Un trou noir éjecte de la matière d’une étoile trois ans après l’avoir dévorée ; comprendre
Un trou noir a été repéré en train d’éjecter de la matière trois ans après avoir consommé une étoile, dans ce que les astronomes comparent à un rot cosmique.
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Trois ans après avoir détruit une étoile, un trou noir a de nouveau éjecté de la matière, un délai qui a étonné les scientifiques. "Nous avons complètement été pris par surprise, c’est du jamais vu", s'étonne Yvette Cendes du Centre d’Astrophysique d’Harvard et Smithsonian (Cambridge, Massachusetts, États-Unis). Elle et son équipe ont décrit le phénomène dans une étude publiée dans The Astrophysical Journal.
Le trou noir provoque une "spaghettification" de l'étoile attirée à lui
Un trou noir qui avale un soleil, c’est impressionnant mais tout à fait normal. Lorsque qu’elle s’en approche trop, l’étoile est déchirée sous l’effet de la gravité. Un cataclysme provoqué par les forces de marée qui répond au doux nom de "spaghettification", en référence aux distorsions subies par le corps céleste qui s’allonge et s’étire sous l’attraction du monstre cosmique.
La matière qui constitue l'étoile est attirée vers le trou noir, tourne autour, accélère et chauffe, émettant une quantité importante de rayons électromagnétiques, renvoyant même parfois un peu de matière dans l’espace. Des émissions que les astronomes se font un plaisir de capter, donnant même un nom à ces phénomènes : Événement de rupture par effet de marée, ou en anglais Tidal disruption event, abrégé en TDE.
C’est en analysant une liste de ces TDE que les scientifiques ont remarqué quelque chose de surprenant : l’un d’eux, AT2018hyz, s'est mis à rayonner de nouveau trois ans après la destruction de l'étoile ! En effet, il avait déjà été observé en 2018 pendant plusieurs mois, juste après avoir avalé une étoile dont la masse était d’environ un dixième de celle de notre Soleil. Le trou noir situé à 665 millions d'années-lumière de la Terre s’était ensuite "calmé" au bout de quelques mois et ses observateurs étaient passés à autre chose.
"Ces phénomènes sont généralement observés pour seulement quelques mois, ce qui correspond à la durée pendant laquelle les débris stellaires retombent vers le trou noir pour former un disque de matière en rotation, qui est progressivement avalé", précise à Sciences et Avenir Clément Bonnerot, chercheur post-doctoral à l'Université de Copenhague qui n’a pas participé à cette étude. Mais en juin 2021, le télescope Very Large Array (situé au Nouveau-Mexique, États-Unis) a détecté une activité montrant que le trou noir s’était "réveillé" ! L’équipe de Yvette Cendes a alors observé l’événement sous toutes les coutures grâce à de multiples télescopes.
Bizarrerie de ce trou noir : après 3 ans de "silence radio", c'est la profusion de TDE !
Les émissions d’ondes radios se sont alors révélées particulièrement intéressantes : "AT2018hyz, c’était silence radio pendant les trois premières années, et c’est maintenant un des TDE qui émet le plus d’ondes radio jamais observé", décrit Edo Berger, professeur d’astronomie à l’université d’Harvard et co-auteur de l’étude.
Un retard de plusieurs années observé avec autant de précision est inédit, et cela ouvre la voie à tout un pan d’étude sur les trous noirs. Car les causes de cet événement "retardé" sont pour l’instant inconnues, bien que l’équipe avance des hypothèses dans son article : un changement au cours du temps de la nature du disque de matière autour du trou noir, un champ magnétique important (nécessaire à l’éjection) absent qui apparaît plus tard, ou même tout simplement que le jet était présent depuis le début mais caché par la poussière et les débris autour du trou noir !
Il reste encore beaucoup à faire autour des TDE, qui sont cruciaux pour notre compréhension des trous noirs, comme le décrit Clément Bonnerot :"Les TDE permettent d'observer en temps réel la totalité du 'repas' d'un trou noir, pendant lequel son disque de gaz change d'état, ce qui peut donner lieu à des variations de son émission électromagnétique, telles que celle observée dans cette étude. L'observation de ces changements d'état - similaires aux différents "plats" de ce repas astronomique - est fondamentale pour mieux comprendre comment les trous noirs se nourrissent du gaz environnant".
L’équipe qui a publié l’étude ne s’y trompe d'ailleurs pas, et ne compte pas s’arrêter là : "Nous supposons que de tels retards sont peut-être communs pour des TDE", et ils précisent dans leurs conclusions qu’ils vont étudier un large panel de TDE pour y déceler de tels délais.