2023, une année compliquée pour le financement des startups africaines
Consacrer un numéro de Secteur Privé & Développement au capital-risque et à l’univers des start-up en Afrique, c’est s’intéresser à un marché en pleine expansion, en comprendre les éléments constitutifs et évoquer les potentielles externalités négatives qui peuvent en découler. Nous avons ainsi souhaité donner la parole à des experts et des acteurs passionnés qui nous livrent leur expérience.
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Dans son rapport 2023 sur le financement des startups, Partech Africa fait le constat du départ des investisseurs étrangers sur le continent. Basé à Dakar, son co-directeur général, Tidjane Dème, a répondu aux questions de RFI.
RFI : Avec 3,5 milliards de dollars obtenus en 2023, les startups du continent ont enregistré une baisse importante de leurs financements, - 46% par rapport à 2022. Est-ce que ce phénomène touche les autres régions du monde ?
Tidjane Dème : En 2022, quand le monde a connu un retrait important de l’investissement capital-risque, l’Afrique n’a pas vu son volume d’investissement reculer. La crise est arrivée avec un an de retard. On constate également ce phénomène dans les autres marchés émergents comme l’Amérique latine et l’Asie du Sud-Est, avec des niveaux encore plus importants. L’Afrique s’en sort donc mieux, notamment grâce à son adaptation aux nouvelles technologies et à ses politiques pro-entrepreneuriales.
Qu’est-ce qui explique les départs des investisseurs ?
Les années précédentes, l’écosystème africain recevait beaucoup d’investissements basés en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. Or, l’Afrique n’était pas leur marché principal, donc en période de crise (inflation, hausse des taux d’intérêt…), ces investisseurs se sont repliés sur leur base. En parallèle, nous avons assisté à la montée en puissance des investisseurs locaux qui ont pris le relai des investisseurs globaux. À la différence de ces derniers, ils connaissent mieux les marchés africains, ont des équipes dédiées sur le terrain et une capacité plus importante à accompagner les startups.
Est-ce que les destinations prisées par les investisseurs ont aussi évolué ?
Comme toujours, les « Big Four » concentrent près de 80% des investissements, mais leur situation a changé. Le Nigeria, qui avait misé sur les investisseurs américains, les a vu abandonner le marché. Si on ajoute la dévaluation du naira, cela explique que le pays a perdu sa place de numéro un.
*Au contraire, l’Afrique du Sud est passée en deuxième position car elle possède un important réseau d’investisseurs locaux. Le Kenya arrive quant à lui en tête, car il a réussi à compenser la plus faible présence d’investisseurs en capital par la captation d’investisseurs qui misent sur la dette. La dette, qui représente 35% des investissements globaux dans les startups, est devenue l’alternative aux financements étrangers. Enfin, l’Égypte reste le quatrième marché africain en dépit de la dévaluation de la livre égyptienne et le fait d’avoir beaucoup misé sur des entreprises qui ne sont encore qu’aux premiers stades de leur développement.
L’Afrique francophone, traditionnellement moins dynamique, a vu le nombre d’opérations de financement progresser. C’est un changement qui s’annonce durable ?
Ce qui se passe en Afrique francophone, trop souvent décriée comme le parent pauvre de l’Afrique, est très intéressant. Pour avoir une bonne vision de la situation, il faut mettre de côté les « Big Four » qui ne sont pas puissants parce qu’ils sont anglophones, mais parce que ce sont les économies africaines le plus importantes. Sur les 27 pays africains qui ont reçu de l’investissement en 2023, 14 sont francophones, et huit figurent dans le top 10. Cela s’explique encore une fois par la présence d’investisseurs locaux, alors que les Américains, les Européens et les Asiatiques sont eux moins actifs.
Sans grande surprise, la fintech (les services financiers) reste le secteur chouchou des investisseurs, mais la place de numéro 2 revient cette année à la greentech. Comment expliquer les dynamiques de ces deux secteurs ?
Les startups africaines répondent à des besoins réels. Les services financiers sont un besoin de base, or, les banques africaines ne servent qu’environ 20% de la population. D’où le succès de la fintech, qui en digitalisant les services financiers les rend accessibles au plus grand nombre. Cette explication peut également s’appliquer à la greentech, dont l’un de ses piliers est l’énergie. Or les besoins énergétiques en Afrique sont bien plus importants qu’ailleurs. C’est le besoin qui crée les opportunités.