Gaza : le nombre des journalistes tués s'élève à 96 depuis le début de la guerre
45 journalistes ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions en 2023, un nombre en baisse d’après le bilan annuel dressé par Reporters sans frontières.
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Un par jour. En deux mois de guerre, plus de 60 reporters et professionnels des médias ont été tués à Gaza, selon un rapport du Comité pour la protection des journalistes (CPJ) publié samedi 16 décembre. Cela représente un journaliste, caméraman ou fixeur tué chaque jour depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël le 7 octobre, déclenchée par l'attaque du Hamas sur le sol israélien.
La Fédération internationale des journalistes (FIJ), qui depuis le début des années 90 tient le compte des journalistes tués dans l'exercice de leur mission, a publié mercredi 13 décembre un rapport avec les mêmes conclusions : "La guerre à Gaza a déjà fait beaucoup plus de morts parmi les professionnels des médias que n'importe quel autre conflit."
Les deux rapports dénombrent "au moins 64 journalistes et professionnels des médias confirmés morts", pour la plupart Palestiniens (57 d'entre eux), presque tous tués dans des bombardements à Gaza.
Le CPJ compte également quatre journalistes israéliens tués dans les attaques menées par des groupes armés palestiniens le 7 octobre, ainsi que trois journalistes libanais tués par les forces israéliennes à la frontière du Liban avec Israël.
Des chiffres bien plus alarmistes que le dernier rapport de Reporters sans frontières (RSF) publié jeudi 14 décembre, qui dénombre "seulement" 17 journalistes ayant perdu la vie en faisant leur métier à Gaza.
Cette disparité entre les chiffres de Reporters sans frontières et ceux de la FIJ et du CPJ s'explique par le fait que RSF ne compte que les journalistes encartés et tués dans l'exercice de leurs fonctions, et non tous les professionnels des médias, qui ont par exemple perdu la vie dans les bombardements de leur maison.
Le CPJ fait également état de 13 journalistes blessés, 19 autres arrêtés et trois portés disparus. Il reporte également de multiples agressions, menaces, cyberattaques, censure et meurtres de membres de la famille de journalistes.
Agression filmée
Plusieurs témoignages et vidéos viennent documenter ces données. La dernière en date, publiée le 15 décembre et rapidement devenue virale, montre un journaliste de l'agence de presse officielle turque Anadolu passé à tabac alors qu'il tentait de travailler à Jérusalem-Est occupée. La scène, retransmise en direct par la chaîne CNN Turk, montre le photojournaliste Mustafa al-Kharouf et le reporter indépendant Faiz Abu Rmeleh être interpellés et frappés par plusieurs membres des forces de sécurité israéliennes en patrouille.
Pendant cette agression filmée, un membres des forces de l'ordre israéliennes menace d'arrêter les deux journalistes, qui se sont identifiés en montrant leur carte de presse. Un soldat israélien semble vouloir tirer sur le journaliste avec son fusil d'assaut, mais utilise finalement son arme pour le frapper au visage. Mustafa Al-Kharouf est ensuite jeté à terre avant d'être roué de coups de pied, au torse et à la tête.
L'agression du photographe d'Anadolu a été condamnée samedi par le porte-parole de la Commission européenne, Peter Stano. Les forces de l'ordre israéliennes impliquées ont été suspendues jusqu'à ce que les détails de l'incident fassent l'objet d'une enquête, selon les informations de RSF.
Pour Jonathan Dagher, responsable du bureau Moyen-Orient de RSF, "le fait que ces policiers aient attaqué des reporters avec une telle brutalité, devant des caméras et des témoins, en dit long sur les violence structurelles commises par les forces israéliennes envers les reporters palestiniens".
Al Jazeera "systématiquement ciblée"
Cette semaine également, un cameraman de de la chaîne qatarie Al Jazeera a été tué par une attaque de drone israélien dans le sud de la bande de Gaza. Samer Abou Daqa faisait un reportage dans une école de Khan Younès, vendredi 15 décembre, lorsqu'il a été touché. Grièvement blessé, il est resté pendant des heures sur les lieux de la frappe car, d'après Al Jazeera, "les forces israéliennes ont empêché les ambulances" d'y parvenir.
L'armée israélienne a affirmé de son côté avoir approuvé une voie d'accès pour une ambulance palestinienne, mais que celle-ci avait choisi de prendre un autre chemin et s'était retrouvée bloquée. Elle a assuré par ailleurs qu'elle ne ciblait "jamais délibérément les journalistes" et prenait "toutes les mesures opérationnelles possibles pour protéger civils et journalistes".
Pour le correspondant d'Al Jazeera à Gaza, Wael Dahdouh, blessé au bras dans la frappe ayant tué son collègue Samer Abou Daqa, "l'occupation [israélienne] ne veut pas de la presse, elle nous a délibérément ciblés". "Il n'y avait que l'équipe d'Al Jazeera et la Défense civile dans le secteur", a-t-il affirmé samedi 16 décembre auprès de l'AFP, alors qu'il assistait aux funérailles de son collègue, quelques semaines après avoir perdu son épouse et deux de ses enfants dans un bombardement.
La chaîne Al Jazeera a quant à elle déclaré vendredi tenir "Israël pour responsable du fait de systématiquement cibler et tuer des journalistes d'Al Jazeera et leurs familles". La chaîne a annoncé sur X (ex-Twitter) déférer à la Cour pénale internationale (CPI) le meurtre de son caméraman Samer Abou Daqa.
