La « ligne bleue », un second front à la frontière entre le Liban et Israël sous haute tension
À la frontière nord d’Israël avec le Liban et en Cisjordanie occupée, la menace d’un embrasement augmente de jour en jour.
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L’armée israélienne a augmenté sa pression sur les combattants du mouvement islamiste Hezbollah au Liban depuis quelques jours. Des ministres israéliens évoquent aussi de plus en plus ouvertement la possibilité d’une offensive de plus grande ampleur au nord. Alors même que l’armée israélienne se bat déjà contre le Hamas à Gaza ?
C'était perçu par Israël comme le scénario catastrophe depuis le début de la guerre contre le Hamas à Gaza, le 7 octobre. L’ouverture d’un second front à la frontière libanaise contre le Hezbollah, mouvement islamiste politico-militaire pro-iranien, était redoutée par l’État hébreu et crainte par les États-Unis, principal allié d’Israël. Washington avait même envoyé deux porte-avions au large du Liban pour tenter d’intimider le Hezbollah.
Pourtant, la rhétorique semble avoir évolué à Tel Aviv, et l’armée israélienne se montre de plus en plus entreprenante au nord. Le très droitier ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a assuré le 6 décembre qu’Israël était prêt à "utiliser tous les moyens nécessaires pour repousser le Hezbollah plus loin de la frontière". Même Benny Gantz, le leader de l’opposition qui a rejoint le gouvernement le temps de la guerre contre le Hamas, a abondé dans le sens des faucons de droite en assurant, le 16 décembre, qu’Israël "saurait faire reculer" le mouvement pro-Iranien.
"Situation tendue" et une "certaine retenue"
En parallèle de ce discours plus va-t-en guerre qu’auparavant, l’armée israélienne a intensifié ses frappes. Elle a ainsi visé un "centre de commandement" du Hezbollah dans le sud du Liban, mercredi 20 décembre. "Ce n’est pas la première fois, mais ce n’est pas un type de cible qu’Israël a l’habitude de viser", assure Omri Brinner, analyste israélien et spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient à l’International Team for the Study of Security Verona (ITSS), un collectif international d’experts des questions de sécurité internationale.
Le Hezbollah envoie aussi presque quotidiennement des obus le long de la frontière. La "situation actuelle est vraiment tendue, avec un nombre de victimes des deux côtés – même s’il est plus important pour le Hezbollah – qui ne fait qu’augmenter", résume Filippo Dionigi, spécialiste du Hezbollah à l'université de Bristol, en Angleterre. "S’il n’y avait pas une guerre en cours au sud, les échanges de tirs actuels à la frontière libanaise auraient déjà débouché sur un conflit ouvert entre Israël et le Hezbollah", ajoute Omri Brinner.
Mais pour l’instant, "les deux camps font preuve d’une certaine retenue en refusant encore l’escalade", confirme Filippo Dionigi. Dans ce contexte, les récentes déclarations des responsables israéliens et les tirs de Tsahal inquiètent Washington au plus haut point. "Si Israël n’a pas encore mené d’attaque au sol contre les positions du Hezbollah au Liban, c’est à cause de l’intense pression exercée par l’allié américain", assure Clive Jones, directeur de l’Institute for Middle Eastern and Islamic Studies de l’université de Durham.
Car la plupart des experts régionaux s’accordent à dire que "la décision de transformer cette situation en guerre ouverte dépend principalement d’Israël", affirme au Guardian Randa Slim, directrice chargée de la gestion des conflits au Middle East Institute à Washington. Sur la même longueur d’onde, Filippo Dionigi détaille : "Les grandes puissances internationales qui ont un intérêt dans la région – États-Unis, France, Union européenne – ne veulent pas voir une crise régionale éclater, le Hezbollah risque gros en terme de pertes et d’image au Liban s’il est perçu comme ayant entraîné le pays dans une guerre." Quant à l’Iran, la puissance tutélaire du Hezbollah, "elle préfère mener une guerre d’attrition contre Israël", ajoute l’expert de l’université de Bristol.
