Sous-marin disparu près du Titanic : Le tourisme des profondeurs, une activité rare… mais essentielle pour la Science
Nos océans couvrent plus de 70% de la surface de la Terre, mais plus de 80% d'entre eux restent inexplorés. En fait, on prétend souvent que nous en savons plus sur la surface de Mars et de la Lune que sur les fonds marins de notre propre planète.
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Passer quelques heures à bord d'un sous-marin au fond de l'océan, plusieurs minutes à la limite de l'espace, observer les manchots au pôle sud… Depuis quelques années, le monde du tourisme propose aux plus fortunés de vivre des expériences exceptionnelles. Des aventures pour lesquelles certains sont prêts à débourser des millions malgré les risques.
Ce devait être un moment exceptionnel pour cinq voyageurs en quête de grandes aventures. La course contre la montre se poursuit mercredi 21 juin pour retrouver vivants les occupants du sous-marin parti explorer l'épave du Titanic dans l'Atlantique Nord. Alors que les espoirs s'amenuisent, leur réserve d'air s'épuisant progressivement, l'expédition vient mettre en lumière cette soif des ultra-riches pour des expériences toujours plus extrêmes, pour lesquelles ils sont prêts à dépenser des sommes faramineuses et à risquer leur vie.
Les passagers du sous-marins ont payé chacun 250 000 dollars, soit environ 229 000 euros, pour voir de leurs propres yeux l’épave mythique de "l'insubmersible", qui repose depuis 1912 à près de 4 000 mètres dans les profondeurs de l'Atlantique, à 650 kilomètres des côtes canadiennes. Parmi eux, Stockton Rush PDG d'OceanGate Expeditions et pilote du sous-marin, un scientifique – le Français Paul-Henri Nargeolet surnommé "monsieur Titanic" en raison de ses recherches sur l'épave – et deux milliardaires : Hamish Harding, PDG de l'entreprise de vente de jets privés Action Aviation et Shahzada Dawood, un homme d'affaires pakistanais de 48 ans qui voyageait avec son fils Sulaiman, 19 ans.
L'expédition a été organisée par OceanGate Expeditions, une société de recherche et de tourisme spécialisée dans les excursions en haute mer. Selon son site web, la société "construit des sous-marins cinq places voués à la recherche scientifique et au tourisme" et revendique 14 expéditions et 200 plongées couronnées de succès.
Tourisme aux confins du monde
Si l'exploration des zones les plus reculées du monde était autrefois l'apanage d'un Christophe Colomb, d'un Vasco de Gama ou d'une poignée d'aventuriers prêts à survivre aux conditions les plus difficiles, depuis plusieurs années, des dizaines d'entreprises veulent mettre à profit les progrès technologiques pour en ouvrir l'accès à une poignée de super privilégiés prêts à sortir un gros chèque.
"À chaque fois, l'argument de vente est simple : devenez l'un des rares, voire le seul, à vivre cette aventure ou à voir tel lieu", explique auprès du magazine américain The Atlantic John Lennon, spécialiste des marchés touristiques à l'université de Glasgow, en Écosse. "Dans le cas du Titanic, l'attrait est évidemment lié à la fascination autour du paquebot."
"Mais plus généralement, il est question pour ces quelques individus d'aller un peu plus loin que le reste de la population, de faire quelque chose de plus audacieux que les autres. Et si en plus cela peut se montrer en photo ou en vidéo, c'est encore mieux", termine-t-il.
Les exemples de ce "tourisme de l'extrême" sont nombreux. L'alpiniste Garrett Madison propose ainsi des expéditions sur l'Everest pour 93 500 dollars, soit 85 000 euros par personne. Outre l'ascension du toit du monde, il se vante d'offrir à ses clients des douches et un chef étoilé dépêché sur place pour leur préparer un dîner gastronomique à 8 000 mètres d'altitude.
Pour ceux qui seraient effrayés par l'altitude, l'explorateur polaire, Patrick Woodhead a créé l'entreprise White Desert Antarctica pour emmener des clients dans des voyages de luxe en Antarctique. Le tarif : 98 500 dollars, 90 000 euros par personne. Parmi les services proposés, la contemplation du paysage blanc depuis une capsule chauffée et luxueuse, raconte le journal britannique The Telegraph.
