Shireen Abu Akleh : Joe Biden sous pression avant sa visite en Israël
Pour le premier voyage au Moyen-Orient depuis son élection, Joe Biden se rend en Israël, où il risque d’être rattrapé par l’affaire de l’assassinat de la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh, le 11 mai dernier.
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Joe Biden doit s'envoler, mardi 12 juillet, pour le premier voyage au Moyen-Orient depuis son élection – un déplacement qui sera donc particulièrement scruté par les observateurs de la région. Le président américain est attendu du 13 au 15 juillet en Israël, première étape de sa tournée, où l’approfondissement du processus de normalisation entre l’État hébreu et certains pays arabes, et le renforcement de la coopération régionale contre l'Iran seront au programme de ses entretiens avec le Premier ministre israélien Yaïr Lapid.
Mais c’est un Joe Biden sous pression qui entame son périple moyen-oriental, rattrapé par l’affaire de l’assassinat de la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh, le 11 mai dernier.
La correspondante vedette d'Al-Jazira dans les Territoires palestiniens a été tuée par balle alors qu’elle couvrait, équipée d’un gilet pare-balles barré de la mention "Presse" et d’un casque de protection, une opération militaire israélienne à Jénine, en Cisjordanie occupée.
Cette affaire, très délicate d’un point de vue diplomatique pour l’administration Biden, risque d'entacher sa visite chez l’allié israélien. Pas seulement en raison de l’émoi et la colère provoqués par la mort tragique de Shireen Abu Akleh, dans la région et dans la sphère journalistique, mais aussi et surtout parce que la journaliste reconnue pour son courage et son professionnalisme est une citoyenne américaine.
La famille Abu Akleh interpelle directement Joe Biden
C’est en appuyant sur ce point précis que la famille de la journaliste, élevée au rang d’icône palestinienne depuis son assassinat, a directement interpellé le président américain dans une lettre ouverte rendue publique le 8 juillet.
Une lettre dans laquelle elle se dit "chagrinée, indignée et se sentir trahie par la réponse abjecte" de Washington sur les circonstances de la mort de la journaliste.
Dans les faits, les proches de Shireen Abu Akleh ne décolèrent pas contre le département d'État qui a indiqué, le 4 juillet, que l'analyse américaine de la balle ayant tué la correspondante d'Al-Jazira n'avait pas pu atteindre de conclusion définitive quant à l'origine du projectile, présenté comme étant "très endommagé".
"Les actions de votre administration démontrent une intention apparente de saper nos efforts en faveur de la justice", assène Anton Abu Akleh, le frère de la journaliste, dans la lettre qu’il a signé au nom des siens, accusant les États-Unis de vouloir "disculper les forces israéliennes", bien "que toutes les preuves existantes suggèrent que Shireen, une citoyenne américaine, a été victime d’une exécution extrajudiciaire".
Si les experts américains ont conclu que Shireen Abu Akleh avait "vraisemblablement" été victime d'un tir depuis une position israélienne, ils ont ajouté qu’ils n’avaient "aucune raison" de croire qu'il s'agissait d'un tir intentionnel.
En conclusion du texte également adressé au secrétaire d'État Antony Blinken, la famille appelle le président Biden à la rencontrer durant sa visite dans la région afin "d'écouter directement ses préoccupations et ses demandes de justice".
Elle appelle également le locataire de la Maison Blanche à lui fournir "toutes les informations recueillies jusqu’ici par son administration sur le meurtre de Shireen", et à presser le ministère de la Justice et le FBI de se pencher sur "l'exécution extrajudiciaire de Shireen".
Et de conclure : "Enfin, et cela devrait être inutile de le dire, nous attendons de l'administration Biden qu'elle soutienne nos efforts pour trouver les responsables et obtenir justice pour Shireen."
Un président rattrapé par la Realpolitik
La lettre de la famille, qui a également été ulcérée par l’examen de la balle fatale par l’armée israélienne, alors que l'Autorité palestinienne n’avait accepté de la confier qu’aux autorités américaines, a trouvé un certain écho dans les médias et les réseaux sociaux, qui se sont empressés de la relayer et de la commenter.
"Tous les citoyens américains sont égaux devant la loi, à l'exception des Arabes-Américains. Ils peuvent être tués par des alliés des États-Unis (comme Israël) ou kidnappés et retenus en otage par des alliés des États-Unis (comme l'Arabie saoudite) et l'administration américaine se contentera de sourire et de serrer la main des criminels", a accusé sur Twitter Iyad el-Baghdadi, un influent activiste prodémocratie d’origine palestinienne, qui jouit d’une certaine notoriété depuis les soulèvements arabes en 2011.
Encore plus embarrassant pour la Maison Blanche, l’affaire a pris une tournure politique aux États-Unis puisque des élus du Parti démocrate ont également interpellé le président Biden avant son départ pour Israël.
Ainsi, l'élue démocrate américaine d'origine palestinienne Rashida Tlaib a publié le 8 juillet un communiqué dans lequel elle réclame "une enquête criminelle libre de toute considération politique ou d’influence de gouvernements étrangers sur l'assassinat de Shireen Abu Akleh".
L’élue, connue pour avoir eu une passe d’armes avec l’État hébreu en août 2019, après que son entrée sur le territoire israélien lui avait d'abord été refusée, a dénoncé le "message" d’impunité renvoyé par l’administration Biden, alors que plus de 80 membres du Congrès ont réclamé, par écrit, l’ouverture d’une telle enquête.
Parmi les signataires figuraient notamment les représentants Alexandria Ocasio-Cortez, Jamaal Bowman, Ilhan Omar et Cori Bush.
"Lors de sa prochaine rencontre avec le Premier ministre israélien Yaïr Lapid, le président Biden doit obtenir les noms des soldats responsables du meurtre de Shireen, ainsi que celui de leur commandant, afin que ces personnes puissent être pleinement poursuivies pour leurs crimes par le ministère de la Justice", a-t-elle conclu.
Ce coup de pression tombe mal pour un président américain déjà très critiqué aux États-Unis en raison de la suite de sa visite qui le mènera, à partir de vendredi, en Arabie saoudite. Un partenaire historique des États-Unis dans la région qu’il entendait, pendant sa campagne, traiter comme un État "paria" en raison de l'assassinat, en octobre 2018, du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.
Signe du malaise de la Maison Blanche, Joe Biden a jugé nécessaire de justifier, dans une tribune publiée le 9 juillet par le quotidien The Washington Post, sa prochaine rencontre avec le prince héritier Mohammed ben Salmane.
Et ce, alors qu’il avait lui-même déclassifié, en février 2021, un rapport des services de renseignement américains concluant que "MBS" avait "validé" l'opération visant à "capturer ou tuer" le journaliste... alors résident aux États-Unis et chroniqueur du même quotidien américain.
"Je sais que nombreux sont ceux qui ne sont pas d'accord avec ma décision de me rendre en Arabie saoudite, écrit le président des États-Unis. Mes opinions sur les droits de l'Homme sont claires et anciennes, et les libertés fondamentales sont toujours à l'ordre du jour lorsque je me déplace à l'étranger, comme elles le seront au cours de ce voyage, tout comme elles le seront en Israël et en Cisjordanie."