Mathilde Gros championne du monde de sprint individuel, tous les visages d’une championne
À 23 ans, Mathilde Gros a remporté le titre mondial en vitesse individuelle femmes ce vendredi 14 octobre à Saint-Quentin-en-Yve
Table of Contents (Show / Hide)
Les deux visages d’une même compétitrice. Mathilde Gros a été immense de flegme, pour terrasser toutes ses rivales jusqu’au sacre planétaire. Puis tout aussi poignante dans l’émotion qu’elle a dégagée, à l’heure de fondre en sanglots dans les bras de ses proches. Vendredi à Saint-Quentin-en-Yvelines, la pistarde française est devenue championne du monde de la vitesse individuelle. Elle a réalisé une performance intrinsèquement historique, puisqu’aucune athlète tricolore n’avait signé pareil exploit depuis Félicia Ballanger en 1999. Mais cet accomplissement prend encore plus de relief quand on se penche sur son cheminement.
Suivez les Mondiaux de cyclisme sur piste sur Eurosport
Le couronnement de Mathilde Gros était improbable il y a huit ans. Puis il a semblé écrit. Puis il a paru lointain. Parce que la nouvelle reine du sprint s’est d’abord destinée à une carrière dans le basket. Son premier contact avec la bicyclette ? "J’ai détesté", s’en est-elle amusée auprès du site Olympics.com l’an passé. Mais un test (a priori) anodin sur un vélo d’intérieur a révélé l’étendue de son potentiel, à 15 ans. Ses prédispositions exceptionnelles l’ont poussée à lâcher la balle orange et à se mettre en selle. Résultats : un triplé aux Mondiaux Juniors, l’année de ses 18 ans (2017), et deux titres européens chez "les grandes" en 2018 et 2019 (keirin).
"MARQUÉE À VIE" PAR L’ÉCHEC DE TOKYO
Voilà pour le conte de fées. La suite, c’est une difficulté croissante à passer de grand espoir du cyclisme sur piste tricolore à figure de proue de celui-ci. Notre consultant Arnaud Tournant a synthétisé la situation ainsi, à chaud à l’antenne : "Celui-là, ça fait longtemps qu’on l’attend. Elle a montré qu’elle était une grande dame, la grande dame du sprint français. Elle est enfin au niveau où on l’attend." Un niveau qu’elle tutoyait déjà en 2019, médaillée de bronze lors des Mondiaux, dans cette même épreuve de la vitesse individuelle. Puis il y a eu cette période de doute avec en point d’orgue des Jeux Olympiques qu’elle a très mal vécus.
Sortie dès les quarts en keirin, battue en repêchage en vitesse, Mathilde Gros a traversé les Jeux tokyoïtes comme une âme en peine. Ce camouflet a été très dur à encaisser, comme elle l’a confié à DirectVelo, après seulement quelques jours pour digérer : "C’est tellement douloureux que je ne l’oublierai jamais. Je suis marquée à vie." L’UCI Track Champions League, en fin d’année 2021, lui a servi d’exutoire. Avec une pression moins importante, elle a pu tenter d’autres choses, tactiquement. Mais sans parvenir, semble-t-il, à se délester totalement du poids de la déception, immense, qu’elle avait vécue durant l’été. Il lui fallait une relative nouveauté.
En février 2022, Grégory Baugé a été nommé entraîneur du sprint de l’équipe de France. Elle a trouvé en lui un nouveau coach, autant qu’un ancien compère et qu’un ami qu’elle dit conserver, malgré ce rapport hiérarchique susceptible de modifier leur relation. Ce changement a achevé de la remettre sur les rails. Il fallait voir son regard à la fois espiègle et déterminé, il y a dix jours lors de la présentation de l’événement au vélodrome national, pour comprendre qu’elle avait retrouvé la flamme. Celle qui lui permet d’être toujours enivrée par la confrontation et non plus inhibée par la quête du résultat. La Mathilde Gros qui casse tout était de retour.
"MERCI DU FOND DU CŒUR, À TOUS"
"Je suis la même que quand j’avais 4 ans, que je commençais le basket et que je kiffais ça", nous avait-elle fièrement résumé. Il restait à le matérialiser. Lors des Championnats d’Europe à Munich, sur une piste de 200 mètres (et non 250) elle avait en partie renoué avec une bonne dynamique cet été. Médaillée d’argent en vitesse individuelle, derrière la "boss" Emma Hinze, elle avait envoyé des signaux positifs. Mais vendredi, la mise au point a été sans commune mesure. Avec une joie proportionnelle : "Je suis tellement contente de gagner devant mon public, c’est un rêve (…) Merci du fond du cœur, à tous, c’est grâce à vous que l’on fait tout ça."
"Le fait d'être à domicile m'a aidé énormément, insiste-t-elle. En franchissant la ligne, j'ai crié de toutes mes forces, je pense que la terre entière l'a entendu. C'est une émotion que je n'avais jamais ressentie de toute ma vie." Une découverte grisante, grâce à ce moment suspendu : "On ne se rend pas compte à quel point c'est puissant. C'est un truc de malade." De quoi, probablement, laisser une (nouvelle) trace indélébile, dans sa vie de sportive. Un souvenir positif, cette fois. "Je pense que je vais en rêver toute la nuit", a prophétisé la cycliste de 23 ans, sans se projeter au-delà des premiers instants qu'elle va passer médaille d'or autour du cou.
Mathilde Gros a embrassé cette médaille sur le podium. Comme elle a embrassé un objectif qui s’est imposé à elle au fil des années. Mais son "but ultime" reste les Jeux Olympiques de Paris 2024. Avoir une perspective lointaine l’a sans doute aidée à mettre de côté l’obsession de la victoire, au profit du plaisir du duel. Il lui faudra conserver ce mantra avec lequel elle a renoué, pour triompher dans un an et demi. Mais d’ici-là, le keirin lui offre une autre occasion de briller, ce dimanche. Dotée d'un visage à nouveau "fermé", tranchant avec celui radieux qu’elle a affiché ce soir, quand la Marseillaise a résonné. Les deux visages d’une championne.