Face à l’inaction climatique, des scientifiques se tournent vers la désobéissance civile
Poussés par la frustration de n'être pas assez entendus, des chercheurs estiment nécessaire de s'engager dans des actions plus radicales.
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Alors que les COP et les rapports scientifiques s'enchainent et alertent toujours plus sur l'urgence climatique... rien ne se passe. Pourtant, les conséquences se font déjà sentir dans les pays les plus exposés, avec des événements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents : inondations, ouragans, canicules, sécheresses...
Face à ce constat, de plus en plus de monde se tourne vers l'activisme. Et parmi ces personnes, une grande quantité de scientifiques, lassés de l'inaction climatique et désespérés de se faire entendre. Futura est allé à la rencontre de Kevin Jean, maître de conférences au Cnam et l'un des fondateurs de Scientifiques en rébellion, un collectif de scientifiques qui se mobilise contre l'inaction climatique. Pour lui, « la préoccupation environnementale était présente depuis longtemps », explique-t-il, puis son parcours en épidémiologie et maladies infectieuses lui a permis de faire le lien entre les crises environnementales et la santé.
Le dérèglement climatique impacte la santé à plusieurs niveaux
Car les conséquences sanitaires sont nombreuses. « Il faut considérer plusieurs crises environnementales : le climat, la biodiversité, et la pollution des milieux », explique K. Jean. Et chacune apporte son lot d'impacts sur la santé. « Par exemple, la pollution des milieux par des perturbateurs endocriniens cause une baisse de la fertilité. La crise de la biodiversité pourrait entrainer l'émergence de pathogènes.»
Et les effets du réchauffement climatique sont aussi nombreux, avec notamment ceux directs de la sécheresse, des incendies, des canicules... et ceux indirects, comme l'éco-anxiété, aussi appelée solastalgie. Nommée pour la première fois en 2003, cette réaction à la crise climatique devient de plus en plus présente, notamment chez les jeunes générations. Une réaction censée, selon Kevin Jean. « Avoir de l'éco-anxiété est tout à fait normal face à l'ampleur des phénomènes que l'on vit, ce serait plutôt le fait de ne pas ressentir d'angoisse qui serait pathologique. »
« Actuellement, les politiques scientifiques sont tournées vers un monde qui n’a pas pris conscience de ses limites »
Cette éco-anxiété est augmentée par le constat qu'aucune décision politique ne s'oriente vers la bonne direction, ou trop timidement. Ainsi, de nombreux scientifiques ont décidé de faire porter leur voix, et leurs valeurs. Avec notamment l'appel de 2020 qui a reçu plusieurs milliers de signatures et incitait à la désobéissance civile et au développement d'alternatives.
« Actuellement, les politiques scientifiques sont tournées vers un monde qui n'a pas pris conscience de ses limites. La désobéissance fait partie d'un éventail d'actions à mettre en place pour contrer ça. Le travail d'éducation scientifique, par les rapports, les études, on l'a fait. Il y a même eu des interventions au gouvernement par Valérie Masson-Delmotte notamment, mais rien ne fonctionne, déplore K. Jean. En tant que scientifiques, notre devoir est de mettre les éléments scientifiques dans le débat public. Si dans ma pratique je découvrais un médicament très nocif pour la santé, ce serait contraire à l'éthique que je ne le dévoile pas. Pour l'alerte climatique, c'est pareil ».
Une présence qui donne de la légitimité
Le collectif Scientifiques en rébellion existe aussi à l'échelle internationale : en Allemagne, plusieurs scientifiques du monde entier se sont réunis fin octobre 2022 pour envahir les showrooms de BMW et dénoncer la crise climatique. Certains ont été arrêtés, dont cinq français. « Au même moment, en France, on manifestait devant le siège de Dassault, l'un des premiers fabricants de jets privés, pour dénoncer leur contribution au réchauffement climatique, et le manque de régulations », continue K. Jean.
D'autres scientifiques, dont des hydrologues, étaient présents le week-end des 25 et 26 mars, contre les projets de méga-bassines dans l'ouest de la France. Le but à chaque fois : une visibilité médiatique. Des actions que considère Kevin Jean comme s'inscrivant dans la continuité de son travail de chercheur. « Mes trois missions en tant que maître de conférences sont : la recherche, l'enseignement, et la diffusion des connaissances scientifiques. Placer ces enjeux de société dans le débat public est donc compris dedans. »
Malgré les risques, de nombreux scientifiques sont prêts à sauter le pas. « On sait que l'on s'expose à des risques juridiques et physiques lorsqu'on prend part à ces actions de désobéissance civile. Mais à côté de ça, on bénéficie d'un certain niveau de confiance. Par notre présence, on apporte une forme de crédit à ces actions. Et d'une couverture médiatique assez intense », explique K. Jean.