Chili : pourquoi la proposition de nouvelle Constitution est-elle massivement rejetée ?
Les Chiliens ont massivement rejeté dimanche 4 septembre la proposition de nouvelle Constitution qui visait à remplacer celle héritée de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990).
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Le verdict de ce référendum à vote obligatoire est sans ambiguïté et dépasse toutes les prédictions des instituts de sondage. Quelque 61,9 % des électeurs, soit plus de 7,8 millions de personnes, ont glissé le bulletin "je rejette", contre 4,8 millions (38,1 %) favorables à la mention "j'approuve", selon les résultats définitifs.
Ce choix ne fait cependant que suspendre le processus de nouvelle Constitution entamé après le violent soulèvement populaire de 2019 réclamant plus de justice sociale, et rendait coupable de tous les maux du pays celle rédigée sous le régime militaire.
"Je m'engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour construire un nouveau processus constitutionnel", a solennellement déclaré après les résultats le président de gauche de 36 ans élu en décembre.
Depuis le palais présidentiel de la Moneda, il a lancé "un appel à toutes les forces politiques pour qu'elles fassent passer le Chili avant toute divergence légitime, et qu'elles se mettent d'accord le plus rapidement possible sur les délais et les contours" de ce nouveau processus "dans lequel, bien sûr, le Parlement devra être le principal protagoniste".
Célébrant la "défaite pour les refondateurs du Chili", Javier Macaya, président du parti ultra-conservateur UDI, a dit lors d'une conférence de presse vouloir également "poursuivre le processus constitutionnel", comme s'y était engagée l'opposition durant la campagne pour faire barrage au texte proposé.
Conservatisme
Un premier référendum en octobre 2020 avait clairement appelé à la rédaction d'un nouvelle Loi fondamentale (79 %), et voir effacée l'ombre de Pinochet et d'un Chili laboratoire de l'ultralibéralisme. Mais le fruit d'une année de travail des 154 membres d'une Assemblée constituante, élus en mai 2021 pour rédiger la proposition, a semble-t-il trop bousculé le conservatisme d'une majeure partie de la société chilienne.
De nouveaux droits sociaux avaient pourtant été pensés pour équilibrer une société aux fortes inégalités sociales, en proposant de garantir un droit à l'éducation, à la santé publique, à une retraite ainsi qu'à un logement décent, pour ne plus les laisser aux seules mains du marché.
L'inscription dans le marbre du droit à l'avortement, un sujet qui fait débat dans le pays où l'IVG n'est autorisée que depuis 2017 en cas de viol ou de danger pour la mère ou l'enfant, ou encore la reconnaissance de nouveaux droits aux peuples autochtones, a crispé les débats souvent houleux dans une campagne baignée dans un climat de désinformation.
"Échec retentissant"
L'ancienne présidente Michelle Bachelet, qui vient de quitter son poste de Haute-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme à Genève, où elle a voté, et qui demeure très populaire dans son pays, a prévenu qu'en cas de rejet, "les demandes de Chiliens resteront insatisfaites".
Cette volonté de changement perçue à l'étranger et dans la capitale Santiago, surtout dans la jeunesse qui a envahi les rues, a été balayée par l'immense rejet qu'inspirait le texte "dans le sud et le nord du pays", selon Marta Lagos, sociologue et fondatrice de l'institut de sondage Mori.
Ces deux régions connaissent de graves problèmes de violence et d'insécurité. Dans le Sud, en raison de conflits autour de terres revendiquées par des groupes radicaux indigènes Mapuche et, dans le Nord, en raison de l'afflux migratoire, des problèmes de pauvreté et de trafic d'êtres humains.
Selon elle, les tenants du "non" forment un groupe "très hétérogène" avec une forte fibre "populiste" alimentée par la "peur" de se voir dépossédés. Mais des voix de centre gauche se sont également jointes aux protestations. "Personne n'avait prévu cet écart de plus de 20 points de pourcentage", a-t-elle écrit sur Twitter, qualifiant le résultat d'"échec retentissant".
"Président Boric : cette défaite est aussi la vôtre", a déclaré le leader d'extrême droite Antonio Kast, ouvertement admirateur de Pinochet, qui s'était incliné lors du second tour de la présidentielle.