En Cisjordanie occupée, «ils prennent l’eau, ils prennent les pâturages c’est la fin des Bédouins»
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Déjà fragilisés par le régime d’occupation militaire qui a réduit leur accès aux ressources en eau et en terre, des milliers de Bédouins de Cisjordanie sont à la merci de colons de plus en plus violents. À Qaboun, une centaine d’habitants ont dû fuir leur village.
Au creux d’une vallée de Cisjordanie occupée, dans le massif surplombant le Jourdain, on trouve ce qui reste du village bédouin de Qaboun. Il s’est vidé de sa centaine d’habitants en août, à la suite d’un épisode aussi symbolique que cruel. Des colons israéliens armés ont intercepté le tracteur de la communauté et ouvert le robinet du réservoir d’eau. Les 5 000 litres ont disparu dans la roche poreuse.
Sans eau, impossible de rester. Pourtant on avait tout à Qaboun, des pâtures pour les animaux, l’électricité, même internet ! se souvient Hassan Abu Al Qbash, qui a fui un harcèlement quasi quotidien pour se réfugier avec plusieurs familles à plusieurs kilomètres, où ils peinent à nourrir leurs bêtes. Ses traits marqués par le soleil et le travail lui donnent plus que ses 60 ans, mais Hassan Abu Al Qbash compense par une énergie exubérante.
La vie des Bédouins palestiniens a toujours été dure, à l’image du paysage aride qui les entoure. Elle a été percutée par l’occupation. Depuis 1967, le régime militaire israélien a restreint leur accès aux ressources : eau, électricité, terres, permis de construire… Ces cinq dernières années, les choses ont encore empiré.
« C’est la fin des Bédouins »
Les colons rentrent chez nous, ouvrent les frigos, jettent la nourriture. Ils font ce qu’ils veulent. Moi, si j’attrape seulement une pierre, l’armée israélienne mettra ma famille en prison , explique Hassan avec amertume. Ils prennent l’eau, ils prennent les pâturages, c’est la fin des Bédouins. C’est devenu l’empire des avant-postes , conclut le berger.
Les avant-postes ? Quelques caravanes qui débarquent un matin pour abriter une poignée de zélotes du « Grand Israël » que l’extrême droite juive revendique de la Méditerranée à la Jordanie. Près de Qaboun, l’avant-poste de Malachei Hashalom (les Anges de la paix) a été fondé en 2018 par deux familles de colons juifs. Aujourd’hui, l’exploitation agricole accueille une quinzaine de jeunes, qui y remplissent ce qu’ils appellent leur devoir : Protéger la terre d’Israël , par tous les moyens.
Au regard du droit international, toutes les implantations juives en Cisjordanie (700 000 habitants, dont 230000 à Jérusalem-Est) sont illégales. Les avant-postes le sont même au regard du droit israélien, avant le plus souvent d’être régularisés. Ce qui a été fait en février 2023 pour Malachei Hashalom…
Stratégie machiavélique
Les partisans du Grand Israël ont un objectif affiché : l’annexion de la Cisjordanie par le fait accompli. Et ils ont un problème : les colonies de peuplement ne grandissent, à leur goût, pas assez vite. Cela coûte trop cher , résumait en 2021 Ze’ev Hever, dit Zambish, « parrain » de la construction dans les territoires palestiniens avec sa société de BTP Amana. Nous ne tenons que 100 km², après cinquante ans de peuplement, mais les fermes établies ces trois dernières années nous ont donné le contrôle du double de cette superficie. Avec le soutien tacite de l’État.
Ces « fermes » contrôlent aujourd’hui près de 6 % du territoire en Cisjordanie. Plus de 1 100 Palestiniens ont été contraints de quitter leurs villages depuis 2022, la plupart ces trois derniers mois, selon l’Onu qui met en cause la violence des colons, à son plus haut depuis 2006. La présence depuis décembre de l’extrême droite suprémaciste juive au sein du gouvernement Netanyahou n’y est sans doute pas pour rien.
Dans la région de Qaboun, il y avait sept villages – il n’en reste plus que trois, « sauvés » (jusqu’à quand ?) par la présence permanente de militants anti-occupation israéliens.