D'autres aventuriers préfèreront voler en hélicoptère au-dessus de volcans en activité ou traverser à pied le Darien Gap, à la frontière entre la Colombie et le Panama, des kilomètres et des kilomètres de forêts tropicales, de marais et de mangroves impénétrables. Un décor spectaculaire que la société britannique Secret compass propose de traverser pour 4 000 euros, mais qui voit aussi chaque année des dizaines de milliers de migrants périr en tentant de se rendre aux États-Unis.
Dans les profondeurs de l'océan
Pour le moment, les expéditions en eau profonde à visée touristique, comme celle du Titan d'OceanGate se comptent cependant sur les doigts de la main, en raison des coûts encore astronomiques que nécessite la construction d'engins capables d'emmener des passagers dans les abysses. Outre OceanGate, plusieurs sociétés se sont tout de même lancées sur ce marché. Il faut dire que les possibilités d'aventures sont immenses : les océans recouvrent 70 % de notre planète et seuls 5 % ont été explorés par les humains.
Depuis dix ans, la compagnie Triton propose ainsi de fournir aux ultra-riches des sous-marins "de loisir" à usage personnel, capables de descendre jusqu’à 1 000 mètres sous l’eau. D'autres modèles peuvent quant à eux accueillir jusqu’à 66 personnes et descendent à 500 mètres maximum. Sans aller aussi loin, certains hôtels de luxe proposent des "expériences de luxe sous-marine". Les Maldives accueillent par exemple un hôtel 100 % immergé sous l'eau.
La fascination pour l'espace
À l'inverse des profondeurs des océans, les clients fortunés ont aussi les yeux rivés sur le ciel. En 2001, l’homme d’affaires californien Dennis Tito était devenu le premier touriste spatial grâce à un voyage à 20 millions de dollars à bord de la mission russe Soyouz TM-32.
Depuis, le domaine du tourisme spatial est devenu l'objet d'une course effrénée entre les milliardaires Jeff Bezos, Elon Musk et Richard Branson. Fin juin, ce dernier lancera son premier vol commercial dans l'espace avec son entreprise Virgin Galactic. Pour faire partie de l'aventure, il faut débourser 450 000 dollars, 411 500 euros par billet.
De son côté, Blue Origin, de Jeff Bezos a déjà envoyé plusieurs passagers à plus de 100 kilomètres d’altitude, considéré comme la limite entre la Terre et l’espace, pour une durée moyenne de quatre-vingt-dix minutes. Elon Musk et sa compagnie SpaceX vont encore plus loin en proposant une mise en orbite de trois jours autour de la Terre, pour environ 50 millions de dollars par personne.
Hamish Harding, le symbole de cette soif d'aventure
À bord du Titan, Hamish Harding est le parfait exemple de cette soif d'aller là où personne d'autre ne peut accéder. Familier des explorations extrêmes – qui lui ont valu plusieurs inscriptions au livre Guinness des records – il se décrivait en mai 2021, sur Instagram, comme un "mari, père de deux enfants" et comme "un explorateur passionné. "Je saisis toute opportunité de voyager, de battre des records du monde et de piloter des jets", résumait-il.
"Je suis fier d'annoncer que j'ai rejoint OceanGate pour leur mission RMS Titanic en tant que spécialiste de mission sur le sous-marin qui descend vers le Titanic", se réjouissait-il dimanche sur Instagram, heureux de participer à "la première et peut-être seule mission habitée vers l'épave en 2023".
Ce n'était pas son premier voyage au fond des mers. En mars 2021, il avait plongé avec un autre explorateur, Victor Vescovo, à 11 000 mètres dans la fosse des Mariannes, la partie la plus profonde de l'océan connue à ce jour, à bord d'un sous-marin à deux places. En 2022, il était aussi monté, à bord de la fusée New Shepard pour un vol de dix minutes à 107 km au-dessus de la Terre. L'expédition avait marqué la cinquième mission habitée réussie pour l'entreprise de Jeff Bezos.
Au-delà des risques mis en avant par l'expédition Titan, ce tourisme de l'extrême est régulièrement sujets de vives critiques, les uns dénonçant des loisirs "élitistes" et "inutiles", d'autres des aberrations écologiques. Développer un tourisme spatial pour le grand public, par exemple, entraînerait des coûts environnementaux considérables. Selon une estimation de chercheurs français, relayée par l’ Agence Sciences presse, un vol complet de la fusée Falcon 9 de SpaceX jusqu’à la station spatiale internationale. émettrait 1 150 tonnes de CO2, l’équivalent de 638 ans d’émission d’une voiture moyenne parcourant 15 000 km par an.