La BBC réintègre son présentateur star Gary Lineker après le tollé provoqué par sa suspension
La BBC a annoncé lundi le retour à l'antenne de l'ex-footballeur Gary Lineker, l'un des plus célèbres présentateurs du groupe audiovisuel, dont la suspension vendredi après un tweet contre le gouvernement avait déclenché une vague de protestations.
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Comme on s'y attendait, la BBC a donc fait volte-face. La mise à pied de Gary Lineker, "coupable" d'avoir choisi des mots très durs envers le projet de loi sur l'immigration du gouvernement de Rishi Sunak, n'aura duré que soixante-douze heures. Le Soulier d'Or de la Coupe du monde de 1986, l'influenceur aux presque neuf millions d'abonnés sur Twitter, sera de nouveau l'officiant de la grand-messe télévisuelle hebdomadaire du football anglais samedi prochain.
Match Of The Day, réduit à vingt minutes de résumés de matches diffusés sans présentation, analyses ou commentaires lors de sa dernière édition, va donc retrouver son format habituel. Les complices Ian Wright et Alan Shearer reprendront leurs places aux côtés du très éphémère paria qu'ils avaient aussitôt soutenu, et l'Angleterre pourra de nouveau ronronner devant ses écrans de télévision à la sortie des pubs, comme un chat qui aurait retrouvé son coussin préféré devant le feu de bois.
Le soutien immédiat et unanime du football anglais et de la très vaste majorité de l'opinion rendait toute autre issue impossible. Lineker, travailleur indépendant, n'était pas astreint aux mêmes règles que les employés permanents du service public. Il s'était exprimé sur un compte privé qu'il prend soin de ne pas associer à la BBC.
La teneur de ses propos pouvait sembler déplacée à ceux qui n'acceptaient pas qu'on pût comparer le Royaume-Uni de 2023 à l'Allemagne des années 1930, encore que Lineker ne fût certainement pas le premier à faire ce parallèle. Là n'était pas la question. En censurant son présentateur le plus populaire (et le mieux payé), la BBC donnait l'impression de se soumettre aux desiderata du pouvoir en place; et cela, qu'on soit de gauche ou de droite, était inacceptable.
Le plus extraordinaire est que la BBC, cédant à la panique - surtout, surtout ne pas se mettre à dos un gouvernement dont certains membres influents souhaiteraient privatiser l'institution! -, ait pu s'imaginer une seconde que Lineker fasse marche arrière.
C'est qu'en Angleterre, être un footballeur, d'hier ou d'aujourd'hui, ce peut aussi être aussi un porte-parole, un activiste, un citoyen. Gareth Southgate, le sélectionneur des Three Lions, n'a jamais hésité à mettre en avant des convictions humanistes et anti-racistes qui vont bien au-delà des mots d'ordre convenus chéris des grandes institutions. Marcus Rashford a défié le gouvernement britannique et son premier ministre d'alors Boris Johnson pour plaider en faveur des enfants déshérités et obten
ir gain de cause lorsqu'il fut question de mettre fin au service de repas gratuits dans les écoles. Gary Lineker, lui, n'en était pas à son coup d'essai. En juin 2016, juste avant le référendum qui vit une - courte - majorité de Britanniques se prononcer en faveur de la sortie de leur pays de l'Union européenne, il avait dit : "je crois personnellement qu'il y a plein de raisons pour rester [dans l'Union], mais pratiquement aucune pour la quitter. J'aime l'Europe, j'aime faire partie de l'Europe". Quelques mois plus tard, lorsqu'un député britannique Tory suggéra que les enfants demandeurs d'asile soient l'objet de tests dentaires pour déterminer leur âge, il rétorqua : "la façon dont certains traitent ces jeunes réfugiés est hideusement raciste et totalement cruelle. Qu'est qu'il est train d'arriver à notre pays ?"
En juillet 2018, après avoir confié qu'il se sentait politiquement orphelin, entre des Conservateurs dérivant vers la droite et des Travaillistes à la tête duquel on trouvait le Trotskyste Jeremy Corbyn, il participait à un grand rassemblement pro-européen en faveur d'un second vote sur le Brexit. "Il y a des choses plus importantes que le football", dit-il alors. Quand je lui avais demandé les raisons de cet engagement, il m'avait répondu : "ce n'est pas pour moi, c'est pour mes enfants".
Il s'est aussi insurgé contre ces compagnies de traitement de l'eau, toutes privatisées, qui rejettent des eaux usées non traitées dans les rivières et l'océan; il attaqué aussi des personnalités politiques qui avaient accepté des sommes importantes de donateurs russes; critiqué le ministre des Affaires Etrangères James Cleverly qui avait suggéré que les supporters LGBTQI+ se rendant à la Coupe du monde de 2022 se montrent" des coutumes du Qatar, pays dans laquelle l'homosexualité est hors-la-loi; parlé des Etats-Unis comme d'un pays "incroyablement raciste" dans un podcast. Gary Lineker n'a pas sa langue dans sa poche; beaucoup de ses compatriotes lui savent gré de s'en servir, et la grande majorité lui en reconnait le droit.
La BBC, d'ailleurs, n'avait rien trouvé à redire lorsque son présentateur-vedette avait entamé sa présentation du Mondial qatari de 2022 sur l'antenne du service public par un débat sur les dilemmes moraux causés par l'organisation du tournoi dans une autocratie accusée de multiples violations des droits de l'homme. La cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde avait d'ailleurs été écartée du réseau hertzien de la BBC pour n'être diffusée que sur l'une de ses chaînes numériques.
Mettre Lineker à pied, c'était, des plus maladroitement, donner l'impression que c'était une chose que défendre les droits de l'homme quand c'était un pays étranger qui était visé et une autre, toute différente, lorsque c'était le Royaume-Uni qui était en cause. Dans un tel combat d'idées, il ne pouvait qu'y avoir qu'un seul vainqueur.