La France insiste pour taxer les milliardaires du monde entier
La France est un paradis fiscal : 2% d’impôt seulement pour les 380 familles » : l’alerte de l’économiste Gabriel Zucman
Table of Contents (Show / Hide)
![La France insiste pour taxer les milliardaires du monde entier](https://cdn.gtn24.com/files/france/posts/2024-03/thumbs/capture-decran-2023-01-23-122240-e1674473639232-1024x575.webp)
L'économiste français Gabriel Zucman, de l'École normale supérieure, milite pour taxer les milliardaires. Il était invité jeudi 29 février par le Brésil pour présenter ses travaux devant les ministres des Finances du G20. Si un accord sur une telle taxe est encore loin, le sujet n'est pas tabou.
RFI : Gabriel Zucman, vous revenez de Sao Paulo où vous étiez l'invité spécial du Brésil qui préside cette année le G20. Quel a été votre message sur place ?
Gabriel Zucman : Le message principal, c'est que le monde a besoin d'un accord international pour une imposition minimale des ultrariches. Un grand nombre d'études montrent que leur taux effectif d'imposition est nettement inférieur à ceux des autres catégories sociales. Notre proposition est donc la suivante : il faut créer une surtaxe d'impôt sur le revenu pour s'assurer que chaque année, les 3 000 milliardaires recensés paient au moins l'équivalent de 2% de leur fortune en impôts. On estime que cette taxe génèrerait environ 250 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires tous les ans. En 2021, 140 pays de l'OCDE et de l'Union européenne se sont mis d'accord sur un taux d'imposition minimal de 15% pour les multinationales. Il faut maintenant appliquer cette logique à la question des très grandes fortunes.
Comment votre discours a-t-il été accueilli ?
Ce qu'il s'est passé à Sao Paulo est vraiment historique. La plupart des participants – des ministres, des gouverneurs de Banques centrales, des représentants d'institutions internationales – ont compris la nécessité d'une nouvelle forme de régulation de la mondialisation. C'était vraiment le point essentiel de mon message. Nous tous avons besoin d'une nouvelle forme de multilatéralisme avec, comme priorité, la lutte contre les inégalités qui, sinon, corrompent nos démocraties. Et je crois que ce message a pour la première fois été entendu par une majorité de pays.
C'est notamment le cas de la France qui s'est prononcée pour la mise en place d'une telle taxe. Est-ce que vous avez été surpris par la position du ministre de l'Économie Bruno Le Maire ?
Un certain nombre de pays se sont déclarés en faveur de cette proposition. La France en fait partie, et c'est une position que je tiens à saluer. Mais elle n'est pas seule. Le Brésil est moteur. J'ai noté aussi une réaction positive de la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen. Un certain nombre de pays sont donc favorables à notre idée. Cela me rend optimiste pour le futur.
Combien de temps pensez-vous qu'il faudra pour que cette mesure soit adoptée ?
C'est une idée nouvelle, et elle suscite des questions, c'est normal. Mais j'insiste sur le fait que ces questions sur la taxation des super-riches, sur la progressivité fiscale, n'ont jamais été discutées dans ces enceintes. Je ne sais pas quand cette taxe pourra être mise en place. Un an ? Trois ans ? Cinq ans ? Dix ans ? Je ne sais pas. Mais je suis persuadé qu'elle verra le jour parce que la logique est inattaquable. L'injustice fiscale actuelle fragilise la démocratie.
On s'attend aux élections européennes en juin à une poussée inédite des partis d'extrême droite aux États-Unis. Donald Trump pourrait revenir au pouvoir à la Maison Blanche. Cette idée de taxer les plus riches peut-elle survivre à une montée des populismes ?
Oui, et je pense que d'ailleurs, ce serait une bonne réponse au phénomène que vous décrivez. Tout d'abord parce qu'il n'y a pas besoin d'un accord de tous les pays pour que cette taxe soit mise en place. Les États-Unis n'ont, par exemple, pas ratifié l'accord concernant l'impôt minimum de 15% sur les multinationales. Néanmoins, cet impôt s'applique en France, dans l'Union européenne et d'autres pays. On peut calquer la même logique sur la taxation des très grandes fortunes. Chaque pays est libre de sa politique fiscale. Il nous faut parvenir à entrainer un nombre important d'États pour faire que ce type d'idée fonctionne.
Dans le dernier rapport sur l'évasion fiscale publié par votre observatoire en octobre dernier, vous notez des évolutions positives, notamment du côté des banques.
Effectivement, nous avons progressé dans la lutte contre la dissimulation des patrimoines dans les paradis fiscaux grâce à l'échange automatique de données bancaires. Cette forme de coopération internationale était jugée parfaitement utopique il y a encore dix ou quinze ans. Depuis 2018, les banques suisses, luxembourgeoises ou celles des Îles Caïmans doivent communiquer leurs données bancaires aux administrations fiscales compétentes, alors que le secret bancaire a été complet pendant des décennies. Avec de la volonté politique, des progrès rapides et concrets sont possibles.
Mais les multinationales continuent d'échapper en partie à l'impôt...
Effectivement, la grande évasion fiscale continue. Même si nous avons fait beaucoup de progrès sur l'évasion fiscale des multinationales, notamment avec l'entrée en vigueur dans certains pays d'un impôt minimum de 15%. Actuellement, nous estimons que 1000 milliards d'euros de bénéfices des entreprises sont enregistrés tous les ans dans les paradis fiscaux ou sont taxés à des taux ultra-faibles.
Est-ce à dire que l'impôt minimum de 15% sur les multinationales, décidé en 2021, ne va pas assez loin ?
J'ai commencé au début de l'entretien par rendre hommage à cet accord. C'est un pas dans la bonne direction. Pour la première fois, on est parvenu à s'accorder sur une taxe mondiale sur les multinationales. Néanmoins, ce texte est très insatisfaisant. D'abord parce que le taux d'imposition de 15% est très faible. Ensuite parce qu'il est miné par une série d'exonérations et de niches fiscales qui ont été glissées dans ce texte de façon pernicieuse. Notre observatoire tire donc la sonnette d'alarme pour dire que si cet accord est une bonne base, il faut en revanche aller bien plus loin : se débarrasser des niches fiscales et augmenter progressivement le taux d'impôt minimum à 20 ou 25%.
Vous livrez dans votre rapport d'autres recommandations afin de réconcilier « mondialisation » et « justice sociale »...
Nous pensons qu'il faut aussi agir dans un cadre national pour mieux taxer les entreprises et les hauts patrimoines. La France n'a pas besoin d'attendre un accord au G20 pour dire que ses milliardaires doivent payer chaque année un minimum d'impôts. Si nous voulons aboutir à des accords ambitieux, il ne faut pas commencer par se fixer une contrainte d'unanimité. Il faut au contraire favoriser l'émergence d'un groupe de pays qui aillent de l'avant. Et nous sommes actuellement dans cette dynamique.