Au cosmodrome de Vostotchny, la drôle de rencontre entre Kim Jong-un et Vladimir Poutine
Le sommet entre Vladimir Poutine et le leader nord-coréen a finalement eu lieu sur le cosmodrome de Vostotchny, loin des regards curieux et des questions dérangeantes.
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La très médiatique rencontre entre le leader nord-coréen Kim Jong-un et le président russe Vladimir Poutine, mercredi au cosmodrome de Vostotchny, dans l'Extrême-Orient russe, est censée illustrer l’indépendance technologique russe et symbolise ce que Moscou peut apporter à la Corée du Nord.
Ils se sont donné rendez-vous dans ce gigantesque complexe, approximativement de la taille de New York, entouré de forêt et perdu au milieu de nulle part dans l'Extrême-Orient russe, non loin de la frontière avec la Chine. Le président russe Vladimir Poutine a retrouvé le leader nord-coréen Kim Jong-un au cosmodrome de Vostotchny mercredi 13 septembre.
Une réunion au sommet qui a fait couler beaucoup d’encre. Que veut Kim Jong-un ? Que peut-il offrir à Vladimir Poutine pour soutenir sa tentative d’invasion de l’Ukraine ?
Vostotchny pour remplacer Baïkonour
Rien ou presque n’a encore filtré sur le contenu des discussions et les accords qui pourraient être conclus. Mais le choix du lieu du rendez-vous en dit long sur le sens que les deux dirigeants, parias sur la scène internationale, veulent donner à cette rencontre.
Situé dans l’oblast de l'Amour, en plein cœur de la Sibérie et à 1 500 kilomètres au nord de Vladivostok, le "cosmodrome de Vostotchny devait devenir la base spatiale phare du programme spatial russe et assurer son indépendance technologique à l’égard des autres pays", résume Jeff Hawn, spécialiste de la Russie et consultant extérieur pour le New Lines Institute, un centre américain de recherche en géopolitique.
Durant 40 ans, Moscou s’est élancé vers les étoiles depuis le cosmodrome de Baïkonour qui se trouve sur le territoire du Kazakhstan. Mais avec la chute de l'Union soviétique, les ambitions spatiales russes dépendaient en partie du bon vouloir d’un État devenu indépendant.
C’est pourquoi Vladimir Poutine a ordonné, dès 2007, de construire une nouvelle base spatiale en Sibérie. C’était aussi politiquement bien vu car "les populations d'Extrême-Orient ont toujours eu l’impression que Moscou profitait des ressources et habitants de cette région sans rien offrir en échange. Le cosmodrome représentait un investissement conséquent dans cette partie du pays", souligne Jeff Hawn.
Le choix du site de Vostotchny n’est pas non plus dû au hasard. Il se trouve à une vingtaine de kilomètres de la ville de Tsiolkovski qui avait servi, à l’époque soviétique, de base pour le programme de missile balistique russe.
Les travaux durent près d’une décennie et il faut attendre avril 2016 pour assister au premier lancement d’une fusée Soyouz depuis le nouveau cosmodrome sibérien. À l’époque, Moscou présente Vostotchny comme le nec plus ultra en matière de technologie spatiale et d’installation de recherche.
La réalité est plus nuancée et le pouvoir russe s’est bien gardé de revenir sur "la corruption endémique qui a entaché et ralenti la construction du cosmodrome", souligne Jeff Hawn. Ainsi, en 2019, plus de 60 individus ayant participé au chantier de Vostotchny ont été condamnés pour corruption.
Guerre de satellites ?
Surtout, le nouveau cosmodrome n’a toujours pas réussi à éclipser le site de Baïkonour. "Il y a encore aujourd'hui plus de lancements depuis la base au Kazakhstan que depuis celle de Vostotchny", note Jeff Hawn. Pour cet expert, le nouveau site illustre parfaitement "le grand écart entre les folles ambitions spatiales russes et la réalité des accomplissements".
C’est pourquoi le choix de Vostotchny pour la très médiatique rencontre avec Kim Jong-un est d’abord politique. "Vladimir Poutine indique ainsi qu’il considère ce site comme une réussite et un symbole de fierté nationale", résume Jeff Hawn.
Le président russe a aussi choisi cette base pour symboliser l’indépendance des deux pays. "Le cosmodrome est censé incarner une réussite technologique majeure sans aide occidentale", affirme Jeff Hawn.
Le cosmodrome est aussi un lieu qui n’est pas militaire par nature. Alors que le monde entier se demande si la Corée du Nord va fournir des munitions et autres armes à la Russie, "Vladimir Poutine et Kim Jong-un ont opté pour un site important dans un secteur – l’exploration spatiale – marqué par la collaboration pacifique internationale", note Jeff Hawn.
Pour autant, une rencontre sur une base spatiale renvoie aussi à la nouvelle passion de Kim Jong-un pour les satellites. Le leader nord-coréen a insisté, en août, sur l’importance pour son pays de disposer de satellites espions afin de "contrer les actions hostiles" des pays occidentaux.
Nul doute que Washington doit se demander si Vladimir Poutine va profiter de la visite de Kim Jong-un à Vostotchny pour lui proposer de l’aider à réaliser son programme de satellites en échange d’un soutien militaire en Ukraine.
Mais les États-Unis doivent aussi craindre un autre aspect d’une éventuelle collaboration spatiale entre les deux pays. "La Russie comme la Corée du Nord travaillent sur des technologies pour détruire ou saboter les satellites américains", explique Jeff Hawn. Pour lui, si ces deux pays joignent leurs efforts dans ce domaine, l’espace pourrait devenir beaucoup plus dangereux pour les Américains. Et le fait de se retrouver dans une base spatiale "où des recherches sont menées sur ce genre de technologies" suggère au minimum que c’est un sujet qui pourrait être abordé entre les deux dirigeants.