Islam : ce que vous ne saviez pas sur la minorité chiite
Dès le commencement de l’islam, les chiites sont ceux qui reconnaissent Ali, cousin du prophète Mohammed et époux de sa fille Fatima, comme son seul successeur légitime.
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Samedi 17 septembre, des millions de fidèles prendront la route du sanctuaire de Kerbala, en Irak, à l’occasion de l’Arbaïn, principal pèlerinage de l’islam chiite. Les croyants commémorent à cette occasion le martyre de l’imam Hussein, figure centrale dans ce courant minoritaire de l’islam articulé autour du culte de l’imam.
Comment est né le chiisme ?
Dès le commencement de l’islam, les chiites sont ceux qui reconnaissent Ali, cousin du prophète Mohammed et époux de sa fille Fatima, comme son seul successeur légitime. Ils s’opposent ainsi aux sunnites, partisans d’Abou Bakr, compagnon du prophète, qui deviendra le premier calife de l’islam. Pour les chiites, Ali est considéré à la fois comme un chef temporel et comme un guide spirituel. C’est à lui qu’il revient d’assurer la succession politique du prophète, mais aussi de déployer le sens caché de la révélation contenue dans le Coran.
Ali connaîtra une destinée malheureuse. Après avoir été écarté du pouvoir, il devient le quatrième calife de l’islam, avant d’être assassiné en 661 apr. J.-C. S’il perd le pouvoir politique, sa figure spirituelle sera progressivement exaltée et vénérée, au point de revêtir une dimension quasi divine. « Autour de la figure de l’imam Ali se constitue une véritable religion » (1), explique Mohammad Ali Amir-Moezzi, islamologue spécialiste du chiisme. De telle sorte que « le chiisme est la religion de l’imam, comme le christianisme est la religion du Christ ».
Qu’est-ce que l’imamat ?
Dans le chiisme duodécimain, majoritaire dans le monde et au pouvoir en Iran, douze imams continuent la succession du prophète Mohammed, sur le plan temporel et spirituel, ou exotérique et ésotérique. Après Ali, premier imam, aucun d’entre eux n’a exercé le pouvoir politique. Hussein, troisième imam, a été défait à Kerbala en 680, ou il a affronté avec seulement soixante-dix hommes les armées du calife omeyyade Yazid.
De ce massacre naquit la figure du martyr, centrale dans le chiisme, dont Hussein devint l’emblème. « La tragédie de Kerbala fait l’objet d’épopées tragiques, et devient un événement fondateur du chiisme », résume Mathieu Terrier, chargé de recherche au CNRS et spécialiste de l’islam chiite.
Après la mort de Hussein, les imams, surveillés et victimes de persécution par le pouvoir califal, mènent une vie plus confidentielle et sans influence politique. Alors que leur trajectoire historique est marquée par la faiblesse et l’impuissance face aux événements, l’aura spirituelle des imams grandit. Leurs écrits et leurs enseignements sont compilés dans des recueils de hadiths (paroles du prophète, de sa famille et des imams).
« C’est à partir de ces paroles que se construit la figure de l’imam comme guide divin, dont la mission est de délivrer l’esprit de la révélation », poursuit Mathieu Terrier. Figure théophanique, manifestant les attributs de Dieu, l’imam est considéré comme infaillible et impeccable (ma’ṣūm), c’est-à-dire qu’il détient la science et ne peut pas pécher.
Le douzième imam est une figure messianique. D’abord caché pour échapper aux persécutions, celui qu’on appelle le Mahdi disparaît définitivement en 941 apr. J.-C., lors d’un événement nommé « l’occultation majeure ». Toujours présent, mais caché, il reviendra à la fin des temps, selon l’histoire sacrée chiite, pour « couvrir la terre de justice ». Lors de cette manifestation finale, « le Mahdi triomphera de tous ses ennemis et déploiera la puissance qui a manqué à tous les imams précédents », raconte Mathieu Terrier.
Cette revanche historique revêt aussi une dimension spirituelle, puisque c’est lors de cette manifestation que sera entièrement dévoilé le sens caché de la révélation, du Coran mais aussi des évangiles et de la Torah. « C’est l’accomplissement de l’imamat », poursuit le chercheur.
Au XIIIe et au XIVe siècle naît la gnose (‘irfān), un courant de pensée qui va revivifier la dimension ésotérique du chiisme. Des savants, les gnostiques, reprennent les enseignements des imams et leur donnent une ossature plus rationnelle, en s’appuyant sur la philosophie hellénistique et le soufisme. Avec eux, « le chiisme devient une religion de perfectionnement spirituel de soi », développe Mathieu Terrier.
Comment cela se manifeste-t-il dans la pratique ?
Les chiites vont rendre visite aux imams en partant en pèlerinage sur leur tombeau. « Ces figures sacrées sont considérées comme des intermédiaires pour se connecter au divin, intercéder auprès de Dieu au moment du jugement dernier, ou pour exaucer des vœux », explique Sabrina Mervin, historienne et anthropologue du chiisme contemporain.
Lors du pèlerinage de l’Arbaïn, environ 15 millions de chiites venus principalement d’Irak et d’Iran affluent vers le sanctuaire de Kerbala, en Irak, quarante jours après Achoura, date de la commémoration du martyr de Hussein.
Pendant les célébrations d’Achoura ou le pèlerinage de l’Arbaïn, les croyants commémorent la mort de Hussein à la bataille de Kerbala, et « ressentent un chagrin immense d’avoir perdu un imam et sa famille dans ces conditions », explique Sabrina Mervin. « Ils s’identifient à ces figures, et pleurent comme si leur mort avait eu lieu hier. »
La mise en scène de cette bataille par des reconstitutions physiques, ou par des récits, aide à ce processus d’empathie. Chez les chiites, « les pleurs mènent au paradis », analyse Sabrina Mervin.
Le chagrin est aussi mêlé d’espérance. « On pleure la perte de Hussein, mais les pratiquants sont aussi en attente de la réapparition du Mahdi », décrit la chercheuse. Ces pèlerinages sont aussi de grands moments de convivialité et de fraternité entre les croyants, qui permettent de « recharger les batteries de la foi. »
Certaines dimensions du chiisme ne manquent pas d’évoquer le catholicisme. Ainsi « comme le catholicisme, le chiisme est une religion de chair et de sang », souligne Sabrina Mervin, qui estime par exemple que des représentations de Hussein, sanguinolentes, ne sont pas sans rappeler le récit de la Passion de Jésus.