Editorial. Est-ce par réflexe, faute d’alternative ou par peur du vide et du silence gêné ? Les chancelleries occidentales ont accompagné l’escalade militaire entre les factions armées de Gaza et d’Israël de leurs mots usés et classiques. « Retour au calme », appel au « dialogue ». Ce décrochage entre la sémantique diplomatique et la réalité terrifiante sur le terrain, constaté depuis des années, porte atteinte à la crédibilité des capitales. Le Conseil de sécurité de l’ONU a illustré cette semaine cette impuissance internationale.
Le blocage y a été américain. Une réunion doit enfin se tenir, dimanche. Mais une déclaration de pure forme n’aurait guère d’impact, de toute façon. Le conflit israélo-palestinien révèle, comme d’autres crises, une évidence : il n’y a pas de « communauté internationale », mais un monde éclaté, concurrentiel, tourmenté, sans puissance hégémonique. L’épidémie de Covid-19 a accéléré la désintégration des cadres multilatéraux classiques.
Les Européens, divisés et pétrifiés, ne sont pas audibles. Certains pays – en particulier la France – craignent une nouvelle importation du conflit sur leur sol et une recrudescence des actes antisémites. D’autres, en Europe orientale, bloquent toute initiative dite « anti-israélienne ». Dès lors, l’Union européenne a renoncé à exercer la moindre pression sur Israël, alors que l’occupation se poursuit sans fin, que la colonisation progresse. D’autant que les roquettes du Hamas, tirées de façon indiscriminée et cynique sur les villes israéliennes, constituent un motif légitime de réaction militaire. Le problème commence quand un Etat ne conçoit qu’une grille de lecture sécuritaire.
Polarisation extrême
Pour compliquer la donne, une dimension inédite apparaît : les émeutes à l’intérieur même des villes israéliennes. Les scènes inouïes de lynchage et d’affrontement entre une minorité de Juifs et d’Arabes chauffés à blanc ne posent pas seulement un défi sécuritaire à Israël. Elles mettent aussi en cause la cohésion nationale, le modèle de société. Coexistence ou homogénéité ? Démocratie ou théocratie ?
Depuis des années, la droite nationaliste israélienne se livre à une stigmatisation aux relents racistes de la minorité arabe. Les capitales occidentales ont-elles pris la mesure du venin diffusé ? Croit-on que les mots ne prospèrent que dans leur enclos, dans un pays où le premier ministre, Yitzhak Rabin, avait été assassiné par un extrémiste juif, en 1995, bien avant l’ère des réseaux sociaux ? Cette polarisation extrême se retrouve dans d’autres pays, à commencer par les Etats-Unis. Mais, en prospérant sur fond du conflit historique, elle est bien plus explosive en Israël.
La question palestinienne est épuisante, mais elle ne peut être épuisée, sans solution politique. Certaines capitales arabes aimeraient tourner la page et s’engagent dans une normalisation historique avec Israël. Quant à l’administration Biden, elle ne prétend nullement à une résolution du conflit. On peut y voir un signe de réalisme. Mais la lassitude est mauvaise conseillère : Washington est toujours rappelé à son rôle de parrain.
Or, la Maison Blanche n’a pas opéré de rupture franche avec l’ère Trump. Ce dernier avait reconnu Jérusalem comme capitale, coupé les financements aux Palestiniens, en leur déniant tout droit politique. Voilà Joe Biden obligé, du bout des lèvres, de s’emparer du sujet, dépêchant sur place un envoyé spécial, Hady Amr, mais pour quel résultat ? Le catéchisme de la « solution à deux Etats » regroupe de moins en moins d’adeptes convaincus et motivés.
Le Monde