Une situation "exceptionnelle" : le moustique-tigre se répand fortement, Santé publique France lance l'alerte
Si le moustique tigre ne mesure que quelques millimètres, il a réussi l’exploit de se répandre sur la majeure partie de la France métropolitaine en seulement 20 ans.
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Si le moustique tigre ne mesure que quelques millimètres, il a réussi l’exploit de se répandre sur la majeure partie de la France métropolitaine en seulement 20 ans. Le réchauffement climatique, qui crée des conditions idéales pour sa prolifération, accroît plus que jamais le risque de propagation de maladies. Politiques, scientifiques et autorités sanitaires cherchent des solutions face à ce minuscule parasite.
C’est un nuisible redouté, surtout en été. Absent jusqu’en 2004 du sol français, le moustique tigre est désormais bien implanté dans l’Hexagone. Au 1er janvier 2023, il avait envahi 71 départements métropolitains, placés en alerte rouge par les autorités sanitaires.
La propagation de cet insecte rayé noir et blanc est devenue très préoccupante. Il est vecteur de maladies telles que la dengue, le chikungunya ou encore le virus Zika - des virus qui ont été à l'origine d'épidémies potentiellement mortelles dans des pays comme le Brésil ou La Réunion, où des centaines de milliers de personnes ont été infectées.
En France, l'inquiétude a gagné les responsables politiques. Le député LFI François Piquemal déclarait fin juillet que la propagation du moustique tigre était une "affaire politique" et a appelé le gouvernement à prendre des mesures.
"Importé par la mondialisation néolibérale [...] et vecteur de maladies graves, il a des impacts sur nos vies", a écrit François Piquemal dans un tweet le 24 juillet.
Politiques, scientifiques et autorités sanitaires se lancent dans une course contre la montre pour trouver des solutions permettant d'endiguer la propagation des maladies transmises par les moustiques.
Le tour du monde de l'Aedes albopictus
Originaire des forêts d'Asie du Sud-Est, le moustique tigre, également connu sous le nom d'Aedes albopictus, a fait sa première apparition sur le continent européen en 1979. Après avoir fait le voyage depuis la Chine, le petit insecte a fait sa première escale en Albanie.
En pondant leurs œufs dans l'eau stagnante présente sur les parois d'objets fabriqués par l'homme, comme des pneus usagés ou des conteneurs, les moustiques femelles ont permis à leur progéniture d’embarquer sur des navires effectuant des échanges transcontinentaux de marchandises. Les œufs,
capables de survivre pendant de longues périodes de sécheresse grâce à leur coquille imperméable, ont pu rester accrochés pendant des mois. Lorsque les navires étaient arrivés à destination, les œufs pouvaient éclore si le climat était suffisamment chaud et humide - ce qui était le cas en Albanie.
"À l'époque, l'Albanie était un État communiste qui entretenait des relations [commerciales] seulement avec la Chine", explique Anna-Bella Failloux, entomologiste médicale à l'Institut Pasteur de France. "Mais l'espèce n'a jamais quitté l’Albanie, car le pays ne commerçait pas avec le reste de l'Europe.
C'est la preuve que ce sont les activités humaines qui permettent la dissémination de ce moustique.”
Il a fallu attendre 11 ans pour que le moustique tigre atteigne le reste du continent, à commencer par le port italien de Gênes. Une fois sur place, l’espèce s’est rapidement propagée et a colonisé toutes les provinces italiennes en seulement 10 ans. Aujourd’hui, l’Italie est le pays le plus infesté d'Europe par le moustique tigre.
C’est en 2004 que les premiers moustiques tigres ont été signalés en France, plus précisément à Menton, située à seulement 11 kilomètres de la frontière italienne. Le moustique a ensuite traversé le pays à bord de trains, de camion et même de voitures.
En France, sa progression "n'a pas été exponentielle", précise Pierre Tattevin, infectiologue et chef du service des maladies infectieuses au CHU de Rennes, "mais elle a été continue". Depuis l'arrivée du moustique dans l’Hexagone, "il y a environ quatre ou cinq nouveaux départements concernés chaque année", indique-t-il.
