En France, un racisme anti-Asiatiques banalisé et rarement dénoncé
Une étude publiée ce mercredi par la Défenseure des droits montre que la communauté asiatique, en France, est victime de discriminations. Un phénomène qui s’est aggravé avec le Covid et dont les pouvoirs publics prennent tout juste la mesure.
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Les personnes vivant en France originaires d'Asie font face à un racisme multiforme, « banalisé » et rarement dénoncé, selon une étude de sociologues publiée mercredi, qui montre que la pandémie de Covid a accéléré une « prise de conscience » de ces discriminations. Les auteurs de cette étude – soutenue (financièrement) par le Défenseur des droits – ont relevé que « les expériences quotidiennes de discrimination […] à l'encontre des Asiatiques en France font rarement l'objet de rapports officiels » et que « la recherche scientifique s'est jusqu'à très récemment peu mobilisée pour [les] documenter ».
Aussi ont-ils mené, entre 2020 et 2022 – soit au moment de l'émergence de la pandémie de Covid-19 –, des entretiens biographiques approfondis auprès de 32 jeunes diplômés de l'enseignement supérieur d'origine asiatique (primo-arrivants ou descendants de migrants), âgés de 20 à 40 ans, résidant en France. Ces « enquêtés » avaient, à 80 %, un niveau Bac + 5, et étaient originaires notamment de Chine continentale, Japon, Corée, Vietnam, Laos, Philippines, Hongkong, Taïwan. Les deux tiers étaient nés sur le sol français.
Des moqueries « sous la forme de l'humour »
Résultats : il existe « des spécificités propres » aux expériences de racisme anti-Asiatiques, comme la « banalisation » et « le caractère ordinaire » de leurs manifestations – souvent exprimées « sous la forme de l'humour », a résumé l'un des auteurs de l'étude, Simeng Wang, lors d'une présentation à la presse.
Pour la chercheuse au CNRS, « l'espace public, l'école et le travail » restent les lieux de production du racisme « les plus fréquemment cités » par les enquêtés. Certains d'entre eux, enfants de restaurateurs, racontent avoir subi, à l'école, « du mépris social, avec des moqueries de leurs camarades du type "tu sens les nems", "bol de riz" », a-t-elle détaillé. Qui a nourri quotidiennement un « sentiment de honte », mais a aussi pu conduire à forger une attitude de « surcompensation et d'envie de réussir ».
Le Covid, un « catalyseur »
Sur le plan du travail, les discriminations se conjuguent aussi « avec une assignation raciale » de la personne, souligne l'étude, qui cite le témoignage d'une diplômée d'une école de commerce parisienne qui a « envoyé sa candidature à des postes de gestionnaire mais n'a obtenu aucun entretien. Les entreprises qui l'appelaient lui proposaient systématiquement des postes de vendeuse ».
Autre enseignement : « Le racisme ne se manifeste pas de la même façon selon le genre. » Ainsi « les hommes asiatiques subissent des stéréotypes liés à leur masculinité souvent dévalorisée ». Tandis que les femmes, dont « la féminité est fantasmée », selon Mme Wang, doivent faire face à « l'imbrication du racisme et du sexisme », dans le monde du travail (harcèlement sexuel) ou dans l'espace public – elles sont abordées dans la rue par des inconnus.
Peu de réactions
Face aux expériences de racisme, « le taux de réaction et de recours [en portant plainte par exemple, NDLR] est très faible », souligne-t-elle. La chercheuse avance plusieurs explications : « L'étiquette de "minorité modèle" [travailleurs, discrets, forts en maths] qui enferme les personnes asiatiques dans des stéréotypes positifs et les empêche de verbaliser. » Et, chez les primo-arrivants, « l'héritage du confucianisme », la « faible maîtrise de la langue » et une « logique de survie ».
Pour autant, souligne Mme Wang, la pandémie de Covid-19, qui a été un « moment d'expression paroxystique » de ce racisme, a joué un rôle de « catalyseur dans la prise de conscience », individuelle ou collective, des discriminations, chez les jeunes enquêtés. S'en sont suivis plus de « posts sur les réseaux sociaux », une « médiatisation » accrue de ces phénomènes et des pouvoirs publics qui s'y intéressent davantage, selon elle.
Enfin, à noter : les situations sont perçues différemment selon l'origine des personnes interrogées. Ainsi, celles « d'origine japonaise » se mettent davantage « à distance du racisme anti-Asiatiques, en associant ce dernier aux personnes issues d'autres pays asiatiques ». En revanche, pour celles « descendant de réfugiés politiques de l'Asie du Sud-Est [boat people], l'entrecroisement entre l'histoire familiale et l'histoire coloniale les prédispose aux réflexions et débats sur les rapports sociaux de race », selon l'étude.