Après l’expiration de l’ultimatum de la Cédéao, le Niger plonge dans l’inconnu
NIAMEY (Reuters) - Le Niger attendait lundi la réponse de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) alors que la junte militaire qui a pris le pouvoir dans le pays a ignoré l'ultimatum visant à rétablir le président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum, ce qui pourrait conduire le bloc africain à lancer une intervention militaire.
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Les dirigeants des pays de la Cédéao doivent se réunir jeudi à Abuja au Nigeria après la fin de l'ultimatum lancé aux putschistes au Niger. Mais entre un cadre juridique fragile, la crainte d'un embrasement régional et un bloc ouest-africain profondément divisé, une éventuelle intervention armée se heurte à de nombreux obstacles.
Après la fin de l'ultimatum lancé aux putschistes à Niamey, la Cédéao à l'heure des choix. Loin de se plier aux exigences du bloc ouest-africain et des Occidentaux appelant à un retour à l'ordre constitutionnel au Niger, les militaires nigériens ont annoncé, lundi 7 août, la fermeture de l'espace aérien du pays "face à la menace d'intervention qui se précise à partir des pays voisins".
"On ne voit pas pour le moment des signes d'une attaque imminente après la fin de l'ultimatum", précise toutefois Serge Daniel, le correspondant de France 24 en Afrique de l'Ouest, selon qui "la junte communique et cherche à mobiliser la population".
Selon un communiqué officiel, les dirigeants des pays de la Cédéao doivent se réunir jeudi à Abuja au Nigeria.
Lundi matin, Niamey s'est réveillé dans le calme au lendemain d'une démonstration de force de près de 30 000 partisans des militaires qui se sont rassemblés dans le plus grand stade du Niger situé dans la capitale.
La semaine dernière, les chefs d'état-major des armées de la Cédéao, Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest, ont annoncé avoir élaboré un plan en vue d'une possible intervention militaire au Niger, si le président Mohamed Bazoum, qui se dit pris en otage, n'était pas réinstallé d'ici dimanche.
En ordre dispersé
"La Cédéao joue ici sa crédibilité car elle a été relativement faible vis-à-vis des coups d'État au Mali et au Burkina Faso, elle ne peut plus se permettre de l'être", estime le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française aux Nations unies, sur l'antenne de France 24.
Selon le journal Le Monde, près de 50 000 soldats pourraient être mobilisés au sein des pays de la Cédéao dont le Nigeria, le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le Bénin.
"Les pays de la région restent partagés. Si le Sénégal et la Côte d'Ivoire ont dit qu'ils étaient favorables à une intervention militaire, on n'a pas beaucoup entendu les autres membres de la Cédéao. Qu'en pense par exemple un pays comme le Ghana qui est pourtant un acteur majeur de la sous région ?", interroge Stéphane Ballong, rédacteur en chef Afrique de France 24.
Par ailleurs, le Tchad, une importante puissance militaire africaine et pays voisin du Niger, a d'ores et déjà indiqué qu'il ne participerait à aucune intervention.
N'Djamena "n'interviendra jamais militairement. Nous avons toujours prôné le dialogue. Le Tchad est un facilitateur", a déclaré, dimanche soir, Daoud Yaya Brahim, le ministre de la Défense de ce pays qui n'est pas membre de la Cédéao.
De leur côté, les putschistes de Niamey ont promis une "riposte immédiate" à "toute agression". En revanche, une aide directe de leurs homologues du Mali et du Burkina Faso, alliés de la nouvelle junte au Niger, semble peu probable, selon le général Trinquand.
"Le Mali et le Burkina Faso ont assez à faire avec les jihadistes pour ne pas avoir de forces à consacrer au Niger", assure l'expert. "Le rapport de force penche donc très nettement en faveur de l'organisation ouest-africaine".
L'armée malienne a toutefois annoncé, lundi, l'envoi à Niamey par le Mali et le Burkina Faso d'une délégation officielle conjointe en "solidarité" avec le Niger.
