Les diamants russes entrent toujours librement en Europe
Depuis de la début de guerre en Ukraine, l’Union Européenne a sanctionné des secteurs entiers de l’économie russe. Mais dans la longue liste des interdictions, une industrie brille par son absence, celle des diamants. Chaque année, les exportations de ces pierres brutes vers l’Europe rapportent près de 2 milliards d’euros à la Russie. Malgré la guerre, le commerce continue. En toute légalité.
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Le quartier des diamantaires ne paie pas de mine, trois rues sans grand éclat situées à deux pas de la gare d'Anvers. Pourtant, si l'on regarde bien, on aperçoit des caméras partout et par mesure de sécurité, des barrières empêchent l'accès du périmètre aux véhicules. Car ici se joue la plus grande part du négoce mondial de diamants.
Derrière les portes sécurisées des bourses se négocient l'achat et la vente de ces pierres précieuses, qu'elles soient taillées ou à l'état brut. Parmi celles-ci, un quart environ sont des diamants russes dont l'importation échappe encore à toute sanction.
Les professionnels se pressent sous la pluie d'un bâtiment à l'autre, la plupart refusent d'aborder le sujet. Seul Christophe, employé par une société spécialisée dans le transport des pierres précieuses, accepte de prendre quelques minutes. « Je crois que beaucoup d’entreprises et de personnes qui travaillent ici dans le secteur du diamant refusent déjà de travailler avec les diamants russes. Il y a des entreprises qui le font toujours bien sûr, mais oui, c'est une question difficile, il y a tellement d’argent en jeu ».
« Les diamants vont simplement être vendus ailleurs »
En 2021, 1,8 milliard d'euros de diamants russes ont ainsi été importés à Anvers. Les chiffres de l'année dernière ne sont pas encore connus, mais même si les estimations prévoient une légère baisse, la valeur des importations devrait tout de même atteindre 1,3 milliard d'euros. « Une somme conséquente qui finance directement la guerre en Ukraine », estiment les partisans d'une interdiction des diamants russes.
Une argumentation balayée par Tom Neys, le porte-parole de l'Antwerp World Diamond Center, l'AWDC, l'association des diamantaires d'Anvers. Il rappelle l'importance vitale du diamant pour la Belgique qui représente, selon lui, 1 500 entreprises et 30 000 emplois directs et indirects. « Si vous mettez en place des sanctions, ça veut dire que vous forcez ces entreprises à aller ailleurs. Il y a beaucoup de naïveté là-dedans. Évidemment, la Russie ne va pas arrêter de vendre des diamants parce que l’Europe va les refuser. Les diamants vont simplement s’en aller et être vendus ailleurs. Et l’Europe va, à nouveau, perdre une industrie à 40 milliards. »
Hans Merket ne croit pas à ces chiffres. Pour ce chercheur spécialiste des liens entre ressources naturelles et conflit et qui s'intéresse plus particulièrement au secteur du diamant, il y aurait pourtant moyen d'agir, mais le lobbying des diamantaires est très efficace et a des relais, reconnaît-il. « Il y a eu des pressions des hommes politiques belges. Ils ont utilisé plusieurs arguments, disant que ce secteur va déménager vers Dubaï, par exemple. Ils ont présenté beaucoup de scénarios catastrophe comme perdre des emplois, la fin d’Anvers capitale du diamant. Notre Premier ministre a même dit que l’Ukraine en pâtirait, car la Belgique tomberait dans une crise économique à cause de ces sanctions et qu’il n’y aurait plus de moyens pour aider l’Ukraine. Ce sont tous des scénarios loin de la réalité, ce qui a mené à une approche très passive. »
« Trop dur de sanctionner les diamants russes »
Effectivement, à l'heure où neuf paquets de sanctions ont déjà été adoptés par les États membres depuis le début de la guerre en Ukraine, jamais les 27 n'ont discuté d'éventuelles sanctions concernant le secteur du diamant. Pourtant, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait appelé à sanctionner les importations de diamants, source de revenus pour le pouvoir russe.
Des ONG comme Transparency International dénoncent la position hypocrite de la Belgique. « On a jamais vu ne serait-ce qu’un brouillon où aurait été marqué "oui on sanctionne les importations de diamant de Russie", remarqueRoland Papp, spécialiste des flux financiers illicites chez Transparency. Ils stoppent ce genre de proposition très en amont, avant même que ça arrive au vote. Parce que les États membres et la Commission ne veulent pas d’une surprise de dernière minute. Ils préfèrent proposer des sanctions sur lesquelles tous les États membres sont déjà d’accord. Et c’est là qu’on peut parler de cynisme pour l'ensemble du secteur du diamant et pour la Belgique. Le gouvernement belge dit publiquement qu'il ne va pas s'y opposer si c'est mis sur la liste des sanctions, mais en coulisses, il se démène depuis le début du conflit pour faire comprendre que ce serait trop dur pour lui. Par conséquent, la Commission ne le proposera jamais ! », affirme Roland Papp.
Au mois de juillet dernier, Transparency international a écrit une lettre au gouvernement belge et à la Commission européenne réclamant la mise en place de sanctions sur les importations de diamants en provenance de Russie. Elle vient de recevoir une réponse de la Commission il y a quelques jours. Sans grande surprise, celle-ci se dit consciente des appels à bannir les importations de diamants russes et déterminée à mettre en œuvre ou à renforcer les sanctions existantes. Et se contente de rappeler que toute nouvelle éventuelle sanction doit être prise à l'unanimité des États membres.