Guerre Israël-Hamas : l'UE aboie, mais reste impuissante face au chaos des réseaux sociaux
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EDITORIAL - L'Union Européenne aurait les moyens de peser sur les Israéliens et sur les Palestiniens mais l'unité européenne se limite au plus petit dénominateur commun sur ce sujet. Paralysée par ses divisions, pour s'en sortir, l'UE doit pour l'instant se contenter de faire ce qu'elle fait de mieux: de l'humanitaire.
Cacophonie et cafouillages. L’Union européenne est divisée face à la riposte lancée par Israël aux sanglantes attaques du Hamas. Les dirigeants des 27, réunis en visioconférence le 17 octobre à l’initiative du président du conseil européen Charles Michel, ont tenté d’afficher une position commune. Mais celle-ci se limite au plus petit dénominateur commun.
Au lendemain du massacre de quelque 1.400 citoyens israéliens tués du seul fait d’être juifs, Washington en commun avec Londres, Paris, Berlin et Rome, avaient dans une déclaration commune rappelé leur soutien total à Israël et son droit à se défendre. Les Occidentaux ne peuvent toutefois rester muets sur l’ampleur des bombardements israéliens, sur le siège de Gaza et la tragédie humanitaire en cours avec le déplacement vers le sud de l’enclave d’un million de civils avant la prochaine intervention terrestre de Tsahal.
Ils sont donc condamnés au grand écart. C’est vrai pour les Etats-Unis. En témoigne d’ailleurs la visite du président américain Joe Biden en Israël et en Jordanie ce mercredi. La royauté jordanienne a toutefois annulé le sommet auquel devait participer le roi Abdallah II, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le dirigeant de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Une décision qui fait suite au bombardement d'un hôpital hier soir à Gaza.
Le grand écart est encore plus vrai pour les dirigeants européens après une semaine de faux pas et de déclarations contradictoires témoignant de sensibilités pour le moins différentes entre les responsables de l’Union et les diverses capitales des "27": quoi dire et que faire face à une guerre qui, au-delà même des affrontements à Gaza, risque de s‘étendre à toute la région.
Premier partenaire commercial d’Israël, mais aussi premier donateur au monde pour l’aide humanitaire aux Palestiniens, l’UE aurait les moyens de peser sur les deux parties. Encore faudrait-il le vouloir et, surtout, savoir quoi faire. Cette guerre qui, à bien des égards, s’annonce déjà comme aussi grave voire encore plus que la guerre d’Ukraine, montre les fragilités de la construction communautaire.
Lors de la crise du Covid, l’Union, après quelques semaines de confusion, avait su faire face en commun et avec efficacité à la pandémie, notamment grâce à l’action de la Commission et de sa présidente Ursula Von Der Layen et pour l’achat puis la production en commun de vaccins. Face à l’agression russe en Ukraine, l’Union avait su faire bloc dans son soutien à Kiev, notamment en livrant du matériel militaire. Longtemps on avait ironisé sur cette UE "herbivore dans un monde carnivore", selon le mot de l’ancien ministre français des affaires étrangères Hubert Védrine.
Elle se montra capable d’un surprenant sursaut commençant à prendre en charge sa sécurité et sa défense au sein de l’Otan. Le montant global des aides fournies par les Européens à l’Ukraine est désormais supérieur à celui donné par les Etats-Unis.
La cacophonie de la commission européenne
Mais aujourd’hui, face à un possible - voire probable - embrasement du Moyen-Orient l’Europe est à nouveau paralysée par ses divisions, même si elle réussit à sauver (un peu) la face en misant sur ce qu’elle sait faire de mieux : l’humanitaire. La Commission a annoncé un triplement des aides à la population civile de Gaza et a demandé la création de corridors avec l’Egypte afin d’aider les populations civiles déplacées au sein de l’enclave. "Il est de la plus haute importance que le Conseil Européen, en ligne avec les traités et nos valeurs, adopte une position commune et établisse un plan d’action clair et unifié qui reflète la complexité de la situation en cours" a expliqué dans une parfaite langue bois d’eurocrate Charles Michel, le président du conseil européen. La traduction? "il y a besoin de mettre de l’ordre" résume un diplomate européen.
