Israël: le gouvernement interdit la diffusion d'Al-Jazeera dans le pays

Dans l’État hébreu, les chaînes en arabe et en anglais d’Al-Jazeera affichent dimanche après-midi un message sur fond noir disant : « Conformément à la décision du gouvernement, la diffusion de la chaîne qatarie Al-Jazeera a été suspendue en Israël ». Les sites internet de la chaîne restaient accessibles via le réseau mobile israélien.

Alors que les négociations d’une possible trêve devraient reprendre ce dimanche, dont le Qatar est l’un des principaux médiateurs, l’État hébreu a pris une décision radicale. Dans le viseur du pouvoir israélien depuis plusieurs mois, la chaîne qatarie Al-Jazeera va être « fermée en Israël », avait annoncé le Premier ministre Benyamin Netanyahou dans un message en hébreu sur le réseau X, sans autre détail sur les mesures prises. C’est chose faite ce dimanche depuis 15h50. Un choix « décidé à l’unanimité » par le gouvernement, avait-il écrit.

Le ministre israélien de la Communication Shlomo Karhi avait de son côté affirmé sur le même réseau avoir « aussitôt signé l’injonction contre Al-Jazeera » qui « entre en vigueur immédiatement ». Il avait ajouté avoir fait en sorte qu’Al-Jazeera « ne puisse plus opérer depuis Israël », au terme de « mois » de procédure pour parvenir à l’interdire, et avait accusé la chaîne de « menacer la sécurité » du pays.

Dans un communiqué, cité par l’agence Reuters, le gouvernement israélien explique que cette décision entraîne la fermeture des bureaux d’Al Jazeera en Israël, la confiscation du matériel de diffusion, la suppression de la chaîne par les sociétés de câble et de satellite et le blocage de ses sites Internet. D’après l’agence de presse, la loi autorise le Premier ministre et son cabinet de sécurité à fermer les bureaux du média pendant 45 jours, une période qui pourrait être renouvelée.

L’ordre de saisie du matériel lancé

Le pouvoir a en tout cas d’ores et déjà ordonné la saisie de matériel de la chaîne dans le pays. Shlomo Karhi a signé et publié dimanche un ordre de saisie, dans lequel l’instruction est donnée de récupérer « les équipements servant à diffuser les contenus de la chaîne », détaillés dans une liste dans laquelle figurent notamment les caméras, microphones, tables de montage, serveurs informatiques, ordinateurs, équipements de transmission et téléphones portables.

Al-Jazeera avait déjà fait l’objet de critiques de l’État hébreu, tandis que le Qatar héberge le bureau politique du Hamas. Benyamin Netanyahou l’avait notamment accusée précédemment d’être « un organe de propagande du Hamas et d’avoir participé au massacre du 7 octobre ». L’armée israélienne a aussi affirmé à plusieurs reprises que des journalistes du média étaient « des agents terroristes » affiliés au mouvement islamiste palestinien et à son allié du djihad islamique à Gaza.

Début avril, la Knesset avait déjà voté une loi permettant d’interdire la diffusion de la chaîne, dans le cadre d’une procédure accélérée à la demande du chef du gouvernement israélien. Le texte permettait plus largement d’interdire la diffusion en Israël de médias étrangers portant atteinte à la sécurité de l’État.

Israël « viole » l’accès à l’information, accuse la chaîne

La chaîne qatarie, qui couvre intensément le conflit entre Israël et le Hamas, avait d’abord relayé l’information à l’antenne, sans davantage de commentaires, rappelant seulement que « le vote intervient après que la Knesset a adopté une loi autorisant la fermeture temporaire des chaînes étrangères considérées comme une menace pour la sécurité nationale ».

Puis le directeur du bureau de la chaîne en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés, Walid al-Omari, avait indiqué sur la chaîne que la décision israélienne comprenait « l’arrêt de la diffusion d’Al-Jazeera en Israël, en arabe et en anglais et la fermeture des bureaux d’Al-Jazeera à l’intérieur des frontières d’Israël », ainsi que « la saisie du matériel » et la coupure de l’accès aux sites Internet de la chaîne depuis Israël. « Cette décision intervient après une campagne (…) des ministres d’extrême droite » du gouvernement israélien, avait-il poursuivi.

La chaîne a critiqué vivement la décision d’Israël dans un communiqué. « Nous condamnons et dénonçons cet acte criminel d’Israël qui viole le droit humain de l’accès à l’information », a déclaré Al-Jazeera en arabe dans un message publié sur X.

Par le passé, Al-Jazeera avait déjà nié les accusations du pouvoir israélien, à qui elle reprochait quant à elle de « cibler » systématiquement ses employés à Gaza. Au moins deux journalistes d’Al-Jazeera y ont été tués depuis le début de la guerre le 7 octobre et son chef de bureau à Gaza a été blessé. Walid Omary, le chef du bureau de la chaîne à Jérusalem, a affirmé dimanche que plus de 50 attaques ont été perpétrées contre des journalistes d’Al Jazeera depuis le 7 octobre.

De son côté, le Hamas a accusé Israël de « violation flagrante de la liberté de la presse », visant « à cacher la vérité » sur la guerre dans la bande de Gaza. Il a fustigé dans un communiqué publié sur Telegram « l’apogée d’une guerre contre les journalistes de la part d’Israël », estimant qu’il s’agissait là d’« une mesure de rétorsion contre le rôle (…) que joue Al-Jazeera dans la mise en lumière des crimes » de l’armée israélienne dans l’enclave palestinienne et en Cisjordanie occupée.

L’accord de trêve menacé ?

Selon The Jerusalem Post, le cabinet de sécurité nationale israélien devait organiser un vote au sujet de cette interdiction dès jeudi, mais le Premier ministre l’a retardé, un choix qui se justifierait par la volonté d’éviter toute retombée négative sur les discussions en cours sur une éventuelle trêve, dont le Qatar assure parmi d’autres la médiation.

Malgré ce léger report, ce vote divise déjà au sein du gouvernement israélien. Trois ministres du parti de l’Unité nationale, dirigé par le rival de Benyamin Netanyahou Benny Gantz, ont estimé que ce choix était « une décision correcte, mais prise au mauvais moment », puisqu’elle « pourrait saper les efforts visant à venir à bout des négociations » sur cet accord, focalisé notamment sur la libération d’otages israéliens toujours retenus à Gaza après le 7 octobre.

Sur son site, Al-Jazeera écrit aussi que cette décision « cela menace également d’exacerber les tensions avec le Qatar, qui finance le réseau médiatique (de la chaîne), à l’heure où Doha joue un rôle clé dans les efforts de médiation visant à mettre un terme à la guerre à Gaza ».

Les espoirs de voir un accord aboutir semblent de toute façon s’étioler ce dimanche. Israël « ne peut accepter » la demande du Hamas exigeant que ce projet de trêve prévoie la fin définitive des hostilités dans la bande de Gaza, a annoncé dimanche Benyamin Netanyahou. En face, le chef du Hamas Ismaïl Haniyeh a accusé Israël de « saboter les efforts » de médiation et « inventer des justifications constantes pour la poursuite de l’agression ».

Le Parisien