Youssef Al-Qaradawi, prédicateur sunnite et guide spirituel des Frères musulmans, est mort
Cet Égyptien naturalisé qatari, considéré comme l’un des pères spirituels de la confrérie, est mort à l’âge de 96 ans, à Doha.
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Youssef al-Qaradaoui, l'éminence grise de la confrérie des Frères musulmans, au centre de l'essor de l'islam politique depuis 1928, est mort ce mardi à Doha, à 96 ans. Le prédicateur égyptien y avait trouvé refuge dans les années 1970, après une décennie de répression sanglante par le pouvoir de Nasser, dont le panarabisme socialiste et laïque ne pouvait tolérer cette proposition islamiste.
Youssef al-Qaradaoui était considéré comme un des théologiens et prédicateurs les plus influents du monde arabe, ses prêches enflammés, voire haineu x, étant visionnés par des millions de personnes via la chaîne qatarie Al-Jazeerah.
Les Frères Musulmans, au coeur de l'islam politique
Fondée en 1928 dans le gouvernorat d'Ismaïlia, sur les rives du canal de Suez, la confrérie des Frères Musulmans s'est construite sur un socle idéologique qui n'a pas varié depuis : une ligne anti-occidentale (à l'époque anticolonialiste, contre l'Empire britannique) et un islam politique sunnite, qui opte assez tôt pour l'action violente. Leur méthodologie, qui consiste à mélanger l'action sociale et caritative à la religion, leur a permis de se développer, au fil du temps, presque partout au Moyen-Orient et au Maghreb. Les errances de régimes totalitaires qui ont toujours livré les populations à l'arbitraire, la corruption et la pauvreté ont bien aidé à leur essor.
En Syrie, en Irak, au Yémen, ils en sont venus à constituer une opposition crédible, qui a vite effrayé les monarchies du Golfe dont la puissance n'était pas encore tout à fait assurée par la manne pétrolière. Le monde arabe s'est dès lors structuré autour de cette opposition entre les Frères musulmans et l'axe emmené par le tandem Arabie saoudite - Emirats arabes unis.
Assurance vie pour le Qatar
Pour Khalifa al-Thani, le fondateur du Qatar , en 1972, et père de Tamim, l'actuel émir, offrir un sanctuaire aux cadres de la communauté était donc une sorte d'assurance vie face à Ryiad. Le petit émirat gazier a toujours perçu comme une nécessité existentielle de peser, face à ses deux grands frères et voisins, Arabie saoudite et Egypte. Ce qu'il a accompli, grâce à un soft-power alliant habilement business, sport, et surtout, médias. Cela explique qu'il ait hébergé durant un demi-siècle un prédicateur interdit de séjour dans tous les pays occidentaux sauf, un temps, au Royaume-Uni.
Car Youssef al-Qaradaoui était une véritable pop-star sur Al-Jazeerah, l'empire télévisuel par lequel la confrérie est entrée dans les foyers arabes dès les années 1980, et l'arrivée du satellite. Tous les vendredis, son émission diffusait une version fondamentaliste de l'Islam, ramenant des sociétés parfois laïques, à une pratique fermée et conservatrice. En Tunisie à certains égards, cette identité musulmane réactionnaire, standardisée, véhiculée par un arabe plus scolaire que littéraire, en est venue à remplacer une tradition aux doctrines plus diverses.
Un rôle dans les révolutions arabes
Au point qu'Al Jazeera passe pour avoir joué un rôle clé dans les révoltes arabes de 2011, en diffusant des images de manifestations au montage très sélectif, pour embraser la rue et accentuer le narratif de la répression. En Egypte, il est établi que la chaîne a largement permis la victoire de Mohammed Morsi à la présidentielle de 2013, avant qu'il ne soit renversé par l'armée.
Le télé-coraniste constituait une inspiration des mouvements djihadistes, par ses positions radicales sur Israël et les Juifs, les femmes, les homosexuels. Sa disparition laisse orphelins les Frères musulmans, déjà très affaiblis par la contre-révolution arabe. Ecrasés par la répression en Egypte, acculés par le jeu des élections en Tunisie, ils se sont même vus trahis par le président turc Erdogan, pourtant issu du creuset, parti se réconcilier avec à Mohammed ben Salmane à Jeddah cet été.
La mort d'Al Qaradawi laisse son courant islamiste sans héritier d'une notoriété équivalente et pose la question de sa relève doctrinale et politique.