Un courant atlantique majeur s’affaiblit. Son effondrement provoquerait des désastres mondiaux.
Le Gulf Stream, un système vital de courants océaniques qui aide à réguler le climat de l’hémisphère nord, pourrait s’effondrer à tout moment entre 2025 et 2095 et déclencher le chaos climatique, prévient une nouvelle étude.
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En 2004, le film catastrophe "Le jour d’après" dépeignait un monde devenu difficilement vivable à cause des transformations liées aux changements climatiques. Son réalisateur Roland Emmerich prenait comme point de départ de son scénario catastrophe l’effondrement d’un phénomène océanique et climatique au nom abscons : la "circulation de retournement" ou "Atlantic meridional overturning circulation" en anglais (Amoc). Un phénomène crucial – dont fait partie le célèbre Gulf stream – qui fait remonter de l’eau chaude de l’équateur vers le nord de l’Atlantique et joue un rôle de thermostat pour les températures un peu partout sur Terre.
Il se pourrait que ce "Jour d’après" cinématographique ne soit plus si éloigné que cela dans la réalité. Du moins à en croire une étude parue mardi 26 juillet dans le très prestigieux magazine Nature et qui fait depuis l’objet d’intenses débats scientifiques. Cet article peut, en effet, sembler très alarmiste : il assure qu’en raison du réchauffement climatique la fin de l’Amoc pourrait être imminente, et se produire dès 2024 dans le pire scénario envisagé par les deux climatologues danois qui l’ont rédigé.
"95 % de certitude" d'un effondrement avant 2100
Les hypothèses moins catastrophiques ne sont pas beaucoup plus rassurantes. Ces climatologues sont convaincus "à 95 % que cet effondrement aura lieu à un moment entre 2025 et 2095. La date la plus probable est 2057, soit dans 34 ans", affirme un communiqué du Niels Bohr Institute de l’Université de Copenhague, où travaillent les auteurs de cette étude.
C’est bien plus tôt et radical que les prévisions des experts du Giec, qui n’envisage pas d’effondrement de ce phénomène dans les 100 prochaines années, souligne la chaîne américaine CNN.
"Cela fait vraiment peur, et nous ne ferions pas ce genre de prédiction à la légère", assure à CNN Peter Ditlevsen, l’un des auteurs de cette étude.
Pour comprendre l’enjeu de cet article scientifique, il faut garder à l’esprit que "l’effondrement de l’Amoc est considéré comme l’un des principaux points de basculement du réchauffement climatique avec de profonds effets pour l’humanité", rappelle Andrew Watson, directeur du groupe de recherche atmosphérique et maritime de l’université d’Exeter.
La circulation de retournement est un système complexe de courants, souvent comparé à un immense tapis roulant. Il transporte l’eau chaude de l’équateur vers l’Atlantique nord où les courants refroidissent. L’eau devient alors plus lourde et dense, et s’enfonce jusqu’aux profondeurs de l’océan où des courants contraires la ramènent vers le sud.
Cette eau chaude permet, notamment, d’avoir des hivers plus doux dans l’hémisphère nord et ces courants ont aussi un impact important sur le fonctionnement des moussons et la puissance de certains événements climatiques extrêmes comme les ouragans.
Hivers plus froids au nord, fin des pluies au Sahel
Si l’Amoc cessait de fonctionner – c’est-à-dire qu’il n’y aurait plus ce mouvement d’eau chaude qui remonte au nord et d’eau froide qui descend vers le sud – les conséquences seraient brutales. Les hivers deviendraient beaucoup plus froids au nord, et des régions entières, notamment en Afrique de l’ouest ou en Inde, risqueraient d’être presque entièrement privées de précipitations.
"Certaines zones densément peuplées – notamment en Inde –, seraient profondément impactées par cette baisse des précipitations", note Jon Robson, climatologue et océanologue à l’université de Reading. Sans précipitations ou moussons, la sécurité alimentaire de millions de personnes seraient notamment remise en question.
Les changements seraient surtout très soudains. Un tel effondrement s’est produit il y a environ 20 000 ans durant la dernière période glaciaire et les températures avaient connu des changements de plus de 10 °C en moyenne en à peine une décennie. L’humanité aurait le plus grand mal à s’adapter à une transformation climatique aussi profonde en un laps de temps aussi court.
Pour parvenir à leur conclusion, les auteurs de l’article de Nature ont comparé les températures à la surface de l’océan dans l’Atlantique nord – où le phénomène de retournement se produit – sur les 150 dernières années. Ils ont observé que les températures variaient de plus en plus d’une année sur l’autre. Une instabilité qui serait, selon eux, le prélude à ce point de bascule. "C’est un peu comme avec les marchés financiers. Quand ils deviennent très instables, c’est-à-dire très volatiles, l’effondrement des cours est généralement proche", explique le géologue américain Jeffrey Kargel, dans une contribution au site de vulgarisation scientifique Science Media Center.
"La grande nouveauté de cet article est qu’il propose une évaluation temporelle de ce point de bascule. Une estimation qui, il faut le reconnaître, est osée", résume Didier Swingedouw, spécialiste de l’Amoc au Laboratoire Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux (EPOC) de l’université de Bordeaux.
Conclusion inutilement alarmiste ?
Plus qu’osée, ce serait "une conclusion inutilement alarmiste", assure Penny Holliday, océanologue et spécialiste de l’Amoc au Centre national britannique d’océanographie. Elle rappelle qu’il n’existe d’observations scientifiques du fonctionnement de l’Amoc que depuis 20 ans. Si l'on s’en tient à ces seules données, "il n’y a pas de preuve d’un rapide déclin de l’état de santé de l’Amoc", assure-t-elle. Depuis 2014, après dix ans de ralentissement qui aurait pu faire craindre le pire, il a même repris du poil de la bête.
Tous les experts interrogés jugent qu'il faut prendre cette étude avec des pincettes. Un autre problème identifié vient du choix de la température à la surface de l’océan comme mètre étalon pour évaluer la bonne santé de l’Amoc. "Les auteurs ne prennent pas du tout en compte d’autres facteurs qui pourraient aussi expliquer ces variations de température", estime Jon Robson.
Sans compter que la conséquence de l’instabilité de l’Amoc n’est pas forcément un effondrement du système. "Il y a peut-être autre chose de moins dramatique de l’autre côté de cette instabilité", explique Andrew Watson. "Rien ne prouve qu’il n’y a que deux choix : soit l’Amoc fonctionne, soit il ne fonctionne pas", ajoute Jonathan Bamber, directeur du Bristol Glaciology Centre. Peut-être que le pire qui puisse arriver est un fort ralentissement de l’Amoc.
Ce qui ne serait pas rassurant pour autant. Si la puissance de l’Amoc diminue, "il y aura tout de même d’importants effets sur le climat mondial", assure Andrew Watson. La seule différence est "que cela arrivera moins vite, ce qui pourrait nous laisser le temps de réagir", conclut Jon Robson. C’est-à-dire faire confiance aux gouvernements pour réduire aussi vite que possible nos émissions de gaz à effet de serre, car de l’avis de tous les experts interrogés, plus le réchauffement climatique dure ou s’accentue, plus le risque d’un effondrement de l’Amoc augmente.