Peut-on devenir immortel grâce à la reprogrammation cellulaire ?
La technique de reprogrammation cellulaire est très prometteuse pour développer de nouveaux traitements, mais on est loin de devenir immortel.
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Le rajeunissement par le biais de la reprogrammation cellulaire a fait récemment fantasmer des milliardaires comme Jeff Bezos, l'ex-PDG d'Amazon, ou le magnat russe Iouri Milner, probablement en quête d'immortalité.
Trois milliards de dollars ont ainsi été levés par la société de biotechnologie Altos Labs, fondée par Milner et lancée officiellement le 19 janvier 2022, attirant les plus éminents scientifiques dont Shinya Yamanaka, le découvreur de la reprogrammation cellulaire, mais également Juan Carlos Izpisua Belmonte du Salk Institute for Biological Studies à La Jolla (Californie). Le but officiel est «de transformer la médecine au moyen de la programmation du rajeunissement cellulaire». Bezos, lui, a largement investi dans la compagnie.
Forte de l'expertise de ces scientifiques de haut niveau, la biotech Altos Labs voudrait étendre le rajeunissement cellulaire à la revitalisation du corps entier, afin de prolonger la vie humaine.
Quelles retombées pour la santé humaine?
Les cellules humaines ont une durée de vie programmée et leur caractéristique principale est de se diviser de façon contrôlée pour assurer la pérennité de nos tissus et organes. Une cellule vieillissante ou en état de sénescence est une cellule qui ne se divise plus et qui sera éliminée par apoptose (mort cellulaire). Ainsi va la vie.
Mais en 2006, les travaux du prix Nobel de médecine 2012, le chercheur japonais Shinya Yamanaka, ont ouvert des champs de recherche jusque-là impensables, basés sur la possibilité de faire rajeunir nos cellules. L'introduction de quatre gènes spécifiques dans le génome de n'importe quelle cellule adulte (cellules de la peau ou cellules du sang, par exemple) la fait rajeunir à un stade embryonnaire qu'on appelle «cellule souche pluripotente induite» et que l'on nommera «cellule souche induite» pour plus de simplicité.
La cellule souche ainsi induite retrouve les propriétés pluripotentes des cellules souches embryonnaires, c'est-à-dire qu'elle peut se différencier en n'importe quel type de cellule adulte, par exemple un neurone, une cellule cardiaque ou une cellule épithéliale. Ceci permet de penser que dans le futur, il sera possible de réparer ou de fabriquer tout type d'organes ou de tissus à partir de ces cellules souches induites.
En effet, le rajeunissement de la cellule adulte implique la réintroduction de gènes appelés «facteurs de transcription» qui, lorsqu'ils sont actifs, vont moduler l'expression d'autres gènes caractéristiques des cellules souches normalement inactivés dans la cellule adulte. Parmi ces facteurs de transcription, certains sont dits oncogéniques, c'est-à-dire qu'ils peuvent induire un cancer.
De même, il n'est pas sans risque d'utiliser des cellules adultes provenant de la différenciation de cellules souches induites pour régénérer un organe ou un tissu. Ainsi, il est difficile de contrôler réellement l'état de différenciation de ces cellules adultes, car nous ne savons pas si elles ont toutes perdu leur pluripotence. N'y a-t-il pas possibilité qu'une cellule souche induite résiduelle ne se cache au sein de ces cellules adultes et, ayant gardé sa propriété de pluripotence, se différencie anarchiquement en différents types de cellules adultes entraînant de facto la formation d'un tératome (tumeur formée de cellules pluripotentes)?
Vers de nouveaux médicaments
Imaginez, grâce à la reprogrammation cellulaire, des neurones, des cellules pancréatiques, des hépatocytes (cellules du foie)... pouvant être obtenus à partir de la différenciation de cellules souches induites humaines.
Cette technologie a grandement facilité le développement de tests toxicologiques cellulaires pour les médicaments, mais a aussi permis la simplification de l'analyse des effets thérapeutiques de nouvelles molécules sur des cellules humaines inaccessibles auparavant, comme des hépatocytes.
De nouvelles thérapies
Pour aller plus loin, non seulement les différents types de cellules humaines adultes dites «normales» sont accessibles, mais également celles issues de patients. Ainsi, il est maintenant possible de générer des modèles cellulaires mimant les maladies. Ces derniers permettent de pouvoir appréhender les mécanismes physiopathologiques à l'origine de la maladie, mais aussi de développer de nouvelles thérapeutiques plus ciblées.
De plus, les cellules souches induites issues de patients souffrant de maladies génétiques sont d'excellents modèles cellulaires pour tester de nouvelles thérapeutiques telles que l'édition du génome. L'idée est de venir corriger spécifiquement le défaut génétique au sein de la cellule souche induite du patient pour pouvoir ultérieurement réinjecter la cellule corrigée. La preuve de concept de cette approche a pu être validée dans une maladie génétique rare de l'immunodéficience innée nommée «granulomatose septique chronique».
L'immortalité, c'est pour bientôt?
Le problème majeur de cette technique est qu'elle ne fait pas que rajeunir les cellules, mais elle modifie également leur identité. Une cellule épithéliale adulte, par exemple, va devenir une cellule souche par reprogrammation cellulaire, puis ce n'est que dans un deuxième temps qu'elle sera différenciée en cellule d'intérêt (une cellule cardiaque, par exemple).
Le passage par le stade cellule souche entraîne un risque non négligeable de développement de tumeurs. Ceci est illustré par les travaux de Juan Carlos Izpisua Belmonte publiés en 2016 sur le prolongement de la durée de vie de souris atteintes de vieillissement prématuré par reprogrammation cellulaire. Bien que l'effet escompté ait été obtenu chez certaines souris, d'autres ont développé des tumeurs.
La reprogrammation cellulaire possède un énorme potentiel de développement pour améliorer la santé humaine en facilitant les tests toxicologiques développés par l'industrie pharmaceutique. Elle permet également la modélisation de maladies en vue de leur compréhension et pour tester de nouvelles approches thérapeutiques.
Pour l'instant, aucun essai clinique chez l'humain n'est donc raisonnablement envisageable. Malgré les rêves des plus fortunés, le rajeunissement humain n'est pas pour demain.
Source : Slate