Le Qatar est-il parvenu à redorer son image à l’international grâce à la Coupe du Monde ?
Nabil Ennasri, docteur en sciences politiques et auteur de « L’empire du Qatar, le nouveau maître du jeu ? » explique comment le Qatar est parvenu à redorer son image à l’international grâce à la Coupe du Monde.
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Le Qatar est-il parvenu à redorer son image à l’international grâce à la Coupe du Monde ?
L’Etat y est parvenu en grande partie. Les soucis d’organisation pendant cette Coupe du monde ont pu être évités au grand soulagement des autorités qui craignaient des couacs du fait d’une impréparation notamment autour du stade de Lusail, la plus grande enceinte du pays où se jouera la finale. Au mois de septembre, un match opposant une équipe saoudienne à une formation égyptienne et qui avait été pensé comme un galop d’essai, avait été ponctué de mésaventures (engorgement dans le métro, manque d’eau potable, difficultés d’accès…). Après plus de quinze jours de tournoi, tout s’est bien passé, comme l’a montré l’avalanche de vidéos sur les réseaux sociaux montrant des fans de toutes origines communiant dans la liesse et la bonne humeur, notamment autour du Souq Waqif, place emblématique de la capitale.
La magie du football et des sentiments puissants qu’il génère ont occupé l’espace »
La « bonne organisation » de l’événement, louée dans des médias internationaux (comme Le Monde) ou par Emmanuel Macron, a-t-elle fait oublier les polémiques climatiques et humanitaires ?
Les polémiques ont fleuri avant le Mondial et se sont intensifiées à mesure que le coup d’envoi du match d’inauguration approchait. Une fois la compétition lancée, le jeu et la passion ont repris le dessus, comme le montrent les bonnes audiences des matchs, que ce soit en France et ailleurs dans le monde. La ferveur a été d’autant plus forte que dès le surlendemain du match d’ouverture, l’exploit de l’Arabie saoudite face à l’Argentine puis du Japon face à l’Allemagne ont généré une telle onde de choc que la magie du football et des sentiments puissants qu’il génère ont occupé l’espace et relégué à l’arrière-plan les polémiques et autres appels au boycott.
Le refus de nombreuses équipes de porter le brassard "One Love" est-il une victoire pour Doha ?
Cela a été une satisfaction partagée par le pays organisateur et la FIFA. Ce brassard devenait aussi polémique dans le sens où un fort mouvement de contestation dans le monde arabe s’était réveillé, beaucoup demandant que les capitaines des sélections arabes qualifiées (Arabie saoudite, Maroc, Qatar, Tunisie) portent le brassard palestinien. Leur argument était que, dès lors que s’introduisaient sur le terrain des revendications politiques ou idéologiques, il fallait donner écho à d’autres causes comme celle de la Palestine, dont l’attachement reste fort dans les opinions de la région, comme l’a montré la présence de nombreux drapeaux dans les gradins et jusque sur les terrains avec des joueurs qui en fin de match l’arboraient ostensiblement.
Le Qatar a besoin de positiver son image, et il n’est pas dans son intérêt de revenir en arrière »
Au moment de l’attribution de la compétition en 2010, il y avait une réelle pratique de l’esclavage moderne, puis, sous pression des puissances internationales, des associations, des médias, le Qatar a engrangé une série de mesures comme l’instauration d’un salaire minimum obligatoire. Après, il y a encore un décalage entre le droit et la pratique. Il est impératif d’aller plus loin, mais aujourd’hui le Qatar a besoin de positiver son image, et il n’est pas dans son intérêt de revenir en arrière, notamment sur cette question du droit des travailleurs. Plus largement, sur les questions climatiques et sociales, le Qatar est un peu dans l’obligation de les prendre en considération car il n’a rien à gagner à être pointé du doigt sur la scène internationale. Si les critiques sont permanentes, il ne pourra pas redorer son image.
Le Qatar restera-t-il impuni par la communauté internationale pour ses crimes contre les travailleurs étrangers, entre autres ?
Il restera sous la pression internationale, surtout s’il fait acte de candidature pour les Jeux olympiques ce qui semble être le cas pour l’édition 2036. L’utilisation du sport par le Qatar répond à des objectifs stratégiques de « soft power » c’est-à-dire de diplomatie du rayonnement. Cette dynamique le pousse à rester sur les radars de l’attention internationale, et on peut légitimement penser que s’il obtient l’organisation des Jeux, les mêmes polémiques resurgiront.
Pourquoi un sport comme le foot permet-il de façonner l’image d’un pays ? Et plus particulièrement un événement comme le mondial ?
Parce que le football est le sport roi, adulé sous toutes les latitudes et dans tous les pays. Ce qu’il draine comme ferveur, passion et engouement est unique, et aucun autre sport ne suscite autant d’attention. C’est pour ça que le Qatar en a fait la pierre angulaire de sa diplomatie sportive. D’autres pays, l’ont bien compris, notamment les États-Unis qui vont principalement accueillir l’édition suivante ainsi que la Chine, qui est le candidat le plus sérieux pour 2030. Le but du régime de Pékin est d’exhiber à la face du monde sa puissance stratégique par le levier du symbole que la coupe du monde génère.