75 ans d’Israël : à la recherche des traces de la « Nakba »
L’année 2023 marque les 75 ans de la Nakba (la « catastrophe » en arabe), c’est-à-dire la période d’expulsions, de dépossessions, de destructions et de massacres ayant aboutit à l’exode de 750 000 Palestiniens de leurs terres lors de la création d’Israël en 1948. À cette occasion, nous vous invitons le 21 mai à une journée dédiée à l’actualité de la lutte des Palestiniens, un peuple qui lutte pour sa liberté.
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Eitan Bronstein : Le mot Nakba est un mot arabe, mais il a été utilisé la première fois en 1948 par des militaires israéliens qui parlaient parfaitement arabe. Ils distribuent alors des tracts aux Palestiniens qui ne veulent pas quitter leur village et ils leur disent que, s’ils veulent éviter une catastrophe, éviter un désastre, ils doivent se rendre.
Peut-on faire un parallèle entre la Nakba et la guerre de 1967 ?
Je ne suis pas Palestinien, mais je pense que l’identité palestinienne a beaucoup changé après la Nakba, à cause de la Nakba. Tous les Palestiniens ont souffert et souffrent toujours aujourd’hui des conséquences de 1948. La guerre de 1967, elle a été la seconde étape des expulsions, de la conquête de la terre de toute la Palestine historique. C’est la deuxième étape, mais ce n’est pas la plus importante pour les Palestiniens, le point fondamental se joue en 1948. La majeure partie des Palestiniens sont depuis réfugiés, et ceux qui ne le sont pas sont des citoyens israéliens, mais de seconde zone par rapport aux juifs. C’est 1948 qui a établi cette situation fondamentale.
Quel est l’objectif de l’association que vous avez fondée, Zochrot ?
Fondée en 2001, Zochrot, qui signifie « se souvenir » en hébreu, a pour but de sensibiliser les Israéliens sur la Nakba, cette histoire qui est aussi notre histoire à nous Israéliens ; parce que c’est l’histoire de l’établissement d’Israël, de notre pays. Pour la majeure partie des Israéliens, c’était et c’est toujours difficile d’accepter cette idée que nous avons expulsé les Palestiniens.
D’un autre côté, il y a beaucoup d’Israéliens pour qui cette histoire était très intéressante, importante, même si le droit au retour des Palestiniens reste compliqué pour eux à reconnaître. Beaucoup d’Israéliens ont participé aux activités de Zochrot, dont des visites guidées dans les villages détruits, ce projet a provoqué beaucoup d’intérêt. C’est pour le gouvernement que cela a été plus difficile à accepter, d’où le passage de la loi Nakba en 2011 qui pénalise les organismes qui commémorent cette période de l’Histoire. Mais nous avons quand même pu continuer.
Est-il difficile aujourd’hui de parler de la Nakba en Israël ?
Avant la création de Zochrot en 2001, personne en Israël ne connaissait la Nakba. Ce terme n’était pas employé non plus dans les écoles, jamais utilisé dans des discussions publiques. Et paradoxalement, depuis la loi de 2011, la Nakba est devenue un élément connu par la population. Les Israéliens savent qu’il s’est passé quelque chose envers les Palestiniens en 1948, mais ils ne savent pas exactement quoi.
C’est difficile pour les Israéliens parce qu’Israël a établi un État juif qui n’est pas pour les Palestiniens. Selon le mythe sioniste, la terre d’Israël a toujours été pour les juifs, donc la conquête est légitime. Dire ouvertement qu’on a expulsé les Palestiniens, c’est moralement un risque. Dans le discours officiel, 1948 est une guerre de défense et non une guerre d’expulsion planifiée. Donc, dans le narratif sioniste, c’est toujours très difficile de parler de ça encore aujourd’hui.
Quid des prochaines générations israéliennes ?
Il y a de la radicalisation chez certains jeunes Israéliens qui n’ont pas vécu la Nakba, une forte tendance nationaliste et raciste parmi les colons. Mais, d’un autre côté, il y a des possibilités que les jeunes Israéliens soient plus ouverts à leur passé. Tout dépend et dépendra de la situation politique. Si Israël continue avec un gouvernement comme celui d’aujourd’hui, si Israël continue dans cette direction nationaliste, il sera difficile d’avoir une autre formation narrative sur l’Histoire, une autre éducation pour les jeunes. Je n’ai pas beaucoup d’espoir d’un changement positif.
La reconnaissance de la Nakba par les Israéliens pourrait-elle permettre de parvenir à une forme de paix entre les deux peuples ?
Je pense que c'est l'élément le plus important, car il peut en effet permettre de trouver une solution, pour vivre en paix, dans la justice. Mais ce doit être une vraie reconnaissance, c’est-à-dire la reconnaissance aussi du droit au retour de tous les Palestiniens (principe adopté dans la résolution 194 de l'Assemblée générale des Nations unies et l’une des conditions de l'initiative de paix arabe avec Israël) et de leurs descendants qui voudraient retourner dans leur patrie.
« L’élément important » qui pourrait aboutir à cette fameuse solution à deux États ?
La solution n’est pas un État palestinien à côté d’un État israélien, du fait du droit au retour. C’est moralement une mauvaise solution qui va alors reconnaître le projet sioniste. Aussi, aucun leader palestinien ne signera ce genre de solution puisque le retour ne se fera pas dans toute la Palestine. Dès lors, la seule possibilité est d’avoir un État unique dans lequel musulmans, chrétiens, juifs et autres vivent ensemble à égalité. Cela pourrait être une sorte de fédération, mais cette idée de deux États avec une séparation entre Israéliens et Palestiniens n’est pas une solution.
La Nakba vécue par les Palestiniens débute fin 1947, avec le plan de partage de l’ONU, et se poursuit lors de la première guerre israélo-arabe de 1948, année de naissance de l’État d’Israël. La résolution 181 de l’ONU divise le pays entre juifs (qui détiennent alors 6% des terres) et Palestiniens. Dès lors, des groupes paramilitaires juifs élaborent un plan de contrôle des frontières du nouveau territoire visant à détruire et à dépeupler les agglomérations palestiniennes. Environ 15 000 Palestiniens sont alors tués ou chassés de chez eux, plus de 400 villages détruits, plus de 750 000 palestiniens déplacés. Soixante-quinze ans plus tard, des millions de leurs descendants vivent dans des camps de réfugiés à Gaza, en Cisjordanie et dans les pays voisins.