L’astronome américain Frank Drake, père de SETI, est mort
Connu pour avoir initié les programmes d’écoutes de signaux extraterrestres, le radioastronome américain fut aussi à l’origine de plusieurs messages à destination d’éventuels aliens. Il élabora également une formule, toujours utilisée aujourd’hui, visant à quantifier le nombre de civilisations potentiellement détectables dans la Galaxie.
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Frank Drake, radioastronome et astrophysicien américain, pionnier de la recherche de vie intelligente dans la Voie lactée, est décédé le 2 septembre à son domicile d’Aptos, en Californie, à l’âge de 92 ans.
Ses contributions dans le domaine de la science sont nombreuses. Fondateur du champ d’étude scientifique dont l’objet est la recherche de vie extraterrestre intelligente (SETI), on lui doit notamment l’équation de Drake, un modèle permettant d’estimer le nombre de civilisations potentielles dans la galaxie. On lui doit également les premières observations de la ceinture de Van Allen de Jupiter et il est l’un des premiers astronomes à avoir mesuré la température accablante de la surface de Vénus ainsi que l’effet de serre de son épaisse atmosphère. Directeur du radio-observatoire d’Arecibo à Porto Rico, il est la figure tutélaire de générations d’astronomes et d’astrophysiciens qu’il a inspirés.
« Quand on écrira l’histoire de la science d’ici quelques centaines d’années et qu’une forme de vie intelligente aura été détectée en dehors de la Terre, ce qui finira par arriver, j’en suis absolument convaincu, je crois que Frank aura sa place parmi les plus grands scientifiques à avoir vécu », prédit Andrew Siemion, astrophysicien et directeur du Centre de recherche du SETI (BSRC) de l’Université de Californie à Berkeley. « Ça a été extraordinaire d’avoir la chance de le connaître. »
Frank Drake naît le 28 mai 1830 à Chicago. C’est à l’âge de huit ans qu’il entame le parcours intellectuel qui le mène jusqu’aux étoiles quand son père lui apprend qu’il existe d’autres mondes dans le cosmos. Si ce dernier veut en fait parler des autres planètes du Système solaire, l’esprit du jeune Frank imagine pour sa part une multitude de mondes comme la Terre dispersés dans toute la galaxie : des planètes habitables peuplées d’êtres assez intelligents pour s’être dotés de leurs propres voiture et de leurs propres rues et pour avoir répliqué la ville de Chicago.
Frank Drake cultive sa fascination pour l’espace tout au long de son parcours scolaire. En 1951, il obtient une licence d’ingénierie physique à l’Université Cornell. Membre du Corps de réserve de la Navy à Cornell (programme ROTC), il sert dans l’U.S. Navy de 1952 à 1955 en tant qu’officier affecté à l’électronique. Il étudie ensuite l’astronomie à l’Université Harvard de 1955 à 1958 où il a pour directrice de thèse Cecilia Payne-Gaposchkin, l’astrophysicienne qui, la première, a émis l’hypothèse que les étoiles sont principalement faites d’hydrogène et d’hélium.
À Harvard, Frank Drake met pour la première fois à l’épreuve ses théories d’enfant concernant l’existence de Terre alternatives. Une nuit, alors qu’il observe l’amas d’étoiles des Pléiades au radiotélescope, il aperçoit un curieux signal qui semble se déplacer avec l’amas. Il se dit que des créatures du fond du cosmos sont peut-être en train d’émettre un signal… Mais il s’agit en réalité d’une transmission d’un opérateur radio amateur de la région. Frank Drake se met alors en tête de découvrir par le calcul si un signal radio artificiel aurait pu provenir de ce système lointain.
Après l’obtention de son doctorat, Frank Drake part pour Green Bank et son Observatoire national de radioastronomie (NRAO), où il installe de nouveaux télescopes et réalise des observations alors inédites de Jupiter et de Vénus. En 1960, à l’aide du télescope Tatel, qui mesure 25 mètres de diamètre, il s’embarque dans ce qu’il nomme le Projet Ozma, du nom de la princesse du Magicien d’Oz, œuvre de l’écrivain L. Frank Baum. Par ce surnom, il cherche à évoquer un monde semblable au nôtre quoique bizarre et étranger.
