Naufrage en Grèce: «Les moyens adéquats n’ont pas été déployés à temps», selon SOS Méditerranée

Face au drame de mercredi en Grèce et à un nombre de décès en hausse, le président de SOS Méditerranée France, François Thomas, alerte sur la baisse des moyens de sauvetage en Méditerranée.

Il s’agit d’un des pires drames en Méditerranée depuis plusieurs années. Au moins 79 personnes ont péri ce mercredi 14 juin dans un naufrage au large de la péninsule du Péloponnèse, au sud-ouest de la Grèce. D’après les activistes de la ligne téléphonique d’urgence Alarm Phone, le navire de pêche, parti de Libye, transportait près de 750 personnes lorsqu’il a chaviré, laissant craindre un bilan beaucoup plus élevé. Une tragédie «insupportable», a réagi le président de SOS Méditerranée, François Thomas, qui appelle à davantage de solidarité européenne et à la fin de la criminalisation des sauvetages en mer.

Que signifie ce énième naufrage, qui pourrait avoir fait plusieurs centaines de morts ?

C’est une nouvelle tragédie insupportable. Avec ce nouveau naufrage très meurtrier, nous allons dépasser les 27 000 morts en Méditerranée depuis 2014. Ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui perdent la vie aux portes de l’Europe. Et c’est sans fin. Il n’existe aucune solidarité européenne. Les moyens de sauvetage sont de moins en moins importants, alors que l’Europe a des moyens. Quand est-ce que tout cela va s’arrêter ?

Depuis le début de l’année, plus d’un millier de personnes ont déjà perdu la vie sur la route de la Méditerranée centrale, entre la Libye et l’Italie, soit près du nombre total de décès comptabilisés en 2022. Comment expliquer une telle hausse ?

Il s’agit des pires chiffres enregistrés depuis 2017, année à partir de laquelle les ONG ont commencé à être criminalisées. Cette hausse s’explique par une augmentation du nombre de départs, mais aussi par le manque de moyens de sauvetage. Les autorités italiennes désignent désormais très rapidement un port de débarquement lorsqu’elles sont notifiées d’un sauvetage. Jusqu’à cette année, nous n’avions jamais débarqué dans des ports si éloignés ! Nous devons donc quitter la zone à toute vitesse, empêchés de poursuivre nos opérations, y compris si nous avons connaissance d’autres situations de détresse.

Deux navires allemands [Mare Go et Sea Eye 4, ndlr] sont actuellement immobilisés par les garde-côtes italiens. Ces décisions vident la Méditerranée centrale des moyens de sauvetage, qui étaient déjà très insuffisants, sous prétexte que les ONG encouragent l’immigration illégale. Or seuls 15 % des débarquements effectués en Italie l’année dernière l’ont été par des bateaux humanitaires – bien loin du taux d’opérations effectuées par les gardes-côtes ou les navires marchands.

Pourtant, la militarisation des frontières ne permet pas de réduire les traversées, et encourage les personnes à emprunter des routes migratoires de plus en plus dangereuses…

C’est ce que disent les personnes que nous secourons : plutôt mourir en Méditerranée que continuer à survivre dans l’enfer libyen. Elles n’ont plus rien à perdre. Les murs construits par les Etats européens n’empêchent pas les gens de partir. Le nombre de traversées depuis la Libye ou la Tunisie a par exemple quadruplé cette année par rapport à 2022. Mais ces personnes prennent de plus en plus de risques.

Quel est leur profil ?

Les personnes que nous secourons viennent de tous les pays, en particulier ceux en guerre. Mais toutes ont un point commun : elles fuient l’enfer de la Libye, où elles sont enfermées dans des camps, torturées, parfois violées. Il arrive que les passeurs envoient des vidéos de ces exactions aux familles afin que ces dernières paient une rançon. Et même lorsqu’elles parviennent à partir, ces personnes sont souvent interceptées par les garde-côtes libyens et remises dans les camps. C’est un cercle vicieux que l’ONU décrit comme un crime contre l’humanité.

Quelle est la responsabilité de l’Europe dans ces tragédies ?

Les Etats européens ne sont pas assez solidaires avec les pays d’arrivée. Il faut que les personnes qui débarquent soient réparties de manière solidaire et pérenne dans les différents Etats. C’est ce que nous réclamons depuis des années. Nous demandons également que l’Europe mette davantage de moyens de sauvetage. Car jusqu’à présent, ce sont les ONG, soutenues par des citoyens européens et des collectivités territoriales, qui comblent le vide. SOS Méditerranée a sauvé 37 641 personnes depuis 2016. Et nous avons besoin d’aide pour poursuivre notre mission.

Liberation