Le moustique tigre est un nuisible particulièrement résistant par rapport à d'autres espèces. "En moins de quatre décennies, le moustique tigre a conquis le monde tropical et subtropical", explique Anna-Bella Failloux. "Pour son cousin, l'Aedes aegypti, il a fallu 400 ans.”
Communément appelé moustique de la fièvre jaune, l’Aedes aegypti peut aussi transmettre le Zika, la dengue et le chikungunya. Contrairement au moustique tigre, il ne peut pas s'établir dans les régions non-tropicales.
Le pouvoir des femelles
Sur les 3 500 espèces de moustiques recensées dans le monde, seules 15 % piquent l'homme. Parmi celles qui piquent, "trois sont les principales responsables de la propagation des maladies humaines", selon le National Geographic, dont le moustique tigre.
Les moustiques tigres femelles sont les seules à piquer, tous les cinq à sept jours, mais "elles sont vecteur de virus jusqu’à la fin de leur vie", explique Anna-Bella Failloux. Dans des conditions idéales, l'espèce peut vivre quatre à six semaines.
L'une des particularités du moustique tigre est que la femelle ne peut être fécondée qu’une seule fois dans sa vie. “Elle possède un spermathèque lui permettant de stocker du sperme mâle qu'elle utilisera pour fertiliser ses œufs tout au long de sa vie", précise Anna-Bella Failloux. Ces œufs peuvent résister à la sécheresse "pendant des mois, voire des années", explique l'entomologiste.
Pour le spécialiste des maladies infectieuses Pierre Tattevin, les moustiques tigres représentent une menace "énorme" pour la société. Les virus de la dengue, du Zika et du chikungunya sont tous "des problèmes majeurs de santé publique dans les pays où il y a eu des épidémies, c'est ce qui est inquiétant", dit-il.
Ces trois virus peuvent causer des symptômes similaires, tels que de la fièvre, des maux de tête, des douleurs musculaires et articulaires, des éruptions cutanées et des nausées. Pour la dengue, ces symptômes disparaissent au bout d’une ou deux semaines, mais dans les cas les plus graves, le virus peut être mortel.
En 2022, les autorités sanitaires françaises ont enregistré 65 cas autochtones de dengue, ce qui signifie que les personnes qui ont contracté le virus l'ont fait sur le territoire national, et non à l'étranger. Du 1er mai au 28 juillet 2023, 227 cas de dengue ont été identifiés en France métropolitaine.
Il y a quelques jours, deux cas de dengue ont été détectés dans les Bouches-du-Rhône, les premiers cas autochtones dans la région de l’année 2023. "Pour éviter la propagation de la maladie, une démoustication a été réalisée [...] dans un rayon de 200 mètres dans le quartier de lieu de résidence des cas (voie publique, jardins privés)", a indiqué l’Agence régionale de santé dans un communiqué publié le 4 août, précisant que ces personnes sont aujourd’hui guéries.
Le Zika, le plus souvent asymptomatique, peut constituer une menace sérieuse pour les femmes enceintes, car il peut provoquer des malformations congénitales chez l'enfant. Concernant le chikungunya, certains patients ont signalé des douleurs articulaires durables. Les cas de décès ou de symptômes graves sont rares et généralement liés à des problèmes de santé préexistants.
Le réchauffement climatique propice à la prolifération
Selon une étude publiée en 2020 par l'Assemblée nationale, le réchauffement climatique facilite la propagation de l’espèce, en rallongeant sa période d’activité et en accélérant son cycle de développement.
"Le moustique tigre est beaucoup plus efficace, actif et confortable à des températures supérieures à 22 ou 23 degrés", reconnaît Pierre Tattevin, qui admet que le réchauffement climatique crée des conditions idéales pour la prolifération du moustique.