Pendant trois mois, Frank Drake scrute des étoiles semblables au Soleil répondant aux noms de Tau Ceti ou d’Epsilon Eridani, en restant à l’affût de signaux radios en provenance de planètes abritant peut-être des civilisations extraterrestres. Il fait chou blanc, « mais c’était un début, et cela a incité beaucoup d’autres personnes à se mettre en quête », l’entend-on se souvenir dans un entretien de 2012.
Le Projet Ozma attire rapidement l’attention du public. À l’âge de 31 ans, Frank Drake obtient un soutien financier de l’Académie nationale des sciences (NAS) pour animer à Green Bank un atelier unique en son genre dont le but est de discuter de la recherche de vie en dehors de la Terre. Un brillant parterre de scientifiques est alors attendu en Virginie-Occidentale (notamment l’astronome Carl Sagan et le biochimiste Melvin Calvin qui obtient un prix Nobel durant le sommet) et Frank Drake se rend compte qu’il a besoin d’une méthode pour organiser les discussions du colloque.
Pour trouver des idées, Frank Drake descend dans le sous-sol situé sous la cafétéria de l’observatoire et se met à noter une série de facteurs que les astronomes devraient connaître pour déterminer le nombre de civilisations détectables dans la Voie lactée. Par exemple, le nombre de planètes orbitant autour d’autres étoiles et la probabilité que la vie émerge sur une planète donnée. Il s’aperçoit ensuite qu’il vient de tracer le contour d’une équation qui permettra de calculer le nombre de civilisations détectables dans notre galaxie selon la valeur des variablesL’équation de Drake est née : non pas dans un éclair de génie, mais dans un effort pratique visant à établir un guide de discussions dans le cadre d’un colloque.
« Il n’avait à l’évidence aucune idée à l’époque de ce que cette équation allait devenir, de ce qu’elle allait finir par représenter », confie Nadia Drake, fille de Frank Drake et contributrice régulière pour National Geographic. « Le fait que des gens se la soient fait tatouer, qu’on l’ait imprimée sur le flanc d’un camion U-Haul, qu’on la cite régulièrement comme l’une des équations les plus connues de la science, l’amusait beaucoup. »
Après le NRAO, Frank Drake travaille brièvement au Laboratoire de recherche sur la propulsion par réaction de la NASA en tant que directeur du service des sciences lunaires et planétaires. En 1964, il rejoint le département d’astronomie de l’Université Cornell. Il est également directeur de l’Observatoire d’Arecibo à Porto Rico de 1966 à 1968 puis du Centre national d’astronomie et de l’ionosphère (NAIC), qui administre l’observatoire, de 1971 à 1981.
Lors de son mandat, Frank Drake supervise notamment des rénovations à l’Observatoire d’Arecibo. Celles-ci doivent adapter à la recherche astronomique cet observatoire qui sert à l’origine à surveiller la haute atmosphère dans le cadre d’un programme de défense anti-missiles. Sur la gigantesque antenne parabolique du télescope, on installe, entre autres, un nouveau revêtement ainsi qu’un puissant radar dernier cri ; l’instrument est désormais plus sensible que jamais et peut détecter le mouvement d’astéroïdes et d’autres corps planétaires.
Frank Drake joue également un rôle central dans la représentation que l’humanité donne d’elle-même dans les messages qu’elle émet vers ces mondes lointains. C’est à lui que l’on doit le « message d’Arecibo », signal radio émis en 1974 en direction d’un amas d’étoiles situé à environ 22 000 années-lumière.
En 1972, Frank Drake co-conçoit la plaque de Pioneer, ce célèbre message pictographique dont on a équipé les sondes Pioneer 10 et Pioneer 11 représentant un homme et une femme, notre Système solaire, ainsi qu’une carte indiquant la position du Soleil dans la galaxie. Il deviendra également directeur technique du Voyager Golden Record, cet emblématique recueil de photos et de sons terriens qui, de même que la plaque de Pioneer, est une bouteille que l’humanité a jeté dans les mers du cosmos.
