Coup d’État au Gabon, les intérêts français en danger
Le coup d’État au Gabon met en danger les intérêts français.
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Avec le coup d’État militaire visant à renverser le président Ali Bongo, au pouvoir depuis 14 ans et dont la réélection avait été annoncée dans la nuit de mardi à mercredi, le Gabon bascule dans l’incertitude.
Alors qu’Ali Bongo, dont la famille dirige cette nation d’Afrique centrale riche en pétrole depuis plus de 55 ans, est « en résidence surveillée », « la France condamne le coup d’État militaire qui est en cours au Gabon », a annoncé ce mercredi midi le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, en indiquant que Paris « surveille avec beaucoup d’attention l’évolution de la situation ». La diplomatie française « réaffirme son souhait que le résultat de l’élection, lorsqu’il sera connu, puisse être respecté », a-t-il ajouté lors d’une conférence de presse à l’issue du Conseil des ministres.
Sur place, une première entreprise française a déjà tiré les conséquences de ce putsch. « Suite aux derniers événements en cours », le groupe minier Eramet – qui emploie 8 000 personnes, majoritairement gabonaises – a « mis à l’arrêt » ses activités et « suit » la situation pour « protéger la sécurité de (son) personnel et l’intégrité de (ses) installations ».
Eramet est présent au Gabon à travers deux filiales. L’une, la compagnie Comilog (Compagnie minière de l’Ogooué) est spécialisée dans l’extraction de manganèse, minerai dont Eramet est le deuxième producteur mondial à haute teneur. Setrag (Société d’exploitation du transgabonais), la deuxième filiale du groupe français, assure pour sa part l’exploitation ferroviaire de la ligne qui relie la côte atlantique au sud-est du pays riche en minerais à travers la forêt équatoriale du Gabon.
80 entreprises françaises sur place
La décision d’Eramet pose la question de la présence et des intérêts français dans le pays, au niveau économique, militaire et diplomatique.
Historiquement, depuis l’indépendance de 1960 après la période de colonisation française (1839-1960), le Gabon – considéré comme l’un des symboles de la Françafrique – et la France restent des pays amis qui entretiennent des échanges étroits. L’Hexagone constitue ainsi le principal partenaire économique du pas. Avec près de 30 % de part de marché, elle est son premier fournisseur, devant le Belgique et la Chine.
Les entreprises françaises y sont ainsi très implantées, au nombre de 81 selon la dernière liste publiée en juin 2022 par l’ambassade de France au Gabon. Parmi elles, Air France, Eiffage, JC Decaux, Rougier, RFI, CMA CGM et surtout TotalEnergies, qui est le principal producteur de pétrole du pays.
L’année dernière, dans une interview pour Les Échos, l’ambassadeur de France au Gabon, Alexis Lamek, indiquait qu’à « l’exception de la banque, tous les secteurs de l’économie gabonaise comptent un acteur français (filiale ou entreprise détenue par un Français installé au Gabon), très souvent leader. Jusqu’en 2007, le Gabon était le principal destinataire des investissements directs à l’étranger (IDE) français dans la zone, grâce aux importants investissements des groupes pétroliers ».
Après le début des événements de la nuit, Maurel & Prom, une société pétrolière française indépendante, indique pour sa part que « tous ses employés au Gabon sont actuellement en sécurité. Des consignes de prudence ont été données, mais la situation est pour le moment calme à Port-Gentil, où se situent les bureaux de M&P dans le pays », rapporte L’Agence économique et financière (AGEFI).
Autre conséquence du coup d’État militaire pour les entreprises françaises implantées localement, Maurel & Prom, Eramet et Total Gabon (la filiale de TotalEnergies) voyaient leur cours de bourse plonger ce mercredi matin.
370 militaires français en poste
En 2022, 7 379 Français étaient inscrits au registre consulaire gabonais des Français résidant à l’étranger, dont une écrasante majorité vit dans la capitale, Libreville (700 000 habitants). Ce nombre décroît avec les années, puisqu’il était par exemple de 10 600 en 2016.
Cette année-là, Ali Bongo avait été élu pour son deuxième mandat, plongeant là aussi le pays de 2,2 millions d’habitants dans une situation politique instable. Des violences post-électorales entre opposants et forces de l’ordre avaient fait entre 50 et 100 morts dans plusieurs villes du pays, entre le 31 août et le 1er septembre. Aucun intérêt français n’avait toutefois été visé, et la diplomatie française avait recommandé à ce moment-là la prudence aux expatriés et ouvert une ligne d’urgence.
Un canon à eau de la police anti-émeute pulvérisant des partisans du chef de l’opposition gabonaise, Jean Ping, lors d’affrontements à Libreville au Gabon, le 31 août 2016, lors d’une manifestation après l’élection d’Ali Bongo.
Pour le coup d’État militaire en cours, l’ambassade de France au Gabon invite pour le moment ses ressortissants à « rester à son domicile » et dévoile un numéro d’urgence.
En 2009, après le vote accordant à Ali Bongo son premier mandat, des tensions post-électorales avaient duré une dizaine de jours, avant que l’activité économique ne reprenne son cours, rappelle Le Monde. Ali Bongo succédait alors à son père Omar Bongo Ondimba, mort la même année, qui avait dirigé le Gabon pendant plus de 41 ans.
Omar Bongo était l’un des plus proches alliés de la France dans l’ère post-coloniale et Ali est un habitué à Paris, où sa famille possède un vaste portefeuille immobilier qui fait l’objet d’une enquête de la part des magistrats anti-corruption.
Sur le terrain militaire, la France dispose par ailleurs au Gabon d’une des quatre bases militaires permanentes prépositionnées en Afrique (avec Dakar, Djibouti et la Côte d’Ivoire) et la présence de 370 militaires, dont 150 à Libreville. Depuis 2011, les deux pays sont liés par un nouvel accord de défense, stipulant qu’en cas d’agression extérieure du Gabon, la France doit intervenir immédiatement.
Au niveau diplomatique, Emmanuel Macron s’était rendu au Gabon en mars à l’occasion du Sommet sur les forêts, une visite perçue par certaines personnalités de l’opposition comme un soutien à Ali Bongo avant la présidentielle. Lors d’un discours à Libreville, le président français avait toutefois nié toute ambition d’intervention en Afrique, affirmant que l’ère de l’ingérence était « révolue ».