La "cosmologie noire" bientôt sondée sur 10 milliards d'années par le télescope Euclid - Sciences et Avenir
Le télescope spatial Euclid, qui doit être lancé cet été par SpaceX depuis Cap Canaveral (Etats-Unis), a été dévoilé à la presse le 21 février dans les installations de Thales Alenia Space à Cannes. Sciences et Avenir a rencontré à cette occasion Giuseppe Racca, directeur du programme Euclid à l'ESA. Entretien.
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Giuseppe Racca est directeur du programme Euclid à l'Agence spatiale européenne (ESA). Il évoque cette mission scientifique dans un entretien accordé à Sciences et Avenir.
Sciences et Avenir : Après son lancement prévu pour juillet 2023, le télescope spatial rejoindra en un mois son orbite autour du point de Lagrange L2, à 1,5 million de kilomètres de la Terre à l'opposé du Soleil. Quelle sera sa mission ?
Giuseppe Racca : La mission scientifique Euclid, qui devrait démarrer en octobre 2023, est une mission cosmologique centrée sur l’évolution de l'Univers au cours des dix derniers milliards d'années. Or, durant cette période, il s’est passé quelque chose d’intriguant. Si en 1929 Edwin Hubble a mis en évidence que l’Univers était en expansion, en 1998 deux équipes internationales ont montré que cette expansion de l’Univers s’était mise à accélérer il y a cinq milliards d’années.
Comment l’expliquer ?
L’une des hypothèses avancées remet en selle la constante cosmologique, un terme ajouté aux équations de la Relativité générale en 1917 par Einstein, pour que sa théorie décrive un Univers invariable dans le temps, selon l’idée qui prévalait alors. Cette constante cosmologique pourrait être une qualité de l'espace vide – et non pas de la matière – qui agirait comme une force de répulsion ayant une densité constante dans le temps et l'espace.
Donc, dans les premiers âges de l’Univers, quand l'espace était petit, cette énergie était peu ressentie. Mais dès que l'Univers est devenu assez grand, cette énergie du vide est devenue plus influente que la matière. Pour en avoir le cœur net, le satellite Euclid va nous permettre de mesurer la constance ou la variabilité de l’énergie du vide (ou énergie noire) au cours des dix derniers milliards d’années.
Quelles sont les autres hypothèses ?
L’existence d’un champ scalaire tel que décrit par la mécanique quantique est également avancée. Mais jusqu'à présent, nous ne sommes toujours pas parvenus à unifier la théorie de la relativité générale et la mécanique quantique, donc il est difficile d’envisager des solutions proposées par cette dernière. D’autant que ce champ a un ordre de magnitude 130 fois différent de ce qu'on observe !
Quel est le deuxième volet de la mission ?
Euclid va également étudier la distribution et l'évolution de la matière au cours des dix derniers milliards d'années. Et par matière, on entend non seulement la matière visible, soit 4,6 % de la composition de l’Univers, mais aussi la matière noire, dont l’influence gravitationnelle est mesurée, mais dont la nature demeure inconnue.
Elle n’émet pas de lumière et ne peut sans doute pas être décrite par le modèle standard de la physique des particules. Toutes les tentatives de détection de neutrinos et autres particules exotiques sont restées jusqu’à présent sans résultat. Euclid permettra non pas d'élucider la nature de cette matière noire, mais de décrire sa distribution. La matière noire semble être distribuée en halo autour des galaxies. Elle semble avoir joué un rôle essentiel dans la formation des étoiles et des grandes structures de l'Univers. Sans elle, il n'y aurait pas eu assez de matériaux pour permettre à la gravité d’allumer des étoiles. Aussi, certains qualifient-ils la matière noire d’utérus stellaire…
Quelle sera la différence de cette cartographie de la matière noire avec celles réalisées préalablement ?
Les cartographies existantes sont focalisées sur des portions d’Univers. Euclid va faire la même chose mais de manière encore plus détaillée et sur toute la voûte céleste observable. Grâce à ses instruments optiques grand angle, le télescope de 1,2 mètre de diamètre va ainsi observer pendant six ans 15.000 degrés carrés des 40.000 degrés carrés du ciel - soit environ 36% de l’Univers -, le reste étant en quelque sorte occulté par les étoiles et les nuages de la Voie lactée et les corps du système solaire. Cela prendrait 900 ans au télescope spatial Hubble pour assurer une telle couverture du ciel ! Cela va nous permettre de tester la théorie de la relativité générale d'Einstein à l’échelle cosmologique. Et nous ne sommes pas à l'abri de surprises...