L’économie de l’Autriche reste accrochée à la Russie
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L’Autriche est un État neutre, non membre de l’Otan. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, la position du pays est claire : si l’Autriche est neutre militairement, elle ne l’est pas moralement et soutient l’Ukraine sur le plan politique et humanitaire. Mais sur le plan économique, la situation est plus contrastée. Car malgré un an de guerre, l’Autriche continue d’avoir des contacts économiques étroits avec la Russie. Une relation symbolisée par le gaz.
Avant l’invasion russe en Ukraine, l’Autriche importait 80% de son gaz de Russie. Après le début de la guerre, cette part a logiquement diminué, mais en décembre 2022, elle a de nouveau atteint un très haut niveau : ce mois-là, l’Autriche a en effet importé 71% de son gaz de Russie. Si cette part a de nouveau baissé pour atteindre 47% le mois suivant, en janvier 2023, le chiffre de décembre a marqué les esprits en Autriche, prouvant, de fait, que le pays ne s’est pas suffisamment affranchi du gaz russe.
Le gouvernement autrichien s’est pourtant doté d’un objectif clair : être totalement indépendant du gaz russe d'ici à 2027. Problème : le contrat qui lie le géant russe Gazprom à l’entreprise énergétique autrichienne OMV, détenue pour un tiers par l’État autrichien, court jusqu’en 2040. De quoi faire douter Gerhard Mangott, professeur à l’Université d’Innsbruck et spécialiste de la Russie, que l’Autriche atteigne cet objectif :
« Vraisemblablement, le gouvernement a décidé d'accepter que la Russie resterait encore longtemps un fournisseur important de gaz pour l'Autriche, et je ne crois pas qu'il n'y aura plus de gaz russe en Autriche d'ici 2027. D'autant plus qu'il existe ce contrat qu'a passé OMV et qui stipule que même si les livraisons de gaz n'ont pas lieu, elles doivent être payées. Savoir si le gouvernement pourrait sortir de ce contrat en passant par les tribunaux dépend du contenu de ce contrat. Or, nous, les experts, ne le connaissons pas, car il est secret. »
Les détails de ce contrat ne semblent, en effet, être connus que d’OMV, qui affirme que le contrat signé avec Gazprom ne lui permet pas d’en sortir. Le chancelier Karl Nehammer a, lui-même, indiqué que son propre gouvernement n’en connaissait pas le contenu.
Un débat confisqué ?
Outre le domaine énergétique, on parle beaucoup ces dernières semaines en Autriche d’une banque, la deuxième du pays : la RBI, la Raiffeisen Bank International. Cette banque est toujours présente en Russie, une activité qui rapporte. La RBI a en effet annoncé des bénéfices records de 3,6 milliards d’euros pour l’année 2022, dont 60% proviennent de sa filiale russe. Il faut dire que la RBI est l’une des rares banques présentes en Russie encore autorisée à participer au système Swift, dont de nombreuses banques russes sont exclues. En raison de cette activité, l’OFAC, l’Autorité américaine des sanctions, a envoyé, début 2023, un questionnaire à la RBI afin de l’interroger sur ses actions en Russie. Mais celle-ci, comme toutes les entreprises autrichiennes, affirme qu’elle applique à la lettre les sanctions.
Si ce sujet est d’une grande importance, il n’est pas réellement débattu en Autriche. « Tout comme on ne discute pas du contrat d'OMV, on ne discute pas de la RBI », déplore Gerhard Mangott. « Cela tient en partie au fait que Raiffeisen est étroitement liée au principal parti du gouvernement, à savoir le parti conservateur. Celui-ci veut éviter tout ce qui pourrait nuire financièrement à la RBI et souhaite que les entreprises autrichiennes, qui sont actives en Russie, se maintiennent sur le marché russe. Or, pour cela, elles ont besoin de la RBI. On a l'impression que le gouvernement mise sur le fait que la guerre se terminera à un moment ou à un autre et qu'on pourra alors recommencer à faire des affaires comme avant, et donc qu’en attendant, il faut tout faire pour éviter de couper les liens commerciaux avec la Russie. »
Si le débat n’a pas lieu du côté des conservateurs au pouvoir, il n’a pas non plus lieu dans l’opposition. Surtout pas du côté du FPÖ, le parti d’extrême droite, en tête des intentions de vote actuellement, à en croire les sondages. Ce parti avait signé, en 2016, un accord de coopération avec le parti de Vladimir Poutine, Russie unie, d’une durée de cinq ans. En 2021, le FPÖ, désormais dirigé par Herbert Kickl, a indiqué que l’accord n’avait pas été renouvelé.
Que contenait précisément cet accord ? Des parlementaires ont posé la question, ces dernières semaines, au FPÖ, qui a refusé de répondre. Une chose est sûre : le parti d’extrême droite n’a rien renié de ses positions prorusses. Depuis le début de la guerre, Herbert Kickl critique ouvertement les sanctions européennes visant la Russie, il l’a encore fait récemment, début mars, alors qu’il était reçu à Budapest par le Premier ministre hongrois, Viktor Orban. Si les Verts, qui gouvernent avec les conservateurs, et le petit parti libéral Neos tentent d’amorcer un débat sur les liens économiques que l’Autriche continue d’entretenir avec la Russie, force est de constater que les grands partis autrichiens n’en veulent pas, au risque d’isoler l’Autriche sur la scène européenne.