« Nous entrons dans un nouvel ordre mondial emmené par Pékin »
« Nous entrons dans un nouvel ordre mondial emmené par Pékin », a déclaré David Baverez, économiste spécialiste de l’Asie et basé à Hongkong qui a analysé l’influence de la Chine sur le monde politique et économique.
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En mai 2022, dans un entretien au JDD, David Baverez déclarait : « La Chine nous fait entrer dans une économie de guerre. » Près d’un an plus tard, ce spécialiste de l’Asie dresse un tableau encore plus sombre. « Nous fermons un cycle d’ouverture avec la Chine et nous entrons dans l’ère du Sud global, un nouvel ordre mondial emmené par Pékin qui marginalise l’Occident et un monde où près de 6 milliards de personnes combattent les démocraties de l’Ouest », avertit-il.
Triste constat, au moment même où Emmanuel Macron et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en visite à Pékin et à Canton du 6 au 8 avril, ont tenté de reconnecter l’Europe avec l’empire du Milieu. Ni visiteur du soir, ni vigie républicaine, David Baverez figurait, toutefois, parmi la dizaine d’experts conviés à l'Élysée en janvier 2018 pour préparer la première visite d’État d’Emmanuel Macron en Chine. Il faut rappeler qu’il avait publié quelques semaines avant l’élection présidentielle de 2017 Paris-Pékin Express. La nouvelle Chine racontée au futur Président (François Bourin Éditions). Il y enjoignait celle ou celui qui serait élu à organiser son premier déplacement officiel non pas à Berlin, mais à Pékin.
David Baverez tire sa légitimité de sa présence à Hongkong depuis 2011, le « Far East » des milieux économiques asiatiques. Investisseur privé, il conseille quelques grandes entreprises et plusieurs start-up sur leurs stratégies en Asie à l’aune des bouleversements liés à l’émergence de la « nouvelle Chine » qui emmène le nouvel ordre mondial. Depuis, l’auteur de Paris-Pékin Express a publié Chine-Europe : le grand tournant (Le Passeur Éditeur) en 2021. « Si je devais ajouter un chapitre à mon dernier livre, j’y décrirais comment la Chine organise un formidable transfert de valeur économique à son profit, un mouvement renforcé par la stratégie d’encerclement du Sud global », soumet l’économiste.
Ce basculement aurait pris racine avec la crise pétrolière de 1973. Elle porte un premier grand coup à notre style de vie et absorbe 3,5 % du produit national brut (PNB) européen. Aujourd’hui, nous subissons, selon lui, une frappe bien plus forte. « Nous sommes confrontés à une nouvelle donne et dépendance énergétiques, au moment même où nous devons opérer une transition environnementale qui va nécessiter l’injection de 3 000 milliards d’euros. » Ce n’est pas tout. « L’inflation importée des prix des matières premières agricoles entame 1 % de notre PNB et la reglobalisation nous coûte 2 % de PNB », additionne-t-il.
Au total, le choc budgétaire se chiffre à 10 % pour les économies européennes. Dans le même temps, la France est endettée à 300 % de son PNB. Elle ne l’était pas en 1973. « Passée sans le reconnaître à une économie de guerre, l’Europe se révèle grande perdante », appuie-t-il.
Dédollarisation et inflation toxique dans un nouvel ordre mondial
Dans ce nouveau concert dysharmonique des nations, c’est bien la Chine, deuxième puissance économique mondiale qui emmène le nouvel ordre mondial, qui tient la baguette. « Elle œuvre à l’affaiblissement de l’Otan, même élargi à la Suède et à la Finlande, et en jouant les médiateurs entre Téhéran et Riyad, elle campe en force de paix », décrypte David Baverez.
Sur le plan économique, Pékin dicte aussi sa loi. Xi Jinping impose à Vladimir Poutine un supplice chinois, dans l’attente d’un désormais improbable financement du gazoduc Force de Sibérie 2 qui relie la Sibérie au Xinjiang. « Il signifie à Moscou qu’il ne veut pas être dépendant pour son approvisionnement en gaz et préfère l’importer du Qatar », pointe-t-il.
Sur un autre front, la Chine sape la dollarisation des échanges mondiaux. Les échanges d’hydrocarbures avec l’Arabie saoudite, la Russie et l’Iran se font désormais en yuans. Pékin travaille aussi à la création d’une monnaie numérique adossée aux matières premières. « Et son alliance avec la Russie et l’Arabie saoudite renforce leur capacité collective de nuisance », livre l’économiste, « ensemble ils peuvent créer une inflation toxique pour nos économies et pour nos démocraties ». Pour preuve l’efficacité du cartel Opep+ qui vient de décider de réduire sa production de 1 % afin d’obtenir une hausse des cours du brut de plus de 5 %.
Tous ces leviers transfèrent de la valeur économique aux trois empires autoritaires. La Chine va afficher une hausse de plus de 5 % de son PIB cette année avec un excédent commercial encore très élevé. « La Russie qui ne pesait que 1 % du PNB mondial avant la guerre en Ukraine produit du pétrole, du gaz, du nucléaire, des armes et des céréales, elle a tout bon pour une économie de guerre », poursuit l’économiste. « Xi Jinping va pouvoir s’approvisionner en pétrole saoudien et en échange recouvrir le royaume de centrales solaires », ajoute-t-il. In fine, conclu David Baverez : « Le ratio de dépendance à la Chine va devenir la nouvelle norme. »dans le nouvel ordre mondial.