Guerre médiatique : comment l'Arabie saoudite incite-t-elle à la violence sur le territoire de son rival iranien?
La chaîne d’information Iran International considérée comme un bas médiatique de l'Arabie saoudite incite à la violence sur le territoire de son rival iranien.
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17 octobre, en marge d’un exercice militaire et alors que les troubles font rage depuis quelques semaines déjà à Téhéran et d’autres grandes villes du pays, le chef du Corps des gardiens de la révolution islamique, Hossein Salami, lance une menace à peine dissimulée à destination de la famille royale saoudienne : « Faites attention à votre comportement et contrôlez ces médias, sinon, vous en paierez le prix. » Sans les nommer, les coupables sont pourtant vite identifiés.
Diffusé depuis de Londres en persan, Iran International a été accusé d'attiser les violences en Iran. Financé par le royaume wahhabite, il se retrouve dans le viseur des autorités iraniennes en raison de répandre la désinformation.
Opacité du financement
Selon des révélations du média britannique The Guardian datant de 2018, les moyens colossaux du média viendraient directement de la famille royale saoudienne, qui aurait soutenu la chaîne à hauteur de 250 millions de dollars. Celle-ci serait financée par le biais d’une entité offshore secrète et de la société Volant Media, dont l’un des deux directeurs et actionnaire aurait été à l’époque Adel Al-Abdulkarim, un homme d’affaires saoudien ayant des liens étroits avec le prince héritier et désormais Premier ministre, Mohammad ben Salmane.
La chaîne soutient une totale impartialité, renvoyant entre autres à sa « couverture de l’affaire Khashoggi », ce journaliste saoudien assassiné en octobre 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul lors d’une opération commando, approuvée selon les services de renseignements américains par le dauphin saoudien lui-même. Elle récuse également toute forme d’ingérence et évoque vaguement un propriétaire : « Citoyen britannico-saoudien sans lien avec la famille royale ou dirigeante d’Arabie saoudite. »
Stratégie d’influence
Ce ne serait pourtant pas la première fois que les Saoudiens s’intéressent aux médias étrangers. En septembre 2017, par exemple, Bloomberg al-Arabiya voit le jour, à l’issue d’un accord signé entre le leader mondial de l’information financière et Saudi Research and Marketing Group (SRMG), groupe d’édition et organe de soft power du régime. L’année d’après, c’est le quotidien britannique The Independent qui s’allie à SRMG pour lancer des sites web en différentes langues à travers le Moyen-Orient et le Pakistan, dont les contenus sont presque exclusivement produits par l’organe saoudien. La création d’Iran International en 2017 semble ainsi s’inscrire dans une stratégie saoudienne plus globale visant à construire un empire médiatique de grande ampleur.
Pour l’Arabie Saoudite, qui occupe la 166e place sur 180 dans le classement établi en 2022 par Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, l’objectif de cette présence et ingérence médiatique est double.
Sur la scène internationale, l’enjeu est de réhabiliter son image écornée par l’affaire Khashoggi.
Sur la scène régionale, elle permettrait à l’Arabie saoudite d’influencer en catimini les opinions publiques afin d’affaiblir ses rivaux.
En 2018 par exemple, au lendemain d’une attaque visant un défilé militaire, Iran International a été le seul média à recevoir pour une interview Yacoub Hor al-Tostari, porte-parole du Mouvement arabe de lutte pour la libération d’Ahvaz, capitale du Khuzestan dans le sud-ouest iranien, venu justifier les trente morts causés par l’attentat, dont des civils. Une plainte, déposée à l’encontre de la chaîne par l’ambassadeur d’Iran au Royaume-Uni, avait été rejetée par Ofcom, le chien de garde des médias britanniques, arguant que le présentateur avait « clairement contesté son point de vue et souligné la nature violente de l’attaque ».
Lassée des échecs continus dans la région, surtout après entrée en guerre contre le peuple yéménite et des menaces d'attaques de missiles des Houthis soutenus par l’Iran, l’Arabie saoudite tente sa chance dans la guerre médiatique.
Source : L’Orient-Le Jour