Turquie: Erdogan obtient 49,51% des voix, second tour le 28 mai
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On le disait usé par le pouvoir et affaibli politiquement. Malgré le mécontentement populaire, nourri par une économie turque en crise chronique et la gestion très critiquée du double séisme de février, Recep Tayyip Erdogan est en ballotage favorable avant le deuxième tour de la présidentielle, qui se tiendra le 28 mai.
Le président sortant a fait mieux que résister à Kemal Kilicdaroglu, son rival issu d’une coalition hétéroclite de six partis et soutenu par le Parti démocratique des peuples (HDP) pro-kurde, puisque les électeurs l’ont placé, le 14 mai, en tête à l’issue du premier tour du scrutin.
Avec 49,51 % des voix, contre 44,88 % pour son adversaire, le Reis, à qui certains sondeurs turcs promettaient il y a encore quelques semaines une défaite dès le premier tour, va repartir en campagne avec de l’avance et même de possibles réserves de voix.
Alors même si son champion, au pouvoir depuis 2003, est forcé de disputer un second tour inédit dans le pays, le moral est au beau fixe dans le camp de Recep Tayyip Erdogan. "Je crois sincèrement que nous continuerons à servir notre peuple ces cinq prochaines années", a lancé avec confiance le chef de l’État dans la nuit devant ses partisans.
Avantage Erdogan ?
Une confiance sans doute gonflée par les résultats préliminaires des élections législatives organisées le même jour et qui offrent une majorité parlementaire pour l'alliance au pouvoir, l'AKP et le parti d'extrême droite MHP.
Selon les experts, ces résultats pourraient donner à Recep Tayyip Erdogan un avantage décisif avant le second tour et le pousser à faire campagne contre la perspective d’une cohabitation en ces temps de crises. La stabilité contre l’inconnu.
"Les jeux restent ouverts avant le deuxième round de la présidentielle sachant que la politique turque est pleine de surprises", estime Samim Akgonul, historien et politologue, directeur du département d'études turques de l'Université de Strasbourg. "Pour la première fois Erdogan se retrouve dans une situation de semi-échec, puisqu’il va devoir se représenter devant les électeurs lors de ce deuxième tour. Il s’agit d’une réussite pour l’opposition, mais d’une réussite en catimini".
Selon Samim Akgonul, la majorité acquise au Parlement représentera un atout important pour le camp du président sortant. "On se rappelle que, lors de son arrivée au pouvoir, Erdogan fustigeait dans ses discours les coalitions gouvernementales responsables, selon lui, de toutes les crises, et assurait qu’il valait mieux avoir un régime stable", précise-t-il. "Il va certainement utiliser le même argument pour fustiger la possible cohabitation en cas de victoire de Kilicdaroglu, et peut-être qu’il sera entendu par l’électorat".
Un avis que partage Bayram Balci, chercheur au CERI-Sciences-Po à Paris et ancien directeur de l'Institut français d'études anatoliennes (IFEA). "Il sera demandé à la population, [lors de l’entre-deux-tours], de faire preuve de cohérence pour éviter une espèce de cohabitation à la turque. Il y a donc de fortes chances que celui qui s’impose au Parlement en tire les bénéfices dans deux semaines, lors du second tour de la présidentielle", souligne-t-il.
Une opposition résignée ?
De son côté, l’opposition essaye toujours de croire en ses chances d’offrir une alternance à la Turquie. Kemal Kilicdaroglu n’a pas renoncé et se montre optimiste, se disant confiant de pouvoir l'emporter au second tour.
"On peut craindre qu’il y ait une espèce de résignation et de fatalisme qui se propagent dans les rangs de l’opposition et qu’elle se dise que finalement il n’y a rien à faire contre Erdogan, qui, s’il gagne dans deux semaines, restera cinq ans de plus au pouvoir", estime Bayram Balci.
"La dynamique est clairement en faveur du président sortant parce que l’opposition a vraiment semblé jeter toutes ses forces dans la bataille pour l’emporter dès le premier tour", explique de son côté Ludovic de Foucaud, correspondant de France 24 en Turquie. "Or elle a échoué, et l’idée selon laquelle, si elle ne l’emportait pas au premier round, elle ne l’emporterait pas du tout, a fini par s’insinuer dans l’esprit des Turcs", souligne-t-il.
Vers un marchandage avec Sinan Ogan, unique réserve de voix
Même mathématiquement, l’espoir de voir le candidat de l’opposition rattraper son retard est mince. "On voit que la base électorale d’Erdogan reste solide, même si la campagne a été très injuste - l’appareil d’État a été consacré à la propagande de l’alliance du régime en place", ajoute Samim Akgonul. "Un phénomène qui se répétera pour la première fois dans l’Histoire de la Turquie lors de l’entre-deux tours".
"L’opposition ne dispose pas de beaucoup de cartes pour renverser la donne en sa faveur", confie aussi Bayram Balci. "Elle a fait tout ce qu’elle a pu jusqu’ici, avec un travail remarquable d’unification et de rassemblement, et ne peut pas, à mon sens, aller au-delà. Sauf peut-être à mener de vrais marchandages avec Sinan Ogan, le 3e homme de l’élection. Reste à savoir comment et sur quelles bases".
Le sort des deux hommes dépendra en effet en partie des consignes de vote de l'ultranationaliste Sinan Ogan, qui a recueilli 5,2 % des voix au premier tour. "Sinan Ogan va négocier durement ses 5%, lui qui incarne l’unique réservoir de voix", prévient Samim Akgonul.
Toutefois, à moins d’un coup de théâtre politique, le profil du troisième homme ne laisse pas beaucoup de place au doute selon Bayram Balci. "Sinan Ogan sera en quelque sorte l’arbitre du second round de la présidentielle. Et il est assez en mesure de s’entendre avec le président sortant pour lui apporter son soutien".
L’ancien député d'extrême droite entretient le suspense autour de ses intentions. Il s’est bien gardé, jusqu’ici, d’annoncer s'il soutiendrait l'un des deux candidats encore en lice.