L'attaque de la centrale nucléaire de Zaporijjia : l'Europe doit-elle attendre une guerre nucléaire ?
Après avoir brandi deux fois la menace nucléaire, la Russie a attaqué la centrale de Zaporijjia. Cela peut-elle sonner le début d'une guerre nucléaire ?
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Troisième Guerre mondiale ?
Si c'est "seul et de manière délibérée" que Vladimir Poutine "a choisi la guerre" selon les déclarations d'Emmanuel Macron, le 2 mars 2022, c'est bien sur l'Europe que la guerre risque de s'étendre. L'Ukraine et la Russie restent les uniques belligérants de ce conflit et ni l'Union européenne ni l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) ne comptent intervenir militairement, du moins directement.
Ces annonces réduisent les chances de voir éclater un nouveau conflit mondial mais tout ne dépend pas de ces organisations, l'on peut même considérer que la tournure que prendra la guerre en Ukraine dépend surtout des décisions du maître du Kremlin. Il est celui qui fait planer la menace nucléaire au-dessus de l'Ukraine - et donc de l'Europe - avec la mise en alerte des "forces de dissuasion russe" le 27 février 2022.
A Moscou, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a pourtant prétendu le contraire dans une conférence de presse le jeudi 3 mars : "Une troisième guerre mondiale ne peut être que nucléaire, mais j'attire votre attention sur le fait que c'est dans l'esprit des politiques occidentaux, pas dans celui des Russes".
Plusieurs arguments suggèrent que l'hypothèse d'une attaque nucléaire sert davantage d'outil de dissuasion que de menace réelle. Mais le risque nucléaire ne vient plus uniquement du lancement d'une bombe atomique, il peut aussi être causé par l'attaque d'une centrale nucléaire et les événements de ce vendredi 4 mars au complexe nucléaire de Zaporijjia en Ukraine suscitent des inquiétudes.
Un tir de missile russe s'est abattu sur la partie administrative de la plus grande centrale d'Europe mais n'a, heureusement, touché aucun réacteur, il n'en reste pas moins que l'explosion nucléaire n'est pas passée loin.
Moscou a-t-il volontairement lancé une attaque si près des réacteurs nucléaires ? Était-ce dans un but dissuasif ou est-ce que cela traduit la possibilité pour le Kremlin de frapper fort par le nucléaire sans lancer d'ogive ?
Jusque-là l'Alliance atlantique minimisait les risques d'une offensive nucléaire, qualifiée de "rhétorique provocatrice inutile et dangereuse" par le président des États-Unis Jo Bidan, ou de menace "inutile et disproportionnée" par le porte-parole du ministère des Armées français, Hervé Granjean. Avec ces nouveaux éléments, la donne va-t-elle changer et l'éventualité d'une guerre généralisée deviendra-t-elle sérieuse ?
Le risque d'une attaque nucléaire en Europe est-il réel ?
La menace nucléaire est montée d'un cran dimanche 27 février avec l'annonce par la maître du Kremlin de la mise en alerte des "forces de dissuasion". Ce panel de mesures militaires comprend toutefois d'autres leviers qu'une attaque nucléaire et depuis l'allocution de Vladimir Poutine les États-Unis assurent n'avoir repéré aucun mouvement suspect ou "concret" pour la préparation d'une telle offensive.
Matériellement, la Russie est en capacité d'armer des missiles nucléaires avec plus de 6 000 ogives à sa disposition et un arsenal conséquent de bombardiers, de sous-marins et de navires de surface mais, là encore, les images satellites ne montrent aucun déplacement stratégique.
La guerre en Ukraine concentre l'essentiel des opérations militaires russe mais Moscou a déjà envoyé plusieurs frappes aériennes sur le pays d'Europe de l'est et le Kremlin possède des missiles pouvant être chargés par des têtes nucléaires, le risque est donc encore présent.
Les capacités de la Russie à lancer une offensive nucléaire ne signifie pas qu'elle compte franchir la ligne rouge. Des spécialistes estiment que la menace sert plutôt d'argument pour instaurer un chantage politique, s'imposer en position dominante dans le conflit face à l'Ukraine, surtout en amont de l'ouverture des pourparlers organisés lundi 28 février, et dissuader l'Occident d'interférer dans les relations russo-ukrainiennes.
Vladimir Poutine se serait donc indirectement adressé à l'Europe et aux États-Unis pour les avertir "qu'en cas d'ingérence militaire dans le conflit avec l'Ukraine, il se réservait l'option d'utiliser l'arme nucléaire", selon Rafael Loss, spécialiste des questions de doctrine nucléaire au Conseil européen des relations internationales interrogé par France 24.
La Russie a-t-elle intérêt à lancer une attaque nucléaire ?
Si le menace matérielle est réelle, d'un point de vue stratégique une offensive nucléaire desservirait la Russie à plusieurs égards. L'opération militaire massive et l'encerclement de Kiev traduisent l'objectif du Kremlin de prendre le pouvoir de la capitale ukrainienne pour placer le pays sous son giron, le gouvernement russe ayant martelé sa volonté de "maintenir la paix" et de "libérer" les Ukrainiens des "nazis au pouvoir".
Mener une offensive nucléaire sur l'Ukraine reviendrait à anéantir le pays et serait une action contradictoire avec le projet de Poutine, surtout que le chef russe n'est pas porté en haute estime dans l'opinion du peuple ukrainien. Il faut aussi noter que faire usage de la force nucléaire sur un pays dénué de cette force de frappe n'est pas admis par le document, signé par le Kremlin en octobre 2020, qui limite le pouvoir nucléaire de Moscou à quatre cas exigeant une menace nucléaire effective à l'encontre de la Russie.
