Quelle est la politique étrangère d'Emmanuel Macron en direction du monde arabe ?
Les récentes visites à Paris des présidents émirati, palestinien, égyptien et aujourd’hui du prince héritier saoudien sont l’occasion de s’interroger sur la politique étrangère du président réélu Emmanuel Macron en direction du monde arabe.
Table of Contents (Show / Hide)
Que reste-t-il de la « politique arabe » de la France ? Une question presque rhétorique tant la formule paraît surannée et tant le caractère singulier – voulu par le général de Gaulle – de la voix de la France sur la scène internationale en général, et auprès des pays arabes en particulier, semble s’être évaporé ou noyé dans les consensus atlantique ou européen.
La « politique arabe » est d’abord une ambition gaullienne. Au lendemain de la guerre des Six Jours en 1967, le président de Gaulle (1959-69) déclarait : « Une fois mis un terme à l’affaire algérienne, nous avions repris avec les peuples arabes d’Orient la même politique d’amitié, de coopération qui avait été pendant des siècles celle de la France dans cette partie du monde et dont la raison et le sentiment font qu’elle doit être, aujourd’hui, une des bases fondamentales de notre politique extérieure. »
Dès 1967, soit cinq ans après l’indépendance de l’Algérie, le sort des Palestiniens est au cœur de cette ambition gaullienne : Israël est identifié comme l’oppresseur et la France réclame le retrait des territoires occupés.
Une singularité évanescente
En 1967, la France du général de Gaulle n’hésite pas à se distinguer des États-Unis et du Royaume-Uni. À bien des égards, Paris conserve cette relative originalité parmi ses alliés dans les 40 années qui suivent.
Même si Emmanuel Macron a tenu à employer cette formule en 2018, la « politique arabe » de la France se résume à une addition de relations bilatérales. La question palestinienne est de plus en plus marginalisée et la complaisance à l’égard d’Israël atteint des niveaux inédits
Face à la paix israélo-égyptienne qui se dessine, le président Valéry Giscard d’Estaing (1974-81) déclare en février 1979 : « […] nous estimons qu’il n’y a pas d’autre solution que globale aux problèmes du Proche-Orient, c’est-à-dire une solution qui soit acceptée par l’ensemble des pays de la région, approuvée par la communauté internationale et qui apporte une réponse à toutes les questions qui se posent, et notamment à la situation et à l’exercice de leurs droits par les Palestiniens. »
Prudent, François Mitterrand (1981-95) – premier chef d’État français accueilli en Israël – ne va pas jusqu’à reconnaître l’État palestinien proclamé en 1988 à Alger. Il se contente de déclarer que « la France a pris acte de la proclamation d’Alger et reconnaît le droit des Palestiniens à vivre sur un territoire constitué en État indépendant ». Poussé par son chef de la diplomatie, Roland Dumas, François Mitterrand sera toutefois l’un des premiers dirigeants européens à accueillir Yasser Arafat en mai 1989 – en dépit des positions américaine et israélienne.
En 1991, tandis que des personnalités gaullistes s’opposaient à la guerre du Golfe, le ministre des Affaires étrangères Roland Dumas – pourtant volontiers décrit comme « pro-arabe » – va jusqu’à qualifier la « politique arabe » de mythe. Mais il n’est pas encore question de rupture.
C’est en avril 1996 au Caire que le nouveau président Jacques Chirac (1995-2007) décide de manifester son intention de s’inscrire dans l’héritage du général de Gaulle : « La politique arabe de la France doit être une dimension essentielle de sa politique étrangère […] Il n’y aura de paix durable que si sont respectés le droit à l’autodétermination du peuple palestinien et ses aspirations légitimes à disposer d’un État. » Tout le monde se souviendra de son coup de colère à Jérusalem quelques mois plus tard, en octobre 1996…
Cette image d’un Chirac frondeur et « ami des Arabes » sera confirmée par le refus de la guerre en Irak en 2003. Et si on en parle encore une vingtaine d’années plus tard, c’est précisément parce que c’est, dans l’imaginaire collectif, le dernier souvenir d’une France rebelle dans le camp « occidental ».
En 2007, Nicolas Sarkozy (2007-12), se décrivant volontiers comme l’ami d’Israël et des États-Unis, viendra sonner le glas de cette spécificité. Depuis, la France ne semble plus rien avoir d’original à dire au monde arabe…
Priorité au Golfe
Même si Emmanuel Macron a tenu à employer cette formule en 2018, la « politique arabe » de la France se résume à une addition de relations bilatérales.
La question palestinienne est de plus en plus marginalisée et la complaisance à l’égard d’Israël atteint des niveaux inédits : les expropriations, les lois qui institutionnalisent l’apartheid, la poursuite de la colonisation, les arrestations arbitraires, les exactions meurtrières… ne provoquent ni condamnations fermes ni sanctions.
Quand Mahmoud Abbas est à Paris ce 20 juillet pour dénoncer les « activités de colonisation, les meurtres et les incursions quotidiennes » et pour évoquer le sort de la journaliste Shireen Abu Akleh, « tuée de sang-froid et sans raison », son interlocuteur français n’a rien d’autre à lui répondre que des propos incantatoires sur la « paix ». En somme, en sus de l’inaction (ni pressions ni sanctions), on a affaire à une communication minimaliste. Il serait injuste d’attribuer cela uniquement à une évolution de la diplomatie française – de moins en moins vigoureuse. La France ne fait que suivre des pays arabes eux-mêmes plus pusillanimes et plus complaisants vis-à-vis d’Israël – ce qu’elle n’a pas fait en 1979, rappelons-le.