"La cacophonie est moins celle de l’Union en tant que telle que de la Commission où chaque commissaire joue sa propre partition et dont la présidente Ursula von der Leyen agit comme si elle présidait l’Europe alors qu’elle ne préside que la Commission", analyse Yves Bertoncini, universitaire et spécialiste des questions européennes. Dès son entrée en fonction, l’ancienne ministre allemande de la défense avait annoncé vouloir incarner "une présidence géopolitique".
Certes, il était temps que l’Union prenne pleinement conscience des enjeux stratégiques, en particulier dans son environnement immédiat à l’est et au sud afin d’agir en conséquence. Mais ainsi Ursula von der Leyen outrepassait son rôle, car ces questions de politique étrangère et de sécurité sont avant tout du ressort des Etats et, conséquemment, du Conseil européen. D’où des grincements récurrents d’autant qu’elle jouait "perso" et de façon peu collégiale. Ces tensions latentes sont apparues dans toute leur évidence sous le choc des tueries du Hamas.
Premier couac, le commissaire hongrois Oliver Varhelyi a annoncé par un tweet et de son propre chef une suspension des aides européennes aux Palestiniens, suscitant aussitôt un tollé dans certaines capitales. L’exécutif européen a sur le champ rectifié le tir. Second couac, la présidente de la Commission, depuis Tel-Aviv, a clamé, après une rencontre avec Benjamin Netanyahou, qu’Israël a "le droit" et "même le devoir de défendre et protéger sa population", sans pour autant ajouter que cette réponse devait se faire conformément au droit humanitaire et international.
"Ces propos ne reflètent que la sensibilité personnelle de madame von der Leyen, et pas la position de l’Union", s’indigne un diplomate rappelant que la présidente de la Commission n’est pas en charge de la politique étrangère de l’Union. L’émoi est d’autant plus fort que, pour l’opinion mondiale et notamment arabe peu au fait des subtilités de l’architecture institutionnelle européenne, l’UE proclamait ainsi son alignement sans réserve sur le gouvernement israélien.
La Palestine, sujet privilégié de l'Europe du sud
Au-delà des rivalités personnelles et de pouvoir, ces fractures sont bien réelles au sein de l’Union. Il y a, d’un côté, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, l’Allemagne dont elle est originaire et les pays d’Europe centrale qui affichent tous un soutien quasi sans limite à l’État hébreu et à son droit à se défendre. De l’autre, les pays méditerranéens, l’Espagne en tête, et le chef de la diplomatie européenne, l’Espagnol Josep Borrel, qui accordent une grande importance au sort des civils palestiniens et insistent sur l’obligation pour l’État hébreu de respecter le droit humanitaire international. Ces divisions sont anciennes.
En outre, les approches des Etats membres concernant la Palestine, pays observateur à l’Onu depuis 2012, sont très différentes. Neuf pays parmi les 27 reconnaissent la Palestine comme État. Ce sont les ex-pays du bloc communiste qui avaient noué ces relations avec la Palestine pendant la guerre froide, mais encore la Suède, Chypre et Malte.
Malgré ces différences entre Etats membres, l’Union Européenne avait été l’un des plus ferme soutien du processus de paix israléo-palestinien lancé par les Accords d’Oslo et fondé sur la coexistence de deux États. Ainsi elle ne considère pas les territoires occupés après 1967 comme faisant partie d’Israël et exclut des accords commerciaux passés avec Tel-Aviv les produits venant des colonies. Mais ce processus, depuis des années maintenant, est plongé dans un coma irréversible avec une Autorité Palestinienne corrompue et délégitimée.
Son président, le quasi nonagénaire Mahmoud Abbas, installé au pouvoir depuis 2005 après la mort d’Arafat sans que, depuis, il n’ait été élu, a été systématiquement affaibli par les gouvernements de la droite israélienne, opposés à la solution des deux Etats. Abbas ne peut plus être un interlocuteur crédible, mais il n’y en a pas d’autres… Tout ce qui a fondé la politique des Européens dans le conflit israélo-palestinien est de la sorte ébranlé. Ils sont désormais hors jeu et leurs divisions ne font que rendre encore un peu plus évidente leur totale impuissance. Y compris pour les capitales qui, comme Paris, furent longtemps les plus vocales sur les tragédies du Levant.