Pourquoi les ballons stratosphériques font de parfaits espions
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Le gouvernement américain mène désormais l’enquête à partir des débris récupérés en mer et de photos aériennes pour savoir ce que recherchait le ballon de haute altitude chinois qui a traversé les États-Unis début février 2023. Selon les renseignements déclassifiés publiés jeudi par le département d'État, les images réalisées par des avions militaires au cours de ce survol montrent que le ballon d’environ 60 mètres de haut était équipé d’antennes probablement destinée à géolocaliser et intercepter des communications sensibles. Ses larges panneaux solaires étaient en mesure d’alimenter de multiples capteurs d’espionnages, selon les autorités américaines.
Un ballon de la taille d'un avion de ligne
Repéré le 28 janvier au-dessus de l'Alaska, le ballon a survolé deux jours plus tard le territoire canadien avant rentrer le 31 janvier aux États-Unis au-dessus de l'Idaho. Sa destruction a été immédiatement demandée par le président Biden, mais cette option a été repoussée du fait de la taille monumentale de la charge utile – comparable à un avion de ligne -, qui aurait pu entraîner des dégâts sur les zones habitées. Toutes les activité ou communication sensible ont cependant été suspendue sur la trajectoire du ballon, qui s’est dirigé le 1er février vers le Montana qui abrite une base de l'armée de l'air dotées de missiles balistiques intercontinentaux.
Pour le Pentagone, il s’agissait là d’un fait d'espionnage flagrant, ce qui a amené le secrétaire d'État Antony Blinken à annuler un voyage prévu à Pékin. En répartie, le ministère chinois des Affaires étrangères a tenté de minimiser l’affaire en affirmant que l'engin était un ballon météorologique civil qui a dévié de sa trajectoire et a pénétré par accident dans l'espace américain. Finalement, après avoir traversé le pays, le ballon est abattu le 4 février au large de la Caroline du Sud, sur la côte est, par un missile lancé par un avion de chasse furtif F-22.
Utiliser les vents de haute altitude
Un deuxième ballon chinois avait également été repéré dans le ciel de l'Amérique centrale en direction de l'Amérique du Sud. Plus largement, les Etats-Unis pensent que les Chinois mènent une vaste campagne d’espionnage visant une quarantaine de pays des Amériques, d'Asie et d'Europe, notamment le Japon, l'Inde, le Vietnam, Taïwan et les Philippines. Les ballons volant à haute altitude (au-dessus de l’espace aérien, soit au-delà de 20 km) sont difficiles à repérer par les radars et des myriades de ballons sondes sont lancés chaque jour à des fins météorologiques. Certains d’entre eux sont d’ailleurs parfois classés comme Ovnis.7
Cette technologie de surveillance est l'une des plus anciennes ayant été déployée dans les airs, notamment durant la guerre froide. "Cela rappelle en effet les programmes américains de la guerre froide, au cours de laquelle des centaines de ballons espions ont été déployés au-dessus de l’URSS", indique Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la Recherche Stratégique. Après qu’a été découverte, au début du 20e siècle, l’existence de vents de haute altitude (les courants-jets) qui méandrent en majeure partie d’ouest en est, les stratèges américains en ont déduit qu’un ballon lâché en haute altitude depuis l’Europe occidentale serait porté par ces rivières atmosphériques au-dessus de l’URSS avant de rejoindre les bases américaines postées au Japon, chargées de les récupérer.
Un lien avec "l'affaire Roswell" ?
Le programme secret Mogul (1947-1949) a ainsi envoyé des ballons-sondes par grappes au-dessus du territoire soviétique pour surveiller notamment ses activités nucléaires. Il semblerait que la chute de l’un de ces ballons secrets au Nouveau Mexique, le 4 juillet 1947, soit à l’origine de « l’affaire de Roswell », souvent cité comme indice le plus probant de la chute d’une soucoupe volante extraterrestre.
En 1955, le président américain Eisenhower réitère l’expérience avec le programme Genetrix, qui a déployé entre le 10 janvier et le 6 février 1956 516 ballons espions évoluant à une altitude de 15 à 30 km, au-dessus de l’espace aérien. La cible était cette fois plus large, s’étendant à tout le bloc de l’est au-delà du rideau de fer - soit l’union soviétique et l’Europe de l’Est - jusqu’à la Chine communiste. Comme pour le ballon chinois, cette opération déclencha plusieurs crises diplomatiques avec les pays ciblés et notamment l’URSS. Les Soviétiques ont cependant rapidement découvert que les ballons perdaient de l’altitude la nuit et descendaient dans l’espace aérien où ils pouvaient être abattus par des avions de chasse. Sur les 516 ballons déployés, environ 90% ont été abattus ou perdus. Seuls 54 ont été récupérés et 31 ont permis de recueillir des informations. Mais celles-ci couvraient environ 2,5 millions de km2 de territoire sino-soviétique. Les Américains ont toutefois abandonné ce système à la fin des années 1950, lui préférant l’avion de reconnaissance et de surveillance U-2, capable de voler à 21 km d’altitude. Avec l’issue désastreuse que l’on connaît : le 1er mai, juste avant le sommet prévu à Paris entre le président américain Eisenhower et le dirigeant soviétique Khrouchtchev, un U2 a été abattu au-dessus de l’URSS et son pilote capturé. Le sommet fut annulé… Et la fin de la guerre froide reportée sine die.
Le renseignement et la surveillance depuis la haute altitude étendront par la suite l’éventail de leurs moyens, avec notamment la multiplication des satellites. Mais aujourd’hui, les aérostats stratosphériques connaissent un regain d’intérêt et sont désormais désignés par l’acronyme HAPS (High Altitude Pseudo-Satellites). "Le groupe Thales a par exemple le projet de dirigeable autonome Stratobus, explique Xavier Pasco. Airbus développe de son côté des avions solaires sans pilote destinés à évoluer eux aussi en haute altitude. Ces solutions qui se multiplient sont destinées au marché des télécoms. Moins coûteux, plus faciles à déployer et moins polluants en termes de débris spatiaux que les satellites, elles offrent des perspectives industrielles alors que la société consomme toujours plus de données en temps réel, que se développent l'internet des objets et les voitures en pilotage automatique, autant de technologies qui nécessitent toujours plus d’infrastructures de communication. Ces plateformes sont polyvalentes et peuvent donc être facilement militarisées". Après les actes hostiles de satellites espions russes ces dernières années, une nouvelle guerre de ballons est-elle en train de s’installer dans la stratosphère ?