Les restes d’un potentiel objet interstellaire retrouvés au large des côtes de la Papouasie-Nouvelle-Guinée

Plusieurs sphérules métalliques récupérées au fond de l’océan Pacifique proviendraient d’un objet d’au-delà du Système solaire, soutient un groupe de chercheurs américains. Cette découverte, potentiellement majeure, est néanmoins contestée.

L’étude a été postée fin août 2023 sur le serveur de prépublication ArXiv – et n’a donc pas encore été évaluée par d’autres chercheurs. Mais ses conclusions font déjà grand bruit. Car leurs auteurs, une trentaine de planétologues et cosmochimistes menés par Avi Loeb de l’université Harvard (Etats-Unis), affirment avoir découvert les restes d’un objet provenant d’un autre système stellaire que le nôtre. Noté provisoirement "CNEOS 2014-01-08" et mesurant environ 50 cm de diamètre, il aurait traversé l’atmosphère terrestre en janvier 2014 avant d’exploser au-dessus de l’océan Pacifique, à 80 km des côtes de l’île de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée).

Un traîneau pour draguer les fonds océaniques 

Pour récupérer les éventuels débris, Avi Loeb a organisé une expédition financée par un généreux donateur privé (1,5 million de dollars). Elle a été conduite du 14 au 18 juin 2023 dans la zone supposée du "crash", sur une superficie de 10 kilomètres carrés, au moyen d’un navire tractant une sorte de traineau équipé de 300 aimants en néodyme et de caméras. 700 petites sphérules riches fer, d’un demi-millimètre de large en moyenne, ont été recueillies ainsi sur les fonds océaniques à 1,7 kilomètre de profondeur.

Océan de magma

Seule une cinquantaine de ces billes ont été analysées pour le moment, notamment par microscopie électronique et spectroscopie de masse. Or pour cinq d’entre elles, les concentrations en béryllium, lanthane et uranium seraient anormalement élevées : certes à l’état de trace mais 1000 fois plus que dans certaines météorites du Système solaire. De quoi soutenir leur "origine interstellaire", estime l’équipe américaine, indépendamment d’autres arguments comme les (présumées) très grandes vitesse et résistance mécanique du météore déduites des observations remontant à 2014. Ces concentrations de métaux "pourraient provenir d’une planète fortement différenciée possédant un océan de magma et un noyau de fer au-delà du Système solaire, ou d’une source encore plus exotique".

Comment les autres systèmes stellaires se forment 

Si ces résultats sont confirmés, ce serait comme Avi Loeb le présente lui-même sur son blog "une merveilleuse nouvelle", "une première historique" qui donnerait l’opportunité d’étudier un objet massif venant d’un autre système stellaire que le nôtre. De tels échantillons permettraient de mettre en lumière, en effet, les mécanismes par lesquels d’autres étoiles et leurs planètes se forment et aussi de mieux comprendre l’évolution de notre galaxie. 

Un scientifique controversé

Mais l’enthousiasme d’Avi Loeb n’est pas partagé par tous les chercheurs. Nombre d’entre eux ont déjà exprimé leurs doutes. Et se montrent parfois très critiques vis-à-vis de l’ancien directeur du Département d’astronomie de l’université Harvard. Même si ce dernier a effectué une brillante carrière scientifique, il s’est distingué ces dernières années par ses déclarations et prises de position hasardeuses dans les médias : sur les preuves de l’existence d’intelligences extraterrestres en particulier ainsi que l’ostracisme qu’il subirait de la part de ses pairs. "Ces annonces non étayées et fortement controversées au sein de la communauté scientifique ne peuvent que nourrir la défiance envers la méthode scientifique pour un public non averti", soulignaient en 2021 la Société française d’astronomie et d’astrophysique et la Société française d’exobiologie dans un communiqué.

L’hypothèse extraterrestre

Rappelons que seuls deux corps célestes ont pu être formellement caractérisés, jusqu’à présent, comme des objets interstellaires. Dénommé "1I/Oumuamua", le premier a été détecté en 2017. Si sa trajectoire hyperbolique et sa vitesse très élevée montraient qu’il n’était pas lié gravitationnellement à notre étoile et traversait le Système solaire pour ne jamais y revenir, ses propriétés spectrales et orbitales ont donné lieu à de nombreuses suppositions concernant sa nature : astéroïde, iceberg d’hydrogène, bloc d’azote glacé ou fragment d’exoplanète, même s’il s’agissait plus probablement d’une comète éteinte. Mais depuis 2018, Avi Loeb défend également l’hypothèse selon laquelle Oumuamua serait en réalité… un objet artificiel envoyé par une lointaine civilisation extraterrestre !

Le deuxième objet – "2I/Borisov" – a été repéré l’année suivante, en 2018 : il présentait lui aussi une vitesse et trajectoire trahissant son origine interstellaire, mais avait, cette fois, toutes les caractéristiques d’une comète avec son halo et sa traînée de poussières.

Satellites espions américains

Pour CNEOS 2014-01-08, la situation est beaucoup plus ambigüe. Il a été identifié en 2019 par Amir Siraj, un des étudiants d’Avi Loeb, dans les données du Centre d’études des objets géocroiseurs (CNEOS) de la Nasa… à l’aide de satellites exploités par le département de la défense américain (DoD) ! Les données concernant les incertitudes de mesure – et donc les calculs de vitesse et de trajectoire – sont par conséquent classifiées, inaccessibles à la communauté académique. Même si le DoD, en 2022, a publié une note précisant que l’orbite hyperbolique était confirmée avec "une confiance de 99,999%", les exigences scientifiques ne sont donc pas satisfaites. Depuis 2019, plusieurs experts ont même exprimé leurs doutes sur la vitesse présumée de l’objet (162.000 km/h lors de l’explosion dans l’atmosphère terrestre) : elle pourrait être "largement surestimée" et ne correspondrait donc pas à un objet interstellaire, avance une étude publiée en août 2023.

Des arguments qui ne convainquent pas

Selon le planétologue Philip Metzger, de l’Institut spatial de Floride, il serait en outre impossible de "connecter ce météore à de petites billes métalliques récupérées sur une vaste région du plancher océanique". Aucune micrométéorite, recueillie au fond de l’océan ou ailleurs, n’a du reste jamais pu être associée à l’observation d’un flash lumineux dans le ciel ! Sans compter que pour des vitesses supérieures à 100.000 km/h, un objet se désintégrerait totalement dans l’atmosphère terrestre. Il serait sans doute réduit à l’état de particules bien plus petites encore que celles recueillies au large des côtes de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Enfin, selon le cosmochimiste américain Larry Nittler cité par la revue Nature, les métaux présents à l’état de trace comme le béryllium, le lanthane et l’uranium ne constitueraient pas les bons marqueurs pour établir chimiquement l’origine interstellaire d’un objet céleste. La caractérisation des différents isotopes de l’oxygène serait pour cela bien plus concluante, mais de telles analyses n’ont pas encore été réalisées par l’équipe d’Avi Loeb.

Sciences et Avenir