La crainte d'un nouveau facteur d'instabilité au Sahel
L'option militaire se heurte pour le moment à une forte résistance de plusieurs voisins de Niamey. L'Algérie, qui partage près de 1 000 km de frontières avec le Niger, a notamment émis des réserves à une intervention. Le président Abdelmadjid Tebboune a assuré à la télévision publique que l'usage de la force serait "une menace directe" pour son pays. "Il n'y aura aucune solution sans nous (l'Algérie)", a-t-il ajouté, craignant que "tout le Sahel (ne) s'embrase" en cas d'intervention.
"Il faut empêcher le scénario catastrophique d'une guerre", a alerté de son côté un collectif de chercheurs, spécialistes du Sahel, dans une tribune publiée samedi dans le quotidien français Libération. "Une guerre de plus au Sahel n'aura qu'un vainqueur : les mouvements jihadistes qui depuis des années construisent leur expansion territoriale sur la faillite des États", écrivent-ils.
Même au Nigeria, la grande puissance militaire de la Cédéao avec ses 200 000 hommes et locomotive d'une éventuelle intervention armée au Niger, des voix s'élèvent pour critiquer les velléités guerrières du président Bola Tinubu.
Vendredi soir, les sénateurs du nord du pays, confronté à la violence de Boko Haram et de divers groupes armés, se sont inquiétés d'une implication du Nigeria avant que la plus grande coalition d'opposition ne s'emporte contre un projet "non seulement inutile, mais irresponsable".
"Depuis plusieurs jours, les appels de la classe politique se sont multipliés pour demander à la Cédéao de privilégier la négociation. Malgré une majorité à sa botte, le président Tinubu sait qu'il aura fort à faire pour obtenir l'aval du Sénat pour engager des soldats nigérians dans une force d'intervention au Niger", analyse Moïse Gomis, le correspondant de France 24 à Abuja.
Dernier recours
"Ces postures politiques n'auront toutefois aucun impact à court terme si les chefs d'États de la Cédéao décident d'intervenir", assure Jérôme Pigné, président et co-fondateur du réseau de réflexion stratégique sur l'antenne de France 24. "Il est normal que le président sollicite l'avis du Sénat, mais dans sa Constitution le président Tinubu a des mesures à travers lesquelles il peut intervenir au nom du bloc régional".
Cependant, même si la Cédéao parvenait à réunir les forces nécessaires pour intervenir au Niger, la question du cadre juridique d'une telle intervention demeurerait. En raison du veto russe, il semble impossible pour les pays ouest-africains d’obtenir un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU qui renforcerait la légitimité d'une opération militaire, comme en 2017 en Gambie.
Si l'hypothèse d'une intervention militaire reste d'actualité, elle apparaît donc toujours comme une option risquée et de dernier recours. "Nous devons reporter l'option de la guerre le plus possible", a estimé, lundi, le ministre italien des Affaires étrangères Antonio Tajani dans un entretien publié par le quotidien La Stampa soulignant que "l'unique issue est diplomatique".
"À ce stade, on peut dire que toutes les options sont sur la table et notamment l'option diplomatique qui n'est pas encore épuisée. Il faut rappeler que tout en brandissant la menace d'une intervention militaire, la Cédéao a toujours insisté sur le fait qu'elle allait tout faire pour qu'une solution diplomatique soit trouvée", rappelle Stéphane Ballong.
Au-delà de la poursuite des négociations avec les putschistes, une troisième voie consisterait "à déstabiliser la junte qui, à l'intérieur du Niger, n'a pas l'assentiment de tout le monde", avance le général Trinquand.
"Les putschistes ne tiennent pas Niamey en termes de soutien des différents corps armés : la garde présidentielle, la garde nationale et l'armée de Terre", juge Jérôme Pigné. "On a vu récemment les putschistes vouloir mettre à l'abri leurs familles. Cela signifie qu'ils se sentent menacés".