La loi du plus riche : Pourquoi et comment taxer les plus riches pour lutter contre les inégalités
Table of Contents (Show / Hide)
Un nouvel appel de millionnaires demandant à être taxés davantage a été publié à l’occasion du sommet du G20, qui se tient en Inde ce week-end. Il est cette fois-ci soutenu par des économistes et d’anciens dirigeants, signe que les mentalités évoluent petit à petit. Pour l'économiste et députée européenne Aurore Lalucq, signataire de l'appel, le monde vit actuellement une situation de crise semblable à celle de l'après-guerre, lorsque les plus riches furent mis à contribution.
Des millionnaires qui demandent à être taxés davantage : le refrain a déjà été entendu ces dernières années et le disque pourrait finir par se rayer. Mais à l’occasion du sommet du G20, organisé les 9 et 10 septembre à New Delhi, ce nouvel appel à taxer les ultrariches, soutenu notamment par l’association Patriotic Millionaires et Oxfam, a pris de l’ampleur.
Ils sont cette fois-ci 300 signataires issus de plus de 40 pays. Parmi eux figurent 65 économistes, dont un prix Nobel, 18 anciens chefs d’État, deux anciens vice-présidents de la Banque mondiale et 120 millionnaires.
"Le monde n'a jamais eu autant besoin que les plus riches contribuent. Pour la première fois depuis des décennies, l’extrême pauvreté augmente, et près de deux milliards de personnes vivent dans des pays où l'inflation a dépassé l’augmentation des salaires. De plus, le temps presse pour que les pays fassent les investissements verts nécessaires qui les mettraient en adéquation avec l’objectif de l’accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré", écrivent les signataires dans leur appel à destination des dirigeants des pays membres du G20.
"En 2021, le G20 et d'autres acteurs ont travaillé ensemble pour s'assurer que les entreprises multinationales paient un niveau d'impôt minimum. Le G20 doit maintenant convenir collectivement d'augmenter les impôts sur les individus les plus riches", ajoutent-ils.
"À chaque fois, on se rend compte que la base s’élargit, qu’il y a de plus en plus de signataires et en particulier de plus en plus de personnalités qui ont du poids. Alors que taxer les ultrariches était quelque chose un peu tabou il y a encore quelques années, cette idée devient petit à petit plus consensuelle. Et un jour, elle ne fera plus débat", veut croire la députée européenne Aurore Lalucq (Alliance progressiste des socialistes et démocrates), signataire de l'appel, contactée par France 24.
Taux d’imposition marginal de 94 % aux États-Unis
D’autant que l’expérience a déjà été menée dans le passé lors de situations exceptionnelles. En France, la loi du 1er juillet 1916 sur la contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre vise à taxer les bénéfices supplémentaires réalisés pendant la Grande Guerre grâce aux commandes militaires. Puis, lors de la Seconde Guerre mondiale, l’ordonnance du 18 octobre 1944 sur la confiscation des profits illicites vise à punir les personnes ayant fait du commerce avec l’ennemi durant l’Occupation. La totalité ou une partie des biens des personnes ayant "volontairement exercé une action contraire aux intérêts de la nation" est confisquée. Enfin, l’ordonnance du 15 août 1945 instaure l’impôt de solidarité nationale, un prélèvement sur les patrimoines et une contribution sur les enrichissements réalisés entre 1940 et 1945.
Aux États-Unis, le père du New Deal, Franklin D. Roosevelt, instaure une taxation des revenus les plus élevés que n’oserait même pas proposer en France la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). En 1942, le taux marginal de l’impôt sur le revenu atteint 88 % au-delà de 8,8 millions de dollars. Deux ans plus tard, ce taux monte même jusqu’à 94 % pour les revenus au-delà de 6,9 millions de dollars. Et même si le taux effectif d’imposition était en réalité plus bas grâce aux déductions et autres exceptions, cette importante taxation "a permis de mettre fin aux rémunérations hyper-élevées aux États-Unis au cours de la période 1930-1980, pour le plus grand bénéfice des salaires moins élevés", explique l’économiste Thomas Piketty dans Libération. Ce n’est qu’avec l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir, dans les années 1980, que la tendance s’inverse.
"Roosevelt arrive au pouvoir avec un pays en crise. Il fait un plan de relance avec des investissements massifs, met en place une très grande fiscalité, tandis que la finance et la banque sont régulées, souligne Aurore Lalucq, par ailleurs économiste. Aujourd’hui, on est en train de redécouvrir ces outils qui font la puissance publique, à un moment de notre histoire où, comme lors de l'après-guerre, nous avons besoin d’une mobilisation très forte des États. Ce n’est pas pour rien qu’on entend reparler de planification. Notre système économique doit se déconstruire pour pouvoir se reconstruire."
Alors que les crises passées ont souvent donné lieu à des remises en cause de la pensée économique dominante, les récentes crises mondiales n’ont pas débouché sur la fin du néolibéralisme. Malgré de grands discours appelant à un changement de paradigme, y compris dans la bouche des gouvernants, ni la crise financière de 2008, ni la crise sanitaire du Covid-19 en 2020 n’ont provoqué la chute de notre modèle économique.
Le débat s’est installé
Pour autant, à l’image de l’appel des millionnaires à être davantage taxés qui prend de l’ampleur, la discussion s’est installée et est devenue un sujet de débat dans des institutions qui ne sont pourtant pas des bastions d’extrême gauche, telles que l’OCDE ou la Commission européenne.
En France, le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz, publié en juin, proposait la création d’une taxe exceptionnelle sur les plus riches pour financer la transition écologique. L’économiste Jean Pisani-Ferry symbolise à lui seul l’évolution des mentalités en cours puisqu’il est celui qui avait chapeauté, en 2017, l’élaboration du programme du candidat Emmanuel Macron, supprimant notamment l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
"On se rend compte qu’une certaine idéologie du 'moins d’État', du 'small is beautiful' est allée beaucoup trop loin, alors qu’on a besoin d’argent, estime Aurore Lalucq. Mais en même temps, une partie des dirigeants et de la population a du mal à faire le deuil du modèle néolibéral et de la société consumériste. Le rapport de force reste défavorable pour le moment."
"À travers le monde, les gens n’en peuvent plus d’attendre du changement. Les sondages dans tous les pays du G20 montrent un soutien massif pour des actions politiques visant à réduire les inégalités et taxer les ultrariches. (…) Tout ce qui manque, c'est la volonté politique pour les mettre en œuvre. Il est temps pour vous de la trouver", lancent les signataires de l'appel à l'occasion du G20.
Ces derniers espèrent que l’urgence climatique, qui sera au cœur des discussions du sommet de New Delhi, permettra d’opérer la bascule qu'ils appellent de leurs vœux. Selon une étude de la Fight Inequality Alliance, un prélèvement de 2 % par an pour les millionnaires et de 5 % par an pour les milliardaires pourrait générer 2 520 milliards de dollars par an.