Les premiers acteurs de cette complaisance à l’égard d’Israël – qui confine à l’indifférence vis-à-vis des Palestiniens – sont les pays du Golfe, partenaires privilégiés de la France.
La prise d’otages de la Grande Mosquée de La Mecque du 20 novembre 1979 par un commando islamiste armé a offert à la France l’occasion d’un rapprochement avec l’Arabie saoudite. À la demande de cette dernière, le Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN) est alors envoyé.
Au moment où le centre de gravité du monde arabe passe de la ville au désert à la faveur de l’émergence des pétromonarchies, la France ne manque pas d’apparaître comme un partenaire de choix. Dans les décennies suivantes, les relations ne cesseront de se développer, notamment dans le secteur des hydrocarbures.
La visite le 18 juillet de Mohammed ben Zayed (dit MBZ), ancien artisan de la politique de défense des Émirats arabes unis (EAU) et désormais prince d’Abou Dabi (et président de la confédération), vient rappeler l’importance des liens entre son pays et la France. Sur le plan commercial, la progression des relations franco-émiraties est en effet impressionnante.
Si les exportations françaises vers les Émirats ont connu une nette progression ces 30 dernières années (presque 4 fois plus en 2021 qu’en 1995), signalons surtout le bond des exportations émiraties (essentiellement des produits pétroliers raffinés) en direction de la France : d’un peu plus de 86 millions de dollars en 1995 à 1,7 milliard en 2021 (20 fois plus).
Deux remarques néanmoins : les échanges commerciaux avec les pays du Maghreb demeurent plus importants qu’avec les pays du Golfe ; la balance commerciale avec les Émirats demeure largement excédentaire. Le marché émirati est devenu l’un des plus attractifs pour la France dans le monde arabe.
La « stabilité » avant tout ?
Qu’elle soit économique ou politique, la stabilité est souvent invoquée quand il est question de décrire la politique étrangère de la France dans le monde arabe. Les visites de MBZ et du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi viennent le rappeler.
Dès son arrivée au pouvoir, Macron a voulu indiquer qu’il n’était plus question de se préoccuper de la nature des régimes dans les relations bilatérales. Et les honneurs accordés à Sissi – dont la visite vendredi dernier a été particulièrement discrète –, malgré les protestations d’ONG soucieuses du sort des journalistes et des opposants, comme le prisonnier politique Alaa Abdel Fattah, en grève de la faim depuis plus de 100 jours, sont là pour l’illustrer.
La stabilité prime la démocratie et les droits humains. […] les relations étroites avec l’Égypte de Sissi et les Émirats de MBZ sont fondées sur des partis pris communs : l’hostilité envers l’islam politique, la méfiance à l’égard des processus révolutionnaires, la centralité du marché de l’armement…
En d’autres termes, la stabilité prime la démocratie et les droits humains. En cela, il est possible d’affirmer que les relations étroites avec l’Égypte de Sissi et les Émirats de MBZ sont fondées sur des partis pris communs : l’hostilité envers l’islam politique, la méfiance à l’égard des processus révolutionnaires, l’accent mis sur la coopération sécuritaire, la centralité du marché de l’armement…
Sur ce dernier point, rappelons que si la France est aujourd’hui le troisième exportateur d’armements, elle doit en partie cette position aux pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Depuis 1991, le Qatar, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et, au-delà du Golfe, l’Égypte (soutenue par Riyad et Abou Dabi) figurent parmi les principaux clients de l’industrie militaire française.
Seulement, cette proximité ne doit pas faire oublier que l’invocation de la stabilité s’accompagne d’une certaine flexibilité dont font volontiers preuve les partenaires arabes de la France. Cette « flexibilité », qui prévaut dans le rapport au droit s’agissant d’Israël, est désormais aussi perceptible face à la guerre en Ukraine.
Celle-ci a fait des dirigeants du Golfe, comme MBZ mais aussi le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) – qui effectue sa première visite en Europe (Grèce puis France ce jeudi 28 juillet) depuis l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi –, des partenaires incontournables sur les questions énergétiques. Mais les hausses de production pétrolière escomptées pour contenir l’augmentation des prix ne sont pas au rendez-vous.
Plus généralement, la proximité avec Paris et Washington n’empêche pas ces pays de maintenir de bonnes relations avec la Russie. Sur les hydrocarbures (avec la plateforme OPEP+), sur la sécurité alimentaire (l’Égypte dépend encore largement du blé de la mer Noire), sur l’avenir du Proche-Orient (Abou Dabi et Moscou sont sur la même longueur d’onde en Syrie, par exemple), il n’est pour l’instant pas question de lui tourner le dos.
En définitive, la légitimation et les honneurs dont peuvent bénéficier des dirigeants comme MBS, MBZ et Sissi à Paris s’expliquent certes par une forme de « réalisme » (à géométrie variable), mais deux limites méritent d’être signalées : la « stabilité » des régimes autoritaires est porteuse d’instabilité (le monde arabe a déjà connu des soulèvements) ; ces régimes conservent leur autonomie en politique étrangère et ils n’ont pas vocation à s’aligner systématiquement sur les positions de la France, comme la guerre en Ukraine est venue le rappeler. Il faut toujours garder en tête que les acteurs soutenus ne sont ni inamovibles ni alliés.
Adlene Mohammedi