En menant des expériences pour observer comment les facteurs climatiques influencent l'invasion de l'espèce, les entomologistes ont constaté que lorsque les températures augmentent, les moustiques sont plus performants. "Ils volent plus longtemps et plus loin, vivent plus longtemps, sont plus rapides et se reproduisent plus rapidement quand la température dépasse 25 degrés", relate Pierre Tattevin.
Les expériences ont également montré que le moustique tigre, contrairement à son cousin Aedes aegypti qui prospère dans les climats tropicaux, pouvait supporter des températures plus froides pendant de plus longues périodes.
Les conditions climatiques idéales pour le moustique tigre en France se situent à partir du mois de mai jusqu’à septembre ou octobre, mais "lorsque nous arrivons à la fin du mois de novembre et que les températures chutent en dessous de 10 degrés, la femelle va pondre ses œufs qui survivront à la saison hivernale", précise Anna-Bella Failloux. "Dès que les températures remontent au début du printemps, les œufs éclosent et se transforment en moustiques adultes", précise-t-elle.
Résistant aux insecticides
Afin de limiter la propagation du moustique tigre à domicile, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) préconise de vider et de retourner les seaux, vases et autres récipients susceptibles de contenir de l'eau stagnante, de recouvrir les bidons de récupération d'eau avec des moustiquaires et de nettoyer les gouttières pour empêcher les moustiques de se reproduire. L’Anses invite la population à porter des vêtements longs, amples et clairs, et à utiliser des produits répulsifs.
Les personnes résidant en France peuvent également signaler la présence du moustique tigre en utilisant une plateforme dédiée mise en place par l'agence, qui explique que le moustique tigre est très facile à identifier. Il se distingue d'un moustique commun grâce à ses rayures noires et blanches présentes sur le corps et sur les pattes qui lui donnent un aspect très contrasté.
Pour les personnes ayant voyagé dans un pays où le Zika, la dengue ou le chikungunya existent, il est essentiel de surveiller les symptômes, alerte Pierre Tattevin. "Si une personne arrive en France métropolitaine avec l'un de ces virus, elle doit rester isolée afin qu'elle ne soit pas piquée par un autre moustique qui irait contaminer son entourage", explique-t-il.
Parmi les solutions qui pourraient être mises en œuvre à l'échelle nationale, certaines sont plus prometteuses que d'autres. La pulvérisation d'insecticides en est une, mais Pierre Tattevin et Anna-Bella Failloux s'accordent à dire qu'elle est loin d'être idéale. Le moustique tigre s'est acclimaté aux insecticides et y est même devenu résistant. Cela signifie que "des doses plus importantes sont nécessaires pour les tuer, ce qui a un impact négatif pour notre environnement", explique Anna-Bella Failloux.
Les chercheurs étudient également la possibilité de stériliser les moustiques tigres mâles afin de réduire leur population. La technique de l'insecte stérile (TIS) consiste à exposer les pupes des moustiques mâles (le stade précédant l'âge adulte) à des rayons gamma qui décomposent l'ADN de leurs spermatozoïdes. Une fois relâchés dans la nature, les mâles stérilisés s'accouplent avec une femelle, mais les œufs qu’elles pondent ne sont pas viables.
Technique prometteuse, la TIS présente quelques inconvénients. "Il n'est pas facile de sélectionner et de séparer les pupes mâles", explique Anna-Bella Failloux. "Et la méthode nécessite d'avoir accès à des laboratoires où l'on peut élever des moustiques, ce qui est coûteux à financer".
La solution la plus efficace jusqu'à présent a été de contaminer les mâles avec la bactérie Wolbachia, qui "rend impossible la transmission d'un virus par un moustique, notamment celui de la dengue", explique Anna-Bella Failloux.
Selon le World Mosquito Programme, un essai mené sur des moustiques Aedes aegypti en Indonésie a permis de réduire de 77 % l'incidence de la dengue et de 86 % les hospitalisations pour cette maladie.
"C'est une solution très prometteuse", affirme Anna-Bella Failloux, qui estime que la seule façon d'arrêter la propagation de ces maladies est de "tuer le moustique".