Élections britanniques : la victoire du Sinn Fein en Irlande du Nord, un séisme politique
Les résultats sont enfin tombés dans la nuit de samedi à dimanche, le parti nationaliste Sinn Fein vient d’obtenir la majorité à l’Assemblée d’Irlande du Nord.
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« Une nouvelle ère. » Les résultats sont enfin tombés dans la nuit de samedi à dimanche, et ils sont historiques. Jeudi, les Irlandais du Nord étaient appelés à élire les nouveaux membres de leur Assemblée. Et ils ont choisi d’y placer une majorité d’élus du parti Sinn Fein, défenseur de la réunification de toute l’Irlande. Une grande première : depuis la création de la province britannique du nord en 1921, les unionistes - partisans du rattachement à la couronne d’Angleterre - avaient toujours été au pouvoir.
Au terme d’un long dépouillement, le Sinn Fein a obtenu samedi 27 sièges à l’Assemblée locale de Stormont, où étaient renouvelés les 90 élus lors d’un scrutin organisé jeudi, contre 25 pour son rival unioniste DUP, fidèle à la couronne britannique.
Pour quoi votaient les Britanniques ?
Jeudi, les Britanniques étaient appelés aux urnes pour toute une série d’élections locales. En Angleterre, plus de 4 000 sièges étaient en jeu pour les conseils locaux de plusieurs agglomérations et de Londres. Des places étaient également à prendre dans les conseils locaux d’Écosse et du Pays de Galles.
Mais c’est sans doute en Irlande du Nord que l’enjeu était le plus important, puisque les citoyens étaient amenés à renouveler l’Assemblée qui siège à Belfast. Composée de 90 membres, elle légifère sur les domaines qui ne dépendent pas du Parlement britannique, comme le logement, l’emploi, l’éducation, la santé, l’agriculture et l’environnement.
L’Assemblée d’Irlande du Nord est aussi chargée de nommer l’exécutif du territoire, qui doit être composé des unionistes (défendant le rattachement à la couronne anglaise) et des républicains (prônant une unification de l’Irlande). « L’accord de 1998, qui a mis fin à la période de Troubles et a créé le parlement dévolu d’Irlande du Nord, prévoit qu’il y ait deux leaders : le Premier ministre, qui est le dirigeant du parti arrivé en tête, et le vice-Premier ministre, le dirigeant du parti arrivé deuxième », complète Maud Michaud, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l’université du Mans.
Qu’est-ce que le parti Sinn Fein ?
Autrefois, le Sinn Fein (qui signifie « nous-mêmes » en Irlandais) était la vitrine politique des paramilitaires de l’Armée républicaine irlandaise (IRA). Aujourd’hui encore, sa raison d’être reste la réunification de toute l’île d’Irlande. D’ailleurs, la vice-présidente du parti, Michelle O’Neill, est elle-même profondément républicaine - son père a été emprisonné pour ses liens avec l’IRA. Mais le Sinn Fein a évolué et aborde d’autres thématiques.
Il s’est construit « une image médiatique de plus en plus respectable », note Maud Michaud. Positionné à gauche, il est « plus progressiste » que son principal opposant, le DUP (Democratic unionist party), qui est, lui, « vraiment très conservateur », relève la maîtresse de conférences. Si le Sinn Fein se retrouve au cœur de l’actualité grâce à sa victoire historique, il a, en fait « toujours eu une place importante, culturellement parlant », rappelle la spécialiste.
Que va changer la victoire du Sinn Fein ?
Dans les faits, la victoire du Sinn Fein implique que la cheffe de file du parti, Michelle O’Neill, deviendra first minister (Première ministre) d’Irlande du Nord, et que le dirigeant du DUP, lui, aura le poste de deputy first minister, soit vice-Premier ministre. Concrètement, ils « ont exactement les mêmes pouvoirs », explique Maud Michaud, « mais en Irlande du Nord, les mots ont une grande importance », nuance-t-elle. « Ce serait une catastrophe en termes d’image pour le DUP ».
Les deux partis ont souvent été amenés à travailler ensemble, mais jusqu’ici, les rôles étaient inversés, puisque les unionistes étaient majoritaires. « Pour l’instant, le DUP n’a pas été capable de dire s’il resterait en place à l’Assemblée en cas de victoire du Sinn Fein », rappelle la maîtresse de conférences. Jeffrey Donaldson, le leader du DUP a répété ce samedi que sa formation refuserait de rejoindre un nouveau gouvernement d’union sans changement au statut post-Brexit de la province britannique. Un départ de l’Assemblée, alors que les accords de 1998 prévoient une coalition entre unionistes et nationalistes, serait un véritable séisme politique. Ce qui explique que le résultat de cette élection soit si scruté.
Dans la foulée de la confirmation de la victoire du Sinn Fein, Londres a rapidement appelé à l’union. « Avant tout, ce que nous voulons voir (...), c’est de la stabilité », a déclaré ce dimanche le vice-Premier ministre britannique, Dominic Raab, sur Sky News. « Nous voulons voir un exécutif être formé » et « les partis s’unir pour fournir cette stabilité aux gens ». Avant de rencontrer les dirigeants des partis locaux lundi, le ministre britannique chargé de la province, Brandon Lewis, a aussi estimé sur la BBC qu’il s’agissait d’un « moment important pour montrer que tout le monde peut travailler ensemble ».
Comment expliquer ce résultat ?
Il ne s’agit pas tant d’une percée de Sinn Fein - qui est souvent arrivé deuxième - que d’un recul du DUP. D’abord, en raison de son positionnement très conservateur. Le Parti unioniste démocrate « est anti-avortement, opposé au mariage pour tous… Des choses qui n’ont plus de résonance pour une partie de la population », analyse Maud Michaud. Autre facteur défavorable, les électeurs unionistes ne se tournent pas vers un seul parti, puisque outre le DUP - qui capte tout de même la majorité de l’électorat -, le UUP (Ulster Unionist Party) et Alliance défendent également le rattachement à la couronne d’Angleterre.
La perte de vitesse du DUP s’explique aussi par le Brexit. Car la majorité de la population nord-irlandaise a voté contre la sortie de l’UE, à l’inverse du parti unioniste, allié de Boris Johnson à l’époque. Or, « les affres du Brexit sont bien visibles en Irlande du Nord, avec la hausse des prix, des problèmes de transport… », énumère Maud Michaud. Le « protocole » avec le Royaume-Uni impliquant notamment le contrôle des produits alimentaires et agricoles passe mal. Le DUP lui-même a été déçu par la gestion du Brexit par Boris Johnson, au point que le Premier ministre nord-irlandais, Paul Givan, a démissionné en février dernier, laissant son poste vacant pendant des mois. C’est désormais Michelle O’Neill qui reprend les rênes.