Un tel affront n'a pas été adressé au Kremlin ni par l'Ukraine, ni par l'Europe, ni par les États-Unis, les deux derniers assurant ne pas vouloir entrer en guerre avec Vladimir Poutine.
Au-delà de ses intérêts militaires à Kiev, Moscou doit aussi composer malgré lui avec les autres puissances nucléarisées qui, si elles restent en retrait sur le front, ont pris position en faveur de l'Ukraine et lui assurent un soutien financier et matériel. Si Vladimir Poutine fait le choix de lancer une offensive nucléaire, il se pose en agresseur et s'expose à une riposte économique, militaire de l'Occident, voire nucléaire si son attaque porte sur l'Europe, et contraint la Russie à être isolée sur le plan international.
L'Europe est-elle en guerre contre la Russie ?
"Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie", a déclaré Emmanuel Macron dans son allocution du 2 mars 2022 au nom de la France et plus généralement de l'Europe. Aucune puissance occidentale n'envisage de prendre part directement au conflit en Ukraine, pourtant toutes ont pris position en faveur de Kiev et s'organisent pour fournir une aide financière au pays mais aussi un soutien logistique et militaire.
L'Union européenne a ainsi débloqué 1,2 milliards d'euros pour soutenir l'économie ukrainienne mais compte aussi, et il s'agit d'une décision historique, financer la livraison d'artilleries militaires dont des armes létales à l'Ukraine à hauteur de 450 millions d'euros. Ces annonces en date du 28 février prouvent que l'UE n'est pas neutre et joue un rôle même indirect dans cette guerre. La France de son côté a envoyé des troupes militaires sur les bases de l'OTAN voisines de l'Ukraine comme en Roumanie.
L'Europe justifie cette aide par le soutien nécessaire à apporter à l'Ukraine, lésé face à l'armada de la Russie, et insiste pour dire que ces actions ne sont pas menées contre le Kremlin. Dans le cas contraire, Moscou habitué depuis le début de l'invasion de l'Ukraine à réécrire l'histoire à son avantage pourrait utiliser cet argument pour lancer des offensives sur l'Europe.
L'attaque d'une centrale nucléaire peut-elle sonner le début d'une guerre nucléaire ?
L'hypothèse d'une guerre nucléaire était jusqu'à présent envisagée uniquement par une attaque à la bombe nucléaire. Mais l'offensive russe lancée sur la centrale nucléaire de Zaporijjia en Ukraine, la plus grande d'Europe, le vendredi 4 mars 2022 remet les possibilités en perspective. Si le complexe nucléaire venait à être frappé et à exploser ce serait "dix fois pire que Tchernobyl" selon les déclarations du chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kuleba, sur Twitter.
Les conséquences de l'explosion d'une centrale nucléaire pourraient s'étendre bien au-delà des frontières de l'Ukraine et donner lieu à des sanctions internationales contre la Russie, ou le pays responsable de l'attaque. Toutefois, est-il vraiment envisageable que Vladimir Poutine prenne le risque d'exposer son propre pays, voisin de l'Ukraine, aux risques radioactifs ?
La frappe sur Zaporijjia peut, à l'instar des menaces verbales de Moscou, servir un but dissuasif. L'Alliance internationale de l'énergie atomique (AIEA) a rapidement pris la parole après la destruction d'une partie de la centrale nucléaire de Zaporijjia et a appelé "à cesser l'usage de la force et avertit d'un grave danger si les réacteurs sont touchés".
La guerre en Ukraine peut-elle déclencher une troisième Guerre mondiale ?
Depuis l'invasion de l'Ukraine, le 24 février 2022, la Russie et l'Ukraine sont les seuls belligérants à prendre part au combat. Les États-Unis et l'Europe ont plusieurs fois répété ne pas vouloir participer à l'escalade militaire et ne pas vouloir entrer en guerre contre le Kremlin. Pourtant, l'origine du conflit n'est autre que la volonté de l'Ukraine, ancien pays de l'Union soviétique, de se rapprocher de l'OTAN et de l'Union européenne, deux organisations représentants le bloc de l'ouest.
La guerre en Ukraine cristallise les rivalités de la guerre froide qui reviennent sur le devant de la scène. Vladimir Poutine a estimé que le rapprochement de l'OTAN et de l'UE en Ukraine était une agression et une menace contre la Russie, un discours qui confirme le retour de cet affrontement ouest / est.
L'OTAN et l'UE n'ont pourtant jamais manifesté l'envie d'accéder aux demandes de l'Ukraine et d'intégrer le pays à leurs membres. Kiev défend seul cette idée et profite de l'assaut russe à son encontre pour appeler l'Europe à revoir son jugement. Volodymyr Zelensky, le président ukrainien a signé la demande d'intégration de l'Ukraine dans l'UE lundi 28 février 2022 et a prononcé un discours poignant devant le Parlement européen le lendemain : "L'Europe sera beaucoup plus forte avec l'Ukraine en son sein (...) Sans vous, l'Ukraine sera seule. Nous avons prouvé notre force, nous avons montré que nous sommes vos égaux (...) Donc, prouvez que vous êtes avec nous et que vous n'allez pas nous laisser tomber".
Si l'UE renouvelle régulièrement son soutien à l'Ukraine, elle n'accède toujours pas à sa demande. Les 27 savent qu'accepter l'intégration de l'Ukraine donnerait à Vladimir Poutine l'occasion de lancer une offensive sur l'Europe et peut-être de déclencher une guerre d'ampleur mondiale.