Des attaques "délibérées", selon Human Rights Watch
Une semaine après les attaques du Hamas contre Israël, deux frappes de l'armée israélienne ont tué le 13 octobre un reporter de l'agence Reuters dans le sud du Liban et blessé six autres journalistes d'Al Jazeera et de l'AFP.
Les sept journalistes se tenaient au sommet d'une colline au sud du Liban, près de la frontière avec Israël. Ils filmaient et diffusaient des bombardements transfrontaliers entre l'armée israélienne et le Hezbollah libanais.
L'organisation Human Rights Watch (HRW) a déclaré avoir vérifié sept témoignages directs, dont ceux de trois journalistes blessés, et analysé 49 vidéos et des dizaines de photos qui indiquent que les journalistes étaient à l'écart des hostilités en cours, qu'ils étaient clairement identifiables en tant que membres de médias – ils portaient des casques et gilets pare-balles ciglés "Press" – et qu'ils étaient restés immobiles pendant au moins 75 minutes avant d'être bombardés.
L'ONG n'a trouvé aucune preuve d'une cible militaire à proximité de l'emplacement du groupe de journalistes. Les autorités israéliennes n'ont quant à elles pas réagi à ce rapport.
HRW a condamné début décembre "une attaque apparemment délibérée contre des civils" qui "devrait ou pourrait faire l'objet de poursuites pour crime de guerre".
Reporters sans frontières a de son côté déposé une plainte auprès de la CPI au début du mois de novembre pour crimes de guerre commis contre des journalistes palestiniens à Gaza et en Israël.
L'organisation y détaille les cas de neuf journalistes tués et deux blessés dans l'exercice de leurs fonctions, mentionnant également la destruction intentionnelle, totale ou partielle, des locaux de plus de 50 médias à Gaza.
"90 % des crimes contre des journalistes restent impunis", selon Reporters sans frontières
"C'est l'information qu'on assassine"
En France, dans une tribune publiée jeudi 14 décembre dans le journal Le Monde, un collectif de journalistes spécialistes du Proche-Orient demande à Emmanuel Macron d'intercéder auprès du Premier ministre israélien afin de permettre aux reporters palestiniens travaillant pour la presse française d'emprunter le poste-frontière de Rafah entre Gaza et l'Égypte.
La branche française de la Fédération internationale des journalistes avait appelé à manifester dimanche 17 décembre à Paris, déclarant qu'il était " plus qu'urgent d'assurer une protection effective pour tous les journalistes dans la bande de Gaza, mais aussi en Cisjordanie et à la frontière avec le Liban, ainsi que leur liberté de circulation".
Dans le cortège, parti de la place de la République, des journalistes sont venus soutenir leurs collègues à Gaza, tandis que d'autres manifestaient plus généralement contre la guerre entre Israël et le Hamas. Tous se sentaient concernés par la question des journalistes tués dans ce conflit.
"C'est la première fois dans le monde qu'il y a autant de journalistes tués sur le terrain dans une guerre" affirme Ahmed, photographe de formation de 35 ans. "C'est intentionnel", estime-t-il, brandissant la photo d'Ahmed Fatima, un photographe de la télévision égyptienne Al Qahera News tué dans un bombardement à Gaza. Pour Ahmed, Israël "ne veut pas que les gens sachent qu'il se passe sur le terrain".
"La photo parle d'elle-même", déclare de son côté Azar, un Parisien de 57 ans, en tenant dans ses mains la photo du correspondant d'Al Jazeera à Gaza, Wael Dahdouh, aux funérailles de son enfant, le 26 octobre. "Les journalistes de Gaza sont délibérément visés", affirme-t-il. "Ils sont nombreux à avoir été menacés, des maisons de journalistes ont été bombardées. Ils sont ciblés."
"Je me suis dit qu'il était temps de se mobiliser pour les journalistes", affirme Dominique, journaliste à RFI (radio qui fait partie, comme France 24, du groupe France Médias Monde). Elle porte une pancarte montrant le correspondant de Palestine TV, Mohammed Abou Hattab, tué avec sa famille dans une frappe israélienne à Gaza le 2 novembre.
"Les journalistes sont souvent délibérément visés par l'armée israélienne et donc ils ne sont clairement pas des victimes parmi les victimes civiles. Ce sont des gens qui sont ciblés dans le cadre de leur profession, et là je trouve que toutes les bornes sont dépassées et qu'il est urgent de le faire savoir".
"Il y a quand même environ 60 journalistes tués à Gaza, pas tous forcément ciblés, mais je suis particulièrement inquiète : c'est clairement le droit de la liberté d'expression, le droit de la liberté de la presse qui n'est plus du tout respecté dans ce conflit, ça devient insupportable. "
"Assez rapidement, nous avons fondé un collectif de journalistes solidaires", explique Shaï, journaliste de 22 ans, qui brandit la photo de Farah Omar. Cette reporter pour la chaîne de télévision libanaise Al Mayadeen TV a été tuée par un tir de roquette dans le sud du Liban le 21 novembre. "On a fait une action un peu dans la précipitation, en se disant : 'Vite ! Il faut qu'on fasse quelque chose car il y a des journalistes assassinés là-bas et il n'y a aucune sécurité.' D'autres se sont joint à cette dynamique et on a écrit une tribune", explique-t-elle. Le texte, "Plus de 200 journalistes appellent à la fin des crimes commis par Israël contre les journalistes", a été publié début décembre dans L'Humanité. "Il n'y a pas que des civils que l'on tue, c'est l'information qu'on assassine", conclut-elle.