"Les morts comme accessoires" : une ONG israélienne accusée d'avoir abusé de sa mission après le 7 octobre
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Des membres de l’association juive ultraorthodoxe Zaka, connue pour récupérer les restes humains après des attentats, sont accusés d’avoir altéré des scènes de crime et exploité les attaques du 7 octobre à des fins financières, selon une enquête du journal Haaretz, publiée la semaine dernière. Des témoignages de militaires israéliens, de volontaires de Zaka et d’autres organisations étayent ces accusations.
Une ONG de Jérusalem au cœur de la tourmente. Près de quatre mois après les attaques meurtrières du 7 octobre perpétrées par le Hamas, une enquête du journal israélien Haaretz publiée le 31 janvier accuse certains membres de l’association juive ultraorthodoxe Zaka d’avoir instrumentalisé les événements à des fins financières.
Manque de rigueur dans l'identification des victimes, diffusion d'images sensibles sur les réseaux sociaux, propagation de fausses informations... L’enquête du journaliste Aaron Rabinowitz, basée sur des témoignages de personnel militaire présent lors de la récupération des corps, de volontaires de Zaka et d’autres organisations, donne de nombreux exemples.
L’autopromotion est allée jusqu’à la diffusion de fausses informations très largement reprises sur les réseaux sociaux et nombre de médias internationaux. Dans une vidéo, un bénévole de Zaka a notamment rapporté le récit atroce d'une femme enceinte tuée à Beeri, dont le corps aurait été éventré et le fœtus poignardé.
"Cet horrible incident n'a tout simplement pas eu lieu et constitue l'une des nombreuses histoires qui ont circulé sans aucun fondement", est-il écrit dans l’enquête. Aucune preuve de ce récit, repris par d’autres bénévoles de Zaka dans les médias, n’a été établie et personne au sein du kibboutz n'a entendu parler de cette femme. Un haut responsable de Zaka a même reconnu, lors d'une conversation avec Haaretz, que l'organisation savait que l’incident n’a pas eu lieu.
Dans sa quête de visibilité médiatique, l'organisation a diffusé "des récits d'atrocités qui n’ont jamais eu lieu, publié des photos sensibles et explicites, et a fait preuve d'un manque de professionnalisme sur le terrain", dévoile le journal sur la base de différents témoignages.
Négligence sur les scènes de crime
Fondée en 1989 après un attentat-suicide dans un bus reliant Tel-Aviv à Jérusalem, Zaka est devenue une organisation officielle en 1995. Son acronyme signifie "Zihuy Korbanot Asson", en hébreu pour "identification des victimes de catastrophes". L'organisation compte plus de 3 000 volontaires déployés dans tout le pays, principalement des juifs orthodoxes, qui interviennent sur le terrain lors d’attaques terroristes, d’accidents de la route ou de catastrophes naturelles pour identifier les victimes et les enterrer selon la tradition juive.
Si Zaka a réussi à prendre une place aussi importante dans l’espace médiatique, c’est grâce à sa collaboration étroite avec l’armée israélienne. Au lieu de déployer ses propres soldats "formés à l'identification et à la récupération des restes humains" dans les jours suivants les attaques du Hamas, l'armée a choisi de confier la mission aux bénévoles de Zaka, poursuit le journal.
Des volontaires ont ainsi ramassé des dépouilles avant même l'intervention de la police scientifique et des corps incomplets ont été transmis aux légistes. Un officier déplore : "De tels problèmes ont rendu le processus d'identification très difficile. Certaines dépouilles sont arrivées à la morgue plusieurs jours après le début de la guerre."
Un soldat ajoute : "Si nous avions travaillé comme on nous l’a enseigné, nous aurions pu épargner des souffrances inutiles à de nombreuses personnes [et] amener [les défunts] au cimetière beaucoup plus tôt".
Sacs mortuaires et visites privées
Selon Haaretz, des volontaires de Zaka ont été vus en train de recouvrir des corps déjà enveloppés par l'armée israélienne avec de nouveaux sacs mortuaires, arborant le logo de l'organisation. Plusieurs témoignages d’officiers et de volontaires travaillant à la base militaire de Shura – reconvertie en morgue – confirment que de nombreux corps y sont arrivés enveloppés dans un double sac : un sac militaire initial et un sac Zaka par-dessus.
Un officier du rabbinat militaire affirme que cela concernait "des dizaines de corps, ce qui a compliqué le travail", est-il écrit dans l’enquête.
Autre révélation d’Haaretz : Zaka aurait organisé des visites privées pour ses donateurs sur les lieux des attaques, considérés comme des zones militaires fermées, tandis que les civils en étaient exclus. Un bénévole de Zaka "nous a donné rendez-vous dans une station-service voisine, nous a donné, ainsi qu'aux donateurs, des gilets Zaka, et c'est ainsi que nous sommes entrés, avec deux véhicules", relate une source de Zaka à Haaretz.
Appel à la générosité
L’enquête fait également état de vidéos et de photos sensibles et explicites : "rangées de corps dans des sacs, taches de sang et bien plus encore", pour susciter l'émotion. Fin octobre, alors que l'organisation intervenait encore dans les kibboutzim, un membre influent de Zaka est apparu dans un clip filmé sur le terrain. "Dans la vidéo, il chante avec son fils une chanson qu'il a lui-même écrite", précise Haaretz. "La vidéo est accompagnée de sous-titres qui visent à toucher la corde sensible pour appeler à la générosité."
Parallèlement aux appels aux dons du public, l'organisation a reçu environ 500 000 shekels (127 000 euros) de fonds publics pour financer le nettoyage de 500 maisons endommagées par les combats. Une aide financière qui n'est pas nouvelle, et s'inscrit dans un contexte de rivalité entre les organisations chargées de la récupération des corps : Zaka Jérusalem, Zaka Tel Aviv – une autre organisation fondée en 1994 qui compte 400 membres – et l'Unité 360. "Cette concurrence a engendré des difficultés sur le terrain au fil des années, notamment la diffusion de photos choquantes ne respectant pas la dignité des victimes", affirme Haaretz.
Contactée par France 24, l’association Zaka n’a pas donné suite à nos sollicitations. Auprès d’Hareetz, l’organisation a affirmé que "ses volontaires ont travaillé en étroite collaboration avec les organismes responsables sur le terrain, et que cette collaboration n'est pas un conflit d'intérêts mais un effort commun." Elle a ajouté qu'elle est une "organisation bénévole financée par des dons. La guerre a conduit à des dépenses massives pour l'achat d'équipements et de fournitures."
Zaka, qui était au bord de la faillite avant le 7 octobre, croule désormais sous les dons. Grâce à l’élan de solidarité suscité par les attaques, l’organisation a réussi à collecter plus de 50 millions de shekels (environ 12,7 millions d’euros), révèle une source interne à Zaka, citée par Haaretz.