Frank Drake quitte Cornell en 1984 et emménage avec sa famille en Californie où il devient doyen du Département des sciences naturelles de l’Université de Californie à Santa Cruz. Quand il démissionne de ce poste en 1988, il y demeure toutefois professeur et est recruté à l’Institut SETI, qui vient alors d’être fondé, où il officie en tant que président du conseil d’administration et en tant que directeur du Centre Carl-Sagan pour l’étude de la vie dans l’Univers. Il mettra fin à sa carrière d’enseignant en 1996.
Les distinctions académiques qu’il reçoit tout au long de sa carrière sont pléthoriques. La nécrologie publiée par l’Université de Californie à Santa Cruz en atteste : membre de l’Académie américaine des arts et des sciences, membre de l’Académie nationale des sciences, président de la Société astronomique du Pacifique, président du Comité national de recherche en physique et en astronomie, et vice-président l’Association américaine pour l’avancement des sciences.
Mais on ne peut résumer Frank Drake à son travail. Pour canaliser son désir ardent de précision mathématique, il devient lapidaire amateur ; il taille et polit des pierres précieuses pour fabriquer des bijoux pour ses amis et sa famille. Il aime cultiver des orchidées (ses serres en abritent des centaines). Pendant un temps, il cultive également son propre vin rouge et remporte quelques médailles pour son travail à la New York State Fair.
Frank Drake est aussi un grand malicieux, et c’est sa fille qui le dit. Au début des 1980, alors qu’ils habitent Ithaca, il passe tout un réveillon de Noël à sauter dans le bois qui jouxte sa maison avec une lampe de poche couverte de cellophane pour donner à Nadia et à sa petite sœur la joie d’apercevoir le tarin lumineux de Rudolphe le renne au nez rouge, star fictionnelle de contes pour enfants.
Mais ses tendances espiègles débordent également sur sa vie professionnelle. Quand, pour fustiger ce qu’il considère être un gaspillage d’argent public, le sénateur américain William Proxmire décerne un très ironique Golden Fleece Award à une proposition de la NASA et du SETI, Frank Drake tente d’inscrire l’élu à la Flat Earth Society, qui défend l’idée selon laquelle la Terre serait plate. Sa requête sera toutefois rejetée.
Dans ses dernières années, Frank Drake sera témoin d’une révolution qui transformera l’astronomie du 21e siècle, qui approfondira l’intérêt scientifique porté au SETI et qui permettra d’affiner les paramètres de son équation : la découverte de milliers de planètes orbitant autour d’autres étoiles dans la Voie lactée.
Nadia Drake se souvient d’un jour de 2011 où Kepler, le télescope spatial de la NASA, a transmis un diagramme répertoriant plus de 1 200 nouvelles planètes potentielles découvertes dans son champ de vision. Quand Nadia l’a montré à son père, « il s’est juste arrêté un instant et a simplement dit : ‘Il y a tant de planètes’ », avec une voix pleine d’émerveillement.
Grâce à Kepler et à d’autres missions, les astronomes savent désormais que le nombre de planètes et d’étoiles dans la Voie lactée se trouve sur le même ordre de grandeur : il y en aurait 100 à 400 milliards. Parmi elles, des centaines de millions pourraient être des planètes telluriques de la taille de la Terre orbitant à une distance autorisant la présence d’eau liquide. Nombreux sont les astronomes qui pensent qu’un jour nous pourrions découvrir des traces de vie sur l’un de ces mondes lointains.
Et comme l’avait prédit un certain Frank Drake il y a plus de 80 ans, peut-être que ces planètes ont leurs propres voitures, leurs propres rues et leur propre Chicago.
En plus de sa fille Nadia, Frank Drake laisse derrière lui Amahl Shakhashiri Drake, sa femme depuis 44 ans ; Leila Drake Fossek, sa fille ; Steve Drake, Richard Drake et Paul Drake, ses fils issus d’un précédent mariage ; Bob Drake, son frère ; ainsi qu’une nièce, un neveu et quatre petits-enfants.