«En nous tirant dessus, ils ont voulu nous faire taire»: le récit d'un collègue de Shireen Abu Akleh
Les faits Une porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a annoncé vendredi 24 juin que, selon les conclusions de l’organisation, la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh a été tuée le 11 mai dernier par un tir des forces de défense israéliennes.
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J’étais le premier sur les lieux ce matin-là. Je me suis renseigné pour savoir où se trouvait l’armée israélienne et où se déroulaient les affrontements avec les groupes palestiniens. Là-bas se trouvaient des blindés israéliens, au niveau de cette voiture jaune en face de nous », rapporte Ali al-Samoudi.
Ali al-Samoudi : « Plutôt 200 mètres. Leur sniper peut bien sûr voir jusqu’à 3 000 mètres. Nous étions habillés en journalistes : casque et gilet pare-balles, avec la mention "PRESS", en anglais. Nous nous sommes alors mis à découvert durant cinq minutes devant l’armée, pour laisser aux soldats le temps de nous identifier. Évidemment, en tant que journalistes palestiniens, nous ne travaillons pas en coordination avec l’armée israélienne. Sur le terrain, nous communiquons via des signaux. Durant cinq minutes, nous sommes restés à découvert devant les soldats à attendre leurs instructions. Nous vivons sous occupation. Nous savons que la vie d’un Palestinien n’a aucune valeur pour l’armée israélienne. Et donc, nous nous conformons toujours aux consignes de l’armée. »
Comment avez-vous su que l’armée israélienne vous avait bien identifiés ?
« Nous sommes restés longtemps à découvert devant les soldats. On parle de l’armée israélienne, une armée moderne et suréquipée. Comme les soldats ne nous ont pas demandé de quitter la zone, nous nous sommes engagés dans la rue où ils étaient. À ce moment-là, la rue était déserte. Il n’y avait ni affrontements, ni groupes armés palestiniens. Et donc, alors que nous marchions vers les soldats, il y a eu un premier tir. J’étais en tête de cortège. Je me suis retourné, et j’ai dit à Shireen qui était juste derrière moi : "L’armée tire. On doit quitter la zone." Je n’ai pas eu le temps de finir ma phrase... J’ai senti comme une explosion dans mon dos. J’ai su qu’on m’avait tiré dessus.
Shireen a alors crié : "Ali est touché !"
La balle suivante était pour elle. Elle est tombée ici, à cet endroit. C’est là qu’elle est morte. »
Quel est l’intérêt d’Israël de cibler des journalistes. Et surtout des journalistes qui travaillent pour des médias internationaux ?
« Ce n’est pas le sniper israélien qui nous a tiré dessus qui a tué Shireen. C’est son commandant. Le soldat ne prend pas d’initiative. Il applique les ordres. L’armée d’occupation israélienne nous a tiré dessus parce qu’elle ne souhaitait pas qu’il y ait une couverture médiatique de son opération. Nous, journalistes, nous exposons au grand jour les violations commises par les forces d’occupation israéliennes. En nous tirant dessus, ils ont voulu nous faire taire au moment où ils menaient une opération d’envergure à Jénine. »
Vous avez aussi été blessé. Est-ce que c’est toujours douloureux pour vous ?
« C’est la septième ou huitième fois de ma carrière que je suis atteint par un tir israélien. Je vis dans une peur et un stress permanents. Sous le regard du monde entier, Israël a tué Shireen, et moi, j'ai échappé à la mort comme par miracle. On m’a tiré dessus… j’ai eu de la chance. Car ils ont visé mon cœur, et c’est au moment où je me suis retourné que la balle m’a atteint dans le dos. L’armée israélienne filme toutes ses opérations. Généralement, ils en publient même des extraits. Je les mets au défi de diffuser les images de cette opération-là. Mais ils ne le feront pas, parce que cela prouvera clairement leur culpabilité. »
Ce n’était pas une bavure ?
« Non. La preuve, après m’avoir touché, ils ont continué de tirer et ont fini par tuer Shireen. Shireen était une collègue, une amie, une sœur. Nous avons travaillé ensemble durant 25 ans. Le jour de sa mort, c’est moi qui l’ai réveillée. Je l’ai appelée pour lui dire qu’une opération de l’armée était en cours. Elle avait commencé sa journée en disant : "Bonjour Ali." Ses derniers mots ont été : "Ali a été touché." Elle a crié pour demander qu’on m’aide. Elle s’est sacrifiée pour une cause juste. Elle a été tuée de sang-froid. Elle est la voix de la Palestine qu’on ne fera pas taire. Nous avons un slogan aujourd’hui : "Shireen est en vie. La couverture se poursuit." »