission historique de notre nation dans ce moment critique est d'amener les races blanches du monde dans une croisade finale pour leur survie [...] Une croisade contre les sous-hommes menés par les Sémites ». Le parti comptait 15000 membres en 2018, soit environ autant que les autres partis ultranationalistes, Svoboda et Secteur droit, ce dernier étant également issu d’une organisation paramilitaire.
La montée bien réelle de forces militaires et politiques fascistes en Ukraine et l’inaction du gouvernement et de ses alliés occidentaux a offert à Vladimir Poutine une excuse en or pour envahir son voisin de l’Ouest.
Source : Blast