De son côté, l’État hébreu "a revu ses priorités sécuritaires, y compris au nord, depuis l’attaque du Hamas sur le sol israélien du 7 octobre", souligne Omri Brinner. Israël a décidé de "déplacer environ 200 000 citoyens qui se trouvaient près de la frontière libanaise à cause du risque d’être à portée de feu du Hezbollah", souligne Clive Jones. Les autorités israéliennes affirment que ces individus ne peuvent pas retourner chez eux tant que le Hezbollah n’a pas reculé.
Du temps pour les diplomates
"Il n’y a donc que deux options aux yeux d’Israël : soit une retrait négocié, soit, à défaut, un retrait imposé par la force", résume Ahron Bregman, politologue et spécialiste du conflit israélo-palestinien au King’s College de Londres.
Pour cet expert, la diplomatie a encore un peu de temps pour accoucher d’une solution. "Les Israéliens se plaignent, par exemple, que le Hezbollah ne s’est jamais retiré au nord de la rivière Litani (à 30 km de la frontière israélienne), en accord avec la résolution 1701 des Nations unies", souligne Clive Jones. L’Onu n’a, en effet, jamais réussi à faire respecter par le Hezbollah ce texte adopté en 2006 censé garantir la fin des hostilités entre Israël et le mouvement islamiste pro-Iranien.
Une autre solution, qui a la faveur des États-Unis, serait la création d’une zone tampon à la frontière entre le Liban et Israël, ce qui "forcerait le Hezbollah à reculer de plusieurs kilomètres", note Filippo Dionigi.
Reste que ces combattants pro-Iraniens vont avoir du mal à accepter un quelconque retrait. "Ils ont déjà fait savoir qu’ils ne bougeront pas tant que la guerre continuera à Gaza. Et comme ils ont déjà perdu une centaine de combattants depuis le 7 octobre, ils ne vont pas se retirer sans obtenir une contrepartie", assure Filippo Dionigi.
Pas sûr que le gouvernement israélien soit prêt à la moindre concession. "Ce qu’il faut bien comprendre c’est que l’armée israélienne est maintenant convaincue qu’une nouvelle guerre contre le Hezbollah, et aussi l’Iran, est inévitable. Peut-être pas demain ou la semaine prochaine, mais bientôt. Et tant qu’à faire, mieux vaut attaquer rapidement plutôt que prendre le risque d’attendre et de se retrouver avec un ennemi iranien qui, d’après eux, va inévitablement devenir une puissance nucléaire prochainement", explique Omri Brinner.
Une guerre aux conséquences "catastrophiques"
Si nécessaire, l’État hébreu préfèrerait une guerre sur deux fronts plutôt que d’avoir à affronter un ennemi soutenu par une puissance nucléaire. Mais une telle guerre "serait catastrophique pour tous. Le Hezbollah, avec ses plus de 150 000 missiles, a la capacité d’infliger d’énormes dommages à Israël, et l’État hébreu peut causer des dégâts terribles à Beyrouth et aux infrastructures libanaises", résume Ahron Bregman.
Sans compter le coût humain… et donc politique pour Israël. "Est-ce que les Israéliens sont prêts à accepter bien plus de morts, surtout parmi les réservistes, puisque la plupart des troupes régulières sont déjà engagées à Gaza ?" s’interroge Clive Jones.
C’est pourquoi le scénario le plus probable est qu’Israël et le Hezbollah laissent la porte ouverte aux négociations le plus longtemps possible. D’autant plus pour l’État hébreu, qui veut prouver à son allié américain qu’une éventuelle guerre ouverte n’aurait lieu qu’en dernier ressort.
Mais en attendant, les deux adversaires vont continuer "leur guerre de faible intensité faite de tir d’obus et frappes aériennes", assure Ahron Bregman. Et plus elle durera, "plus le risque augmente que l’un des deux camps franchisse la ligne rouge de l’autre… par accident", souligne Filippo Dionigi. L’escalade serait, par exemple, inévitable si Israël tuait un responsable du Hezbollah lors d’une de ses frappes actuelles contre des cibles comme les centres de commandement.