Gaza : l'armée israélienne a mené une opération contre l'hôpital al-Chifa
L’assaut israélien du complexe hospitalier d’Al-Chifa est en train de devenir la plus longue opération militaire depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas. C’est la deuxième fois que l’armée de l'État hébreu y intervient en six mois.
Table of Contents (Show / Hide)
L’assaut israélien du complexe hospitalier d’Al-Chifa est en train de devenir la plus longue opération militaire depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas. C’est la deuxième fois que l’armée de l'État hébreu y intervient en six mois.
C’est en train de devenir la plus longue "opération ciblée" de l’armée israélienne dans sa guerre contre le Hamas. Depuis dix jours, des combats font rage à l’hôpital Al-Chifa, dans la bande de Gaza. Un deuxième assaut contre ce complexe hospitalier, le plus grand et le plus ancien de l’enclave palestinienne, depuis le 7 octobre.
Environ un millier de soldats israéliens, soutenus par des chars, sont entrés dans les bâtiments d’Al-Chifa, lundi 18 mars, pour une opération de "nettoyage" de la présence de combattants du Hamas et de son allié, le Jihad islamique.
"Un succès tactique"
Ce deuxième raid aurait dû être rapide puisque l’armée israélienne avait déjà annoncé en novembre, lors du premier assaut, avoir "vidé" les lieux de la présence du Hamas. Cette première opération était aussi censée avoir permis à Israël d’obstruer un dédale de tunnels sous l’hôpital servant aux combattants palestiniens.
Non seulement la nouvelle attaque israélienne traîne en longueur, mais les combats se sont aussi étendus aux alentours du gigantesque complexe hospitalier. Le Hamas a pu lancer 70 attaques contre les forces israéliennes depuis l’extérieur et l’intérieur de l’hôpital en dix jours, a comptabilisé l'Institut pour l'étude de la guerre, un cercle de réflexion américain qui travaille avec le centre d’observation des conflits Critical Threats afin de fournir des résumés quotidiens des événements de la guerre entre Israël et le Hamas.
Malgré d'intenses combats dans une zone supposément "nettoyée", l’armée israélienne présente l’opération comme un succès. Elle souligne avoir pu "éliminer des dizaines" de combattants ennemis et localiser de nouvelles "infrastructures et caches d’armes" dans l’hôpital.
"D’un point de vue tactique, on peut dire que c’est un succès", confirme Veronika Poniscjakova, spécialiste des questions de sécurité internationale et du conflit israélo-palestinien à l’université de Portsmouth. "L’armée israélienne a fait croire qu’elle allait concentrer ses efforts sur une autre zone – un camp de réfugiés au centre de la bande de Gaza – et quand les combattants du Hamas sont revenus dans l’enceinte de l’hôpital, les soldats israéliens, qui étaient prêts, ont refermé le filet sur eux", détaille Ahron Bregman, spécialiste du conflit israélo-palestinien au King’s College de Londres.
Une sorte de piège qui a aussi "probablement permis à Israël de récupérer des informations sur leur ennemi, comme le suggèrent les images et vidéos des interrogatoires que l’armée israélienne a rendus publics", note Omri Brinner, analyste et spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona, un collectif international d’experts des questions de sécurité internationale.
Guerre d'image
L’avancée semble lente car l’armée israélienne cherche au maximum à éviter le contre-coup médiatique lié à une opération militaire lancée dans un hôpital. En novembre dernier, les combats initiés par Israël à Al-Chifa avaient causé la mort de plus de 20 patients d’après le ministère de la Santé de Gaza, dirigé par le Hamas. L’assaut mené avait aussi entraîné un désastre sanitaire pour les Gazaouis, privés du plus important complexe hospitalier de l’enclave. Washington s’était très ouvertement inquiété auprès de son allié israélien du "coût humain d’une opération dans un hôpital".
Cette fois encore, l’opération israélienne à Al-Chifa a attiré l’attention internationale. Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a qualifié les conditions dans l’hôpital de "totalement inhumaines" pour les patients et le personnel de santé.
Mais "Israël a été bien plus malin cette fois-ci dans sa manière de présenter l’opération au monde", souligne Clive Jones, spécialiste d’Israël et du Moyen-Orient à l’université de Durham. L'armée utilise des images de drones des échanges de coups de feu et des photos de la découverte de caches d’armes pour "tenter de convaincre l’opinion internationale qu’ils avaient des raisons légitimes de retourner se battre dans cet hôpital", ajoute cet expert.
Israël a aussi besoin de prouver sa capacité à mener ce type d’opération très sensible avec le moins de victimes civiles possibles. En effet, "si la guerre en Irak [de 2003, NDLR] a prouvé une chose, c’est que dès qu’une armée quitte une zone [américaine à l’époque, israélienne à Gaza, NDLR], des insurgés cherchent à y retourner", souligne Ahron Bregman. En d’autres termes, "il faut s’attendre à ce que le Hamas fasse la même chose dans d’autres hôpitaux, mais aussi écoles ou camps de réfugiés où il y a des populations civiles", note Shahin Modarres, expert indépendant des questions de sécurité internationale et du Moyen-Orient.
L’armée israélienne prend son temps à Al-Chifa pour montrer au Hamas "qu’elle n’hésite pas à mener le combat dans des environnements considérés comme sensibles", affirme Omri Brinner. Tout en cherchant à prouver à la communauté internationale qu’elle sait le faire.
Échec stratégique ?
Mais si cette opération ressemble à un "succès opérationnel, c’est aussi un échec stratégique pour Israël", estime Clive Jones. Après les combats dans le nord de Gaza au début de la guerre et le premier passage par l’hôpital Al-Chifa, "le fait qu’autant de combattants du Hamas aient réussi à retourner sur un site aussi sensible que ce complexe hospitalier doit être inquiétant pour l’état-major israélien", assure Veronika Poniscjakova.
Cela démontre que le Hamas peut se permettre de mener des opérations de guérilla visant à "frustrer les soldats israéliens, obligés de revenir sur leurs pas, tout en cherchant à les distraire suffisamment longtemps dans l’espoir que la pression internationale pousse Israël à accepter un cessez-le-feu", souligne Shahin Modarres.
Le fait que le Hamas adopte cette stratégie était certes attendu, estiment les experts interrogés par France 24. Mais "l’intensité des combats autour de l’hôpital démontre qu’Israël avait peut-être sous-estimé la capacité de leur ennemi à se regrouper rapidement au nord", précise Clive Jones.
Pour cet expert, le retour à l’hôpital Al-Chifa "illustre la faille politique du plan israélien qui consiste à avancer dans Gaza sans avoir pensé à l'autorité à mettre en place pour assurer la stabilité des zones où l’armée israélienne n’est pas". Et cette dernière peut de moins en moins être partout : "il ne faut pas oublier qu’ils ont progressivement retiré des soldats ces derniers temps", ajoute Clive Jones.
"C’est un cas classique d’œuf et de la poule", assure Veronika Poniscjakova. Selon elle, Israël va maintenant devoir choisir si sa priorité est "d’instaurer une gouvernance dans la zone où l’armée est absente pour avoir les mains libres ou de s’occuper des forces du Hamas dans le Sud pour avoir l’esprit plus tranquille et trouver une solution politique". À cet égard, les combats à Al-Chifa prouvent aussi, estiment ces mêmes experts, que l’armée israélienne est encore loin d’avoir atteint son objectif principal : la destruction du Hamas.