Tirs de missiles sur Erbil : l'Iran fait d'une pierre trois coups
L'attaque de missiles sur Erbil irakien, qui a été revendiquée par le Corps des Gardiens de la Révolution islamique, rapprocherait l'Iran de ses objectifs politiques.
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La partie de ping-pong entre l’Iran et l’État hébreu en Syrie dans le cadre de la guerre civile s’est déplacée dans la nuit de samedi à dimanche en Irak, déjà régulièrement mis à rude épreuve par les tensions irano-américaines.
Près d’une douzaine de missiles balistiques ont ainsi frappé Erbil, la capitale du Kurdistan irakien.
Selon un responsable de la sécurité irakienne interrogé par l’agence de presse Reuters, les gardiens de la révolution iranienne (armée idéologique de la République islamique) ont revendiqué l’attaque, affirmant avoir visé un « centre stratégique » israélien et menaçant l’État hébreu de nouvelles opérations « destructrices ».
La démonstration de force survient plusieurs jours après les frappes aériennes israéliennes en Syrie qui, selon Téhéran, auraient tué deux hauts responsables des pasdaran, Ehsan Karbalaipour et Morteza Saidnejad.
Si les protagonistes ne s’opposent pas régulièrement sur le terrain irakien, Israël y est toutefois déjà intervenu. En août 2019, il avait par exemple mené une frappe aérienne sur un dépôt d’armes en Irak qui, selon lui, était exploité par l’Iran en vue de le déplacer vers la Syrie.
Empêcher la normalisation des relations avec Israël
Selon Lahib Higel, analyste sur l’Irak au sein du Crisis Group, « ce n’est pas une donnée confirmée mais nous savons que la région autonome du Kurdistan entretient des relations avec Israël. Il a pu y avoir par le passé des exportations de pétrole du Kurdistan vers Israël ».
Une conférence avait par ailleurs été organisée en septembre 2021 à Erbil par un think tank américain pour défendre l’idée d’une normalisation des relations entre l’Irak et l’État hébreu.
Plus de 300 Irakiens, dont des chefs tribaux, y avaient assisté. Néanmoins, la justice irakienne a par la suite délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de trois personnalités ayant appelé à l’établissement de liens diplomatiques entre leur pays et Israël.
Contourner Moscou
L’attaque revendiquée hier par les gardiens de la révolution vise pour Téhéran à montrer les muscles dans un contexte international et régional particulièrement tendu.
Le lancement de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février a conduit à suspendre les pourparlers indirects sur le nucléaire iranien, alors qu’un accord était à portée de main. En cause : l’exigence de dernière minute formulée par Moscou demandant des garanties l’exemptant des sanctions liées à l’Ukraine qui pourraient restreindre ses futurs échanges avec la République islamique. Or, de telles assurances pourraient, aux yeux de Washington et de ses alliés européens, saper l’impact des mesures punitives imposées par l’Occident à la Russie depuis plusieurs jours.
La symbolique de l’attaque est d’autant plus forte que l’Iran a cherché dans le cadre des pourparlers à obtenir de Washington la suppression des sanctions non nucléaires qui lui ont été infligées durant l’ère Trump à travers la politique dite de pression maximale, à commencer par le retrait des pasdarans de la liste des organisations terroristes étrangères.
« La guerre Ukraine-Russie a un impact dans le sens où Moscou ne joue plus un rôle constructif dans les négociations et a mis en avant ses propres demandes que l’Occident ne peut accepter », résume Lahib Higel. « Cela a également pris au dépourvu les Iraniens. Ils semblent ne plus envisager la probabilité de réintégrer l’accord de Vienne sur le nucléaire, ou tout du moins, il semble qu’une partie des gardiens de la révolution n’y croit pas. »
Comme en écho à la suspension des discussions irano-américaines, Téhéran a mis en pause les pourparlers avec son rival régional, l’Arabie saoudite, selon un site internet affilié au principal organe de sécurité iranien, sans donner les raisons derrière cette décision.
Or, un cinquième cycle de négociations devait commencer cette semaine. Une initiative qui pourrait, entre autres, s’expliquer par le fait que Riyad a procédé samedi à des exécutions massives qui auraient visé notamment près de 41 musulmans chiites.
Mettre en garde contre l’exclusion des alliés de Téhéran de tout futur gouvernement irakien
Ce regain de tension en Irak entre acteurs extérieurs au pays survient également alors qu’aucun nouveau gouvernement n’a été formé depuis l’élection présidentielle d’octobre dernier, qui avait consacré la victoire de la liste du clerc chiite Moqtada Sadr, chantre d’un patriotisme à la fois antiaméricain et distant de Téhéran, même si de manière tacite les Occidentaux semblent miser sur lui pour contrer les factions armées affiliées à l’Iran et leur bras politique.
Sorties laminées des urnes, celles-ci ont rapidement crié au complot et appelé à un recomptage des voix.
Dans une interview accordée hier au site du Middle East Eye par Kamaran Palani, expert en sécurité internationale et maître de conférence à l’Université Salaheddine d’Erbil, ce dernier avance la possibilité d’une attaque iranienne visant à mettre en garde contre l’exclusion des alliés de Téhéran de tout futur gouvernement.
Le parti kurde KDP, formation dominante à Erbil, s’est effectivement allié avec M. Sadr, qui s’est engagé à former un gouvernement « de majorité », par opposition à un gouvernement de « consensus ».
Source : L'